OUF !!! Paraît-il qu’on l’a échappé belle.

2009/05/06 | Par Michel Rioux

Quand il y a des pertes, évidemment c'est la faute à personne. Par contre, quand il y a des profits, c'est grâce à leur génie, leur sens des affaires, leur vision, leur compétence, leur talent sans limites. À ce moment-là, ils empochent sans vergogne les primes au rendement qu'ils se sont votées entre eux. Ils s'empiffrent comme des cochons vautrés dans l'auge collective.

- Pierre Falardeau


La catastrophe nous serait passée à deux pouces du cervelet. Un peu comme se sont sentis les fédéraux au lendemain du référendum volé, quand le vent soulevé par le boulet des urnes les a dépeignés pas à peu près.

Ainsi, on pense que la crise financière et économique qui frappe aussi bien les gouvernements, les banques, les compagnies d’assurances, les entreprises, les retraités, les travailleurs et les chômeurs est une véritable catastrophe et que rien de pire n’aurait pu arriver.

Les faillites bancaires auraient pu être plus nombreuses ? Plus encore de fermetures d’usines ? Des milliers de licenciements supplémentaires ? Encore davantage d’argent public pour tirer du pétrin ces chevaliers du privé ? Paraîtrait que oui.

Il a fallu l’intervention de deux grands esprits pour dessiller des yeux qui ne voyaient rien et ouvrir des oreilles qui n’entendaient que dalle. Deux grands esprits qui, en dépit du fait qu’ils soient d’ardents thuriféraires d’un néolibéralisme débridé, auront fait comprendre au bon peuple à quel point l’humanité a failli s’abîmer dans un précipice sans fond et dans un enfer sans fin.

N’eût été, selon leur théorie, de la compétence.

Oui, de la compétence. Celle de ces grands gestionnaires qui savent brasser des affaires, de ces administrateurs sagaces qui ne se trompent pas dans leurs décisions quotidiennes et à plus long terme, de ces financiers qui savent transformer en or le vil plomb et ne ratent jamais leur coup.

Ces deux grands esprits s’appellent Marcel Boyer et Claude Montmarquette. Deux éminents économistes de l’Université de Montréal. Boyer est président de Cirano et vice-président de l’Institut économique de Montréal. Boîtes où des idéologues de droite distillent un poison néolibéral. Il a beau battre de l’aile aujourd’hui, le néolibéralisme, il n’en continue pas moins de polluer les esprits.

Montmarquette est un pur produit du département de sciences économiques de l’Université de Chicago, alma mater du tristement célèbre Milton Friedman, qui, dans Capitalisme et liberté et dans La liberté du choix, a soutenu que la réduction du rôle de l’État dans une économie de marché était le seul moyen d’atteindre la liberté politique et économique. Vice-président de Cirano, signataire du manifeste des lucides avec les Bouchard, Pratte et Facal, il a produit, à la demande de feue Jérôme-Forget, un rapport dans lequel il préconisait une augmentation substantielle des diverses tarifications.

Avec de pareils états de service, comment ne pas faire confiance à ces deux grands esprits, même s’il leur est arrivé, comme l’actualité en fait aujourd’hui la cruelle démonstration, de brouter allègrement dans les pâturages de l’erreur en soutenant, avec les Friedman, Von Hayek et autres fossoyeurs, que l’État n’était pas la solution, mais bien le problème.

Avec 7000 milliards de dollars d’argent public qu’on a réquisitionnés pour venir à la rescousse de banquiers et d’entrepreneurs qui avaient bu comme du petit lait les théories des Chicago Boys, me semble que ces grands esprits devraient se garder une petite gêne… M’enfin !

Ils ont donc sévi à nouveau dans un texte publié dans La Presse du 31 mars. Et c’est là qu’ils ont fait connaître leur théorie de la compétence. « La compétence, ça se paie ! » Avec comme sous-titre : L’excellence et la haute performance coûtent cher parce qu’elles ont une grande valeur. Rien que ça !

C’est alors qu’on comprend qu’on avait tout faux jusque-là. Nous qui pensions que ces banquiers et autres faillis étaient des incompétents notoires, voilà qu’on nous explique que non, ces gens sont terriblement compétents et qu’en conséquence, il faut les payer superbement. Ça s’appelle prendre le contrepied d’une idée reçue.

À moins, cependant, qu’on ne veuille rire du monde, tout simplement.

Compétents, vraiment, des gestionnaires qui prennent une entreprise cotée à 124 dollars à la Bourse et font fondre sa valeur à 9 cents, comme on a réussi à le faire chez Nortel. Mais la compétence se paie : un programme global de 45 millions a été mis en place pour « garder et récompenser certains employés qui sont d’une importance capitale dans la réussite future de Nortel ».

Compétents, vraiment, ces six administrateurs de BCE, dont la rémunération totale a atteint 43,7 millions de dollars en 2008 ? Compétent, vraiment, ce Michael Sabia qui a fait patate chez BCE et qui, pourtant, après moins de dix ans dans l’entreprise, est parti avec 21 millions de dollars et encaisse « depuis septembre dernier une rente de retraite viagère d’au moins 9 687 000 millions par année » ?

Boyer et Montmarquette, dont il semble bien que rien ne pourra ébranler l’entêtement néolibéral, écrivent ceci : « La compétence, l’excellence et la haute performance coûtent cher parce qu’elles ont une grande valeur. Certains sont plus doués ou plus productifs ?naturellement?, d’autres ont acquis au prix d’importants sacrifices des compétences utiles et pertinentes, d’autres enfin travaillent plus et plus fort : ces gens gagnent plus. Il n’y a ni miracle ni pensée magique dans le domaine de la rémunération : tout est affaire d’offre et de demande et aussi d’incitation à l’acquisition de compétences, à la performance et à la pertinence en matière de capital humain. »

Ils concluent en affirmant : « Pay peanuts, get monkeys. » Un regard rapide sur le monde de la finance et des affaires nous conduirait plutôt à soutenir : « Pay millions, get monkeys. »

Cet article paraît dans l’édition du mois de mai du journal Le Couac