Mines, le Vérificateur général exhibe de grosses pépites

2009/04/05 | Par Camille Beaulieu

Rouyn-Noranda - Les compagnies minières ont versé 259 M$, le sixième à peine des droits miniers dus à Québec depuis 2002, ce qui représente moins de 1,5% de leur production de 17 milliards de dollars. La Loi impose pourtant des droits miniers de 12% de la valeur extraite, soit plus de 2 milliards de dollars pour cette même période.

Pour comble, dans son dernier rapport, le Vérificateur général Renaud Lachance déplore ne pouvoir évaluer exactement le manque à gagner disparu dans ce trou noir du fait de l’insuffisance des « analyses fiscales et économiques produites par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF). »

Ce rapport de M Lachance creuse directement dans le filon de l’inanité de ce ministère. Non seulement les compagnies minières n’acquittent-elles pas le plein montant des droits prévus à la loi, mais 14 sociétés ont réussi ce tour de force, en multipliant mesures et allocations, de ne pas payer un kopeck de droits miniers sur des revenus de 4,2 milliards $.

Le Vérificateur constate enfin l’octroi à des entreprises d’avantages fiscaux et de crédits d’impôt pour un total de 624 millions de 2003 à 2008. Ce qui n’empêche, constate-t-il, que Québec devra payer quelques 264 millions pour restaurer des sites miniers abandonnés.

M.Lachance, sous-estime nettement le coût de restauration des 400 parcs à résidus éparpillés à travers le Québec, une facture évaluée à plus d’un milliard de dollars par plusieurs sources indépendantes.

Un tueur silencieux

Après un siècle d’exploitation systématique les parcs à résidus miniers couvrent une superficie de 13 645 hectares, davantage que l’assise de la route 20 entre Montréal et Québec. C’est le problème environnemental le mieux caché du Québec, une contamination que l’industrie et le MRNF dissimulent  sous des euphémismes du type « sites d’accumulation. »

Les effluents de ces montagnes de résidus n’en charrient pas moins des métaux lourds et des produits toxiques comme l’arsenic, qui se déposent jusqu’à quelques dizaines de kilomètres dans les ruisseaux, lacs et rivières en aval.

Les polluants les plus légers émigrent carrément jusqu’à la baie James ou dans le Saint-Laurent. Des réseaux hydrographiques complets deviennent abiotiques, leurs lacs réduits à l’état de gros trous d’eau bleu clair.

L’Abitibi-Témiscamingue abrite plus de 70% des parcs à résidus du Québec, ce qui en fait le territoire le plus pollué de la province, loin devant le corridor industriel Montréal-Tracy. Les régions de la Côte Nord, Gaspésie, Lac Saint-Jean et Estrie paient elles aussi l’écot de la prospérité minière.

Malgré 15 années de disputes, l’on ne sait toujours pas qui devra payer un jour, le gouvernement ou l’industrie, pour restaurer ne serait-ce que les 140 sites miniers dits « orphelins », reliquats de mines ou de concentrateurs dont les compagnies propriétaires ont été dissoutes depuis parfois bien longtemps.

Le cercle vicieux des résidus acidogènes

Le tiers des parcs à résidus miniers au Québec sont dits acidogènes, leurs minéraux génèrent des acides sous l’effet d’une bactérie : thiobacillus ferro-oxidans. Les contenus et les localisations des parcs varient, c’est pourquoi aucun parc à résidus acidogène n’est exactement semblable aux autres.

La restauration du site de la mine Poirier à Joutel, recouvert d’une membrane imperméable d’argile, a coûté pas moins de 18 M$. Noranda inc s'est par contre cassé les dents pendant 25 ans avec la même recette sur certains de ses parcs qui recommencent à suinter d'acidité après quelques années.

Accompagné des moqueries d’usage, le 4 mars 1992, un cortège d’écolos abitibiens a déposé une couronne mortuaire sur la dépouille encore chaude et fumante du parc à résidus de la East Sullivan près de Val d’Or.

Cette vitrine de la restauration des parcs acidogènes au Québec avait subi sept millions de dollars de travaux les années précédentes. Le ministère des Ressources naturelles y avaient épandu des boues municipales, toxiques, selon le ministère de l’Environnement, au point qu’une cuillérée du lixiviat suffisait pour tuer un cheval.

On l’a ensuite recouvert de résidus forestiers, écorces et particules de panneaux contenant de l’urée formaldéhyde pour bien abrier les déchets miniers . Las, on se demande bien pourquoi, le parc de la East Sullivan n’a cessé pendant des mois de s’enflammer sous l’oeil goguenard des Valdoriens.

Plus à l’ouest vers la même époque, les géologues de la mine Doyon de Rouyn-Noranda, ont constaté, effarés, que les routes et les digues de rétention, construites avec des rocs considérées stériles et citées en exemple de bonne gestion écologique, se mettaient sans raison connue à produire autant d’acides que les déchets qu’elle devaient contenir.

Un vestige têtu des temps anciens

Le gouvernement et les compagnies minières actives se relancent encore la responsabilité des fruits de 75 années de laisser-faire. À tout le moins, depuis 1995, cette industrie est-elle assujettie à 17 lois, 25 règlements, deux politiques et deux directives, sous l’œil qu’on assure plus attentif du ministère de l’Environnement. 

Reste que de 1990 à 2000 le ministère des Ressources naturelles n’a investi que 14 millions de dollars à la restauration des sites inactifs. Son budget à cet effet n’a jamais dépassé quelques millions par année.

Voilà pourquoi une infime minorité des parcs à résidus miniers du Québec ont fait l’objet de travaux sérieux d’assainissement.

La situation devait s’améliorer à partir de 1995, le législateur faisant alors obligation aux exploitants miniers de déposer un plan de restauration et une garantie couvrant 70% des coûts des travaux de restauration des aires d’accumulation.

Là aussi, il y a eu négligence, nous apprend maintenant le Vérificateur. Québec n’a reçu que 109 millions $ d’une facture réelle de 350 millions $. Et le rapport constate en outre que  « le ministère des Ressources naturelles ignore les avis de l’Environnement et n’évalue même pas la fiabilité des tiers auxquels les mines refilent la responsabilité de restaurer les sites. »

Conscient peut-être de la consanguinité fréquente du MRNF et des entreprises sous sa houlette, le Vérificateur doute de la capacité du ministère « de réformer le secteur avec une vision axée sur l’intérêt public. » Et le Vérificateur de s’effarer de ce qu’aucun rapport d’inspection par ce ministère n’existe à propos de 56% des entreprises minières oeuvrant au Québec.

Ces critiques ont évidemment suscité une panoplie de réactions à la fois en régions et à Québec; rarement toutefois pour défendre le MRNF.

Serge Simard, ministre responsable du MRNF promet d’emblée un nouvelle politique sur les mines. Il s’agira d’une Xième politique dans l’histoire minière du Québec qui, toutes, prétendaient juguler les problèmes à la source.
Amir Khadir, député de Québec solidaire réclame lui aussi une refonte de la politique et de la loi sur les mines, précisant toutefois que ces nouveaux règlements devront mettre un terme aux passe-droits, au laxisme et aux abus.

L’Action boréale d’Abitibi-Témiscamingue, organisme qui en matière de mines se range sous la bannière de la coalition « Pour que le Québec ait meilleure mine » réclame une enquête publique et indépendante sur la gestion du MRNF.

Guère rassuré devant le tableau brossé par le Vérificateur, le Comité de vigilance de Malartic enfin, municipalité où doit s’implanter bientôt une gigantesque mine à ciel ouvert, aimerait qu’on en passe d’abord par un débat à l’échelle de la province avant de sortir les pelles pour de vrai.

Quant au député libéral de Rouyn-Noranda, Daniel Bernard (ingénieur géologue autrefois directeur exécutif de l’Association des prospecteurs du Québec), il se prononce à la fois pour la virginité et la famille sur un air de tarte aux pommes en décrétant que la population ne doit pas absorber les coûts de restauration des sites miniers.

De belles intentions, tardives, pour apaiser des populations régionales qui ont financé une part des centres d’affaires de New York, Toronto, Vancouver et Montréal, pour se retrouver un siècle plus tard riches de forêts épuisées et de terrains pollués.