Le capitalisme casse

2009/05/29 | Par Claude G. Charron

Ou c’est l’humanité qui casse.

C’est bien ce message qu’a transmis Hervé Kempf alors qu’en avril dernier, il est venu faire la promotion de son plus récent essai, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, (1) titre tout aussi provocateur que son avant-dernier livre: Comment les riches détruisent la planète.

Le capitalisme aurait donc fait son temps aux yeux de ce Voltaire moderne. Et, afin d’assurer la survie de l’humanité, il devrait se faire harakiri. La question qui tue: avons-nous la volonté et les moyens de réaliser un tel exploit?

Mais que reproche donc Kempf au capitalisme pour en souhaiter ainsi son évaporation? Il accuse. La financiarisation à l’excès de l’économie lui aurait fait perdre l’état d’âme qui fit un temps sa force.

Max Weber avait placé l’éthique protestante au cœur de l’esprit du capitalisme naissant. «L’austère bourgeoisie prétendait instaurer un règne vertueux et rationnel où l’économie serait gouvernée par les règles du marché, aucune puissance ne pouvant en faire dévier le juste accomplissement.»

Idéal évaporé se désole l’auteur. Dorénavant, le capitalisme prospère sur le lucre, l’exhibitionnisme et le mépris des règles collectives. Et Kempf de se référer à Thorstein Vleben qui, en 1899, disait déjà que l’économie des sociétés humaines était dominée par la tendance à rivaliser, le but essentiel de la richesse n’étant donc plus de répondre à un besoin matériel, mais d’assurer une «distinction provocante».

Kempf: «Dans les trois dernières décennies, le capitalisme a réussi à imposer totalement son modèle individualiste de représentation et de comportement, marginalisant les logiques collectives qui freinaient alors son avancée.» Et Kempf d’ajouter: «La corruption répand l’idée qu’est le plus estimable non pas le plus vertueux mais le plus malin.»

Jusqu’au déclenchement de la crise actuelle, les gens n’ont donc tiqué, ni sur les bonus, ni sur les stocks options, ni sur les faramineuses primes de départ que nos oligarques financiers s’accordaient.

Kempf fait grand état de la courbe Frydman et Saks qui révèle que, pendant les «trente glorieuses», les revenus moyens des trois dirigeants des cent plus grandes firmes étasuniennes n’ont pas été plus de cinquante fois supérieurs aux revenus moyens des salariés; mais que depuis 1980, ces revenus n’ont cessé de grimper, pour maintenant se situer comme trois cent fois supérieurs à la moyenne des seconds.

Alors que révolution informatique et mondialisation des échanges semblaient améliorer le niveau de vie de chacun, le danger d’éclatement de tout le système était là, et Kempf en avait fait mention dans Comment les riches : «Nous sommes entrés dans un état de crise écologique durable et planétaire. Elle devrait se traduire par un ébranlement prochain du système économique mondial.»

Quelles solutions l’auteur envisage-t-il pour sauver la planète? D’abord, Kempf se déclare non-marxiste, continuant à croire aux vertus du marché afin d’assurer une distribution efficace des ressources. Tout en privilégiant le commerce régional afin de diminuer les frais de transport et économiser ainsi l’énergie.

Mais il n’est pas pour autant anarchiste car, à son avis, les États ont à jouer un important rôle de régulateur de l’économie. Ceux-ci doivent plafonner les salaires des dirigeants d’entreprise et renouveler avec la formule, qui dans le passé - question de mieux distribuer la richesse -, faisait que le taux d’imposition croissait, davantage qu’aujourd’hui, en fonction du revenu de chacun. On comprendra que tout cela suppose des ententes internationales quant à l’élimination de ces sacrés paradis fiscaux. Ouf !

Kempf souhaite donc que ce soit dorénavant les nations et non l’argent qui établissent l’ordre du monde. Et comme il sait bien que les grandes entreprises ne cesseront d’agir qu’en fonction des profits à réaliser, il souhaite ardemment un plus grand apport du mouvement coopératif dans l’économie.

Mais sa grande préoccupation demeure les risques que court la planète face à l’exploitation excessive des ressources. Qui s’accroissent à mesure que les pays émergents, comme la Chine et l’Inde, réussissent à améliorer le bien-être général de leur population.

Pour diminuer la quantité de dioxyde de carbone qu’émet l’utilisation des énergies fossiles, Kempf croit qu’il faut surtout opter pour les économies d’énergie. Et celles-ci doivent d’abord se réaliser chez les nations développées car, aux nations les plus pauvres, il faut donner tous les moyens pour extraire leur population de l’extrême pauvreté. La paix ne pourra s’établir que s’il y a une meilleures égalité entre êtres humains et entre nations. Chose que ne peut faire le capitalisme à l’état pur.

Concluons en nous demandant comment le grand capital répond aux préoccupations et propositions de Kempf.

Quelques jours après que celui-ci fasse salle comble à Montréal, un certain Jack Kemp passait l’arme à gauche aux États-Unis. Un Kemp qui n’a de similitude que de nom avec le Kempf français.

Or, il arriva que le Wall Street Journal, qu’on sait en mauvais termes avec Barack Obama, a consacré un éditorial au défunt. On y formait le vœu que les Républicains puissent renouer avec les “Kempian proposals to address middle-class economic anxieties and revive broadly shared prosperity.(2) Longue vie au capitalisme, dixit Wall Street!

Et chez-nous, il y eut un Mario Roy - toujours paré pour les basses œuvres - qui s’en est directement pris à Hervé Kempf. Critiquant ses idées tout autant que celles de Québec solidaire, il a écrit que ces deux courants concourent à la disneylandisation du débat politique. (3) Longue vie au capitalisme, dixit Power Corp. !

(1)

Seuil, Paris 2009

(2)

Capitalist for the commun man, Wall Street Journal, 4 mai 2009. Reproduit le lendemain dans le National Post. Kemp a été secrétaire aux logements de l’Administration Bush-père, avant de devenir colistier à la vice-présidence du candidat Bob Dole aux élections présidentielles de 1996. Qui furent remportées par le tandem Clinton-Gore.

(3)

La «disneylandisation» de la politique, La Presse, 6 mai 2009

Cet article paraît dans l’édition du mois de juin du Couac.