Lock-out au Journal de Montréal

2009/04/15 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec Libre (SPQ Libre)

Le conflit au Journal de Montréal est d’une grande importance pour l’avenir de l’information au Québec. L’enjeu professionnel du lock-out est la réorganisation de la salle de rédaction - et par le fait même du travail des journalistes - dans le contexte de la convergence des médias de l’empire Quebecor et, de façon plus générale, de la crise qui affecte présentement les médias de la planète.

Au Québec, où deux grands groupes de presse, Quebecor et Gesca -  ce dernier propriété de Power Corporation - contrôlent 93 % de la distribution des quotidiens, il est de la plus haute importance que les forces souverainistes et progressistes s’intéressent à la résolution de ce conflit.

Poids médiatique et résultats électoraux

Est-il nécessaire de rappeler, pour souligner l’importance des médias, la concordance quasi parfaite, lors de la dernière élection québécoise, entre la couverture médiatique accordée à chacun des partis politiques et les résultats électoraux? Selon les données de la firme Influence Communications,  le Parti libéral a obtenu 42 % du vote avec un poids médiatique de 45 %, alors que le Parti Québécois a recueilli 35 % des suffrages avec 33 % de l’attention médiatique. L’ADQ a recueilli 16 % des votes avec 17 % du poids médiatique.

Les médias font et défont les gouvernements. Ce constat devrait inciter les progressistes et les souverainistes à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour profiter de la crise actuelle afin d’investir le champ des nouveaux médias. Mais cela ne devrait pas les empêcher de se préoccuper de ce qui se passe dans les grands médias traditionnels dont la domination va se poursuivre.

La faillite d’un modèle économique

Dans les pays occidentaux, le tirage des journaux est à la baisse. Aux États-Unis, des journaux prestigieux réduisent leur tirage et leur distribution, émigrent vers Internet ou ferment carrément leurs portes. Au Canada, l’empire Canwest, propriétaire entre autres du National Post et The Gazette, se verra sans doute contraint de se placer sous la protection des tribunaux.

La crise découle du développement d’Internet et des nouvelles technologies de communication qui ont sapé les fondements du vieux modèle économique des médias. Depuis ses origines, la presse écrite a toujours été associée à la publicité. Présentement, 80 % des revenus des journaux proviennent de la publicité.

Mais, avec les nouvelles technologies, la publicité a trouvé de nouveaux supports pour rejoindre ses publics cibles. Elle privilégie de plus en plus Internet et préfère des sites comme Facebook plutôt que les sites des médias. Au cours des prochaines années, elle sera de plus en plus présente sur les téléphones cellulaires.

Le vieux modèle économique des médias reposait également sur l’intégration verticale de la forêt jusqu’au papier. Power Corporation était propriétaire de la papetière Consolidated Bathurst et Quebecor World avait accédé au premier rang mondial de l’imprimerie. Puis, Paul Desmarais a vendu la Consol, a fermé les presses associées à ses journaux et fait aujourd’hui imprimer ses quotidiens par le Groupe Transcontinental.

Un nouveau modèle économique

Quebecor a attendu que ses imprimeries deviennent un fardeau avant de s’en débarrasser. Cependant, l’entreprise a réussi à faire converger télévision (LCN-TVA) et médias écrits, mais surtout à acquérir Videotron avec l’aide de la Caisse de dépôt et placement. Avec le contrôle du moyen de transmission de la télévision, de l’Internet et du téléphone, Quebecor est en voie de développer le modèle économique d’intégration verticale de l’avenir.

Son concurrent, Gesca, l’a imité avec son partenariat de convergence avec Radio-Canada, mais se trouve désavantagé, étant absent du domaine des télécommunications. La nomination à la tête de la Caisse de dépôt de Michael Sabia, l’ancien p. d.-g. de Bell Canada - concurrent de Quebecor dans le domaine des télécommunications - peut être interprétée comme faisant partie de la réplique de la famille Desmarais.

Il est à noter que Pierre-Karl Péladeau était absent de la rencontre organisée par les Demarais dans les bureaux de Power Corporation pour faire accepter Michael Sabia aux figures de proue du Québec Inc. et que c’est un journaliste de Quebecor qui se trouvait « par hasard » sur place pour révéler la tenue d’une telle rencontre.

L’un est fédéraliste, l’autre…

L’allégeance fédéraliste des journaux de Gesca est bien connue et Paul Desmarais a toujours refusé d’ouvrir ses pages éditoriales aux souverainistes, bien que 60 % de la population francophone ait voté Oui au référendum de 1995.

Sans être ouvertement souverainistes, les journaux de Quebecor ont publié au fil des années les chroniques de René Lévesque, Pierre Bourgault, Lise Payette et Bernard Landry. Mais, au cours des dernières années, Quebecor a étendu son empire au Canada anglais avec Sun Media et reçoit plusieurs millions en subventions du gouvernement fédéral. Quebecor exprime aujourd’hui son intention de transférer certaines des activités du Journal de Montréal en Ontario et publie de plus en plus de traductions d’articles qui représentent le point de vue du Canada anglais sur la politique canadienne et québécoise.

Unité contre les syndicats

Là, par contre, où les deux groupes, Gesca et Quebecor, font preuve de la plus totale unité, c’est dans leur anti-syndicalisme. Dans l’extrait d’une entrevue accordée à l’hebdomadaire français Le Point, censuré par les gens de Power Corporation, mais qui est parvenu à Robin Philpot qui l’a publié dans Derrière l’État Desmarais : Power, Paul Desmarais déclarait qu’il s’opposait à l’indépendance du Québec parce « que les séparatistes nous conduisent à la dictature des syndicats » (sic). Quant à Pierre-Karl Péladeau, les conflits de travail au Journal de Québec et de Montréal et à Videotron parlent d’eux-mêmes.

Un dernier rempart, la convention collective des journalistes

Qu’à l’époque de la convergence et des nouvelles technologies, le métier de journaliste doive se transformer, tous en conviennent, y compris les journalistes en lock-out du Journal de Montréal. Cependant, il faut s’assurer que cette transformation ne s’opère pas en fonction de considérations purement commerciales.

Aujourd’hui, le groupe Quebecor est le mieux placé du point de vue économique pour nous offrir une information de qualité. Contrairement à la plupart des entreprises de presse en Amérique du Nord, Quebecor Media est en pleine expansion et en excellente santé financière comme en témoigne la rémunération de 7 millions $ que s’est versé son patron cette année.

Si Pierre-Karl Péladeau a fait preuve de vision pour le développement économique de son entreprise, on ne peut en dire autant de sa conception de l’information. C’est pour cette raison que les Québécoises et les Québécois - qui sont un important actionnaire de Videotron par l’entremise de la Caisse de Dépôt - doivent appuyer résolument la cause des journalistes dans ce conflit.

Au Québec, les conventions collectives des journalistes forment le dernier rempart pour protéger le minimum de droit à l’information du public contre l’arbitraire, les caprices et les ingérences indues des patrons de presse.

C’est ce qu’ont compris les Lise Payette, Raymond Gravel et Bernard Landry en acceptant de mettre fin à leur chronique, même s’ils savaient qu’ils privaient par le fait même un large public du point de vue souverainiste sur les différentes questions de l’actualité.

C’est ce que n’a pas compris un Joseph Facal qui, non seulement refuse de mettre fin à sa chronique, mais en double le nombre, infligeant un retentissant camouflet aux journalistes du Journal de Montréal et à l’ensemble de la gent journalistique qui affiche une solidarité exemplaire avec leurs collègues de la rue Frontenac. Son geste est une véritable disgrâce pour le mouvement souverainiste.

Au Québec, nous faisons face à une extraordinaire concentration de la presse, sans nulle autre pareille à travers le monde occidental. Seule une intervention gouvernementale hardie pourrait y mettre fin et permettre l’émergence d’une presse plus diversifiée, reflétant les divers courants d’opinion de la population. Mais demain n’est pas la veille. En attendant, le principal combat pour la liberté de presse passe par la défense des syndicats des artisans de la presse contre les barons de cette même presse.