Élection du FMLN au Salvador

2009/04/20 | Par André Maltais

Pour la première fois de son histoire, à partir du 1er juin prochain, le Salvador sera gouverné par un parti de gauche!

Le 15 mars dernier, le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) avec, à sa tête, le journaliste Mauricio Funes, a remporté les élections présidentielles de ce petit pays jusque-là gouverné par des régimes militaires ou quasi militaires de la droite.

La population salvadorienne et le FMLN ont remporté l’élection malgré une campagne de peur financée à coups de millions de dollars par l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA), le parti au pouvoir depuis 20 ans dont le candidat à la présidence, Rodrigo Avila, était jusque-là le chef de la police nationale.

Tous les médias privés dont les principaux actionnaires sont membres de la direction de l’ARENA ont bombardé la population d’images de Fidel Castro ou de Hugo Chavez, accompagnées d’un discours usé à la corde sur le communisme que le FMLN, une fois élu, allait supposément imposer au pays.

Images d’enfants entraînés dans des camps de guérilleros, ordinateurs des FARC colombiens prouvant des liens avec le FMLN, financement de la campagne de ce dernier par les dollars pétroliers du Venezuela ou encore liens avec les célèbres Maras (gangs de rues salvadoriennes), rien n’a arrêté la terreur médiatique souvent alimentée par les dirigeants d’agences gouvernementales comme le ministère de l’Économie, le procureur général de la République et le Bureau de la concurrence.

Quatre jours avant les élections, cinq membres du Congrès états-unien ne se sont pas gênés pour déclarer à la Chambre des représentants qu’une victoire du FMLN affecterait les relations entre le Salvador et les États-Unis.

De nombreuses organisations latino-américaines de droite sont aussi intervenues dans la campagne électorale salvadorienne comme Fuerza solidaria (Force solidaire), un organisme vénézuélien qui a diffusé des messages à la radio pour soi-disant alerter la population du danger que le Salvador devienne un état satellite d’Hugo Chavez.

Mais les temps changent et, aujourd’hui, en Amérique latine, le « communisme » ou Hugo Chavez ne font pas peur à grand monde hormis à la droite elle-même.

Quant aux menaces de couper l’envoi d’argent aux familles salvadoriennes en provenance de parents vivant aux États-Unis, plusieurs analystes salvadoriens estiment qu’elles n’ont pas eu l’effet dissuasif des dernières élections parce que la crise économique et les déportations massives d’immigrants salvadoriens ont considérablement réduit les sommes envoyées.

En plus de la campagne d’intimidation, la population et les innombrables réseaux militants du FMLN ont dû composer avec un système électoral truffé d’irrégularités.

Par exemple, l’Organisation des États américains (OEA), à qui le gouvernement avait demandé un audit, a fait 57 recommandations à l’ARENA notamment de retirer de la liste électorale plus de 100.000 noms appartenant à des personnes décédées et de permettre l’accès public au registre des citoyens afin que les partis d’opposition puissent le comparer avec la liste électorale.

« Le Salvador, nous dit le journaliste de ce pays, Javier Diez Canseco, compte 5.800.000 habitants, mais une liste électorale de 4,337,000 votants. Mais imaginez! Près de 3é000.000 de personnes ont émigré depuis la guerre (…) et n’ont pas le droit de voter. Combien de ces émigrés font-ils encore partie de la liste électorale? »

Le tribunal électoral, contrôlé par l’ARENA, a répondu en tentant purement et simplement d’annuler l’accord de coopération avec l’OEA.

En outre, plusieurs organisations civiles regroupées dans Accion ciudadana para la democracia (Action citoyenne pour la démocratie) ont dénoncé l’existence d’un surplus de cartes appelées « document unique d’identité » qui sont distribuées à de nombreux étrangers (guatémaltèques, honduriens et nicaraguayens) introduits dans le pays pour voter en faveur de la droite.

Autant durant les élections législatives et municipales du 18 janvier que lors de la présidentielle du 15 mars, observateurs électoraux et représentants des partis d’opposition ont documenté la présence dans le pays de dizaines d’autobus d’étrangers de même que l’hébergement de grands groupes de ceux-ci dans des édifices gouvernementaux de San Salvador.

L’élection salvadorienne a été une confrontation politique directe entre les deux grands acteurs de la guerre civile des années 1980.

Guérilla créée à la fin des années 1970, le FMLN aurait facilement renversé le régime militaire au pouvoir n’eût été de l’intervention états-unienne qui, au plus fort de la guerre civile de 1980 à 1992, se montait à un million de dollars par jour!

Malgré cela, le FMLN a forcé le gouvernement salvadorien et les États-Unis à négocier un accord de paix grâce auquel la guérilla s’est transformée en parti politique. Depuis 1994, le FMLN a continuellement gagné des sièges à l’Assemblée législative et il représente maintenant la principale force politique du pays.

Mais, dit Ana Martinez, collaboratrice au Programme des Amériques du Center for International Policy (Centre pour la politique internationale), la tâche qui attend le nouveau président est colossale tellement sont élevées la corruption dans l’appareil gouvernemental, la détérioration des institutions et la misère de la grande majorité de la population.

Sans compter que l’économie dépend de celle en chute libre des États-Unis à laquelle elle est attachée par un traité de libre-échange et par les « remises » que les émigrés envoient à leur famille.

De plus, poursuit madame Martinez, la gauche n’a pas la majorité à l’Assemblée législative (35 députés contre 49 pour l’ensemble des partis d’opposition de droite et de centre-droite) pas plus qu’elle n’est représentée ni dans le système judiciaire, ni dans les hauts commandements de l’armée et des forces de sécurité ni dans une grande partie de l’appareil d’État.

Enfin, le passé de l’ARENA est très loin de garantir que ce parti va respecter les règles de la démocratie.

Fondé par Roberto d’Aubuisson, chef des services secrets de la garde nationale et créateur des escadrons de la mort qui ont tué des milliers d’opposants incluant l’archevêque Oscar Romero, en 1980, ce parti est l’un des régimes les plus réactionnaires, corrompus et répressifs d’Amérique latine.

Mais le gouvernement salvadorien ne sera pas seul puisque, le 15 mars dernier, le Salvador est devenu le onzième pays latino-américain à opter démocratiquement pour la gauche.

Ce mouvement régional imparable, lancé il y a dix ans par le Venezuela, a sans doute permis à la population salvadorienne de vaincre la peur d’un retour des atrocités du passé, de loin l’argument principal de la droite pour se maintenir au pouvoir.

En Amérique centrale, deux des trois organisations révolutionnaires combattues par les États-Unis dans les années 1980 sont maintenant au pouvoir : le FMLN au Salvador, et les Sandinistes de Daniel Ortega au Nicaragua.

La victoire salvadorienne signifie également un important changement géopolitique, conclut Javier Diez Canseco, puisque, avec le Salvador, l’une des deux principales bases politiques des faucons nord-américains en Amérique centrale vient de tomber.

L’autre, le Honduras, reste à droite, mais son président, Manuel Zelaya, furieux d’avoir été économiquement abandonné par les États-Unis et la communauté internationale, vient de joindre les rangs de l’ALBA, l’Alternative bolivarienne pour les Amériques formée par le Venezuela, Cuba, la Bolivie et le Nicaragua.