Un aveuglement coupable

2009/05/29 | Par Yves Lévesque

Madame Marguerite Blais
Ministre responsable des Aînés
Ministère de la Famille et des Aînés


Madame,

Les articles des deux dernières semaines, parus dans La Presse sous la plume d'Ariane Lacoursière, concernant le manque de formation du personnel des centres d'hébergement privés pour personnes âgées, ainsi que des limites du processus de certification de ces résidences, auraient pu en surprendre plus d'un. Pas moi! Ce qui m’a surpris, c’est votre réaction, décrite comme étant « ébranlée par les reportages de La Presse sur les résidences privées pour aînés ». Quelle hypocrisie outrecuidante! Il me fait d'ailleurs plaisir, pour le bénéfice des lecteurs, d'en étaler la profondeur.

À titre de ministre, vous avez certainement pris connaissance, depuis votre entrée en fonction, de la documentation abondante produite par le Conseil des aînés concernant la situation du vieillissement au Québec, situation pourtant déjà connue depuis la fin des années '70. La plupart des avis et des mémoires de ce Conseil, à partir de 2007, dans son État de situation sur les milieux de vie substituts pour les aînés en perte d’autonomie, « laissent voir que ce secteur de services s’est profondément modifié sans planification structurée ».1

Dans ses recommandations, le Conseil demandait « l’assurance de la qualification et de la formation continue du personnel travaillant tant à domicile qu’en hébergement ». Une telle recommandation aurait dû vous mettre la puce à l'oreille quand à la situation prévalant dans les résidences privées.2

À la suite de votre Consultation publique sur les conditions de vie des aînés, vous avez vousmême fait le tour de la situation des besoins des personnes aînées. Vous avez été assistée dans vos travaux par des sommités dont le Dr Réjean Hébert, doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, qui vous a déjà reproché publiquement de ne pas avoir été assez loin dans vos recommandations, et qui mentionnait que le système
actuel méritait un électro-choc. Voici les termes qu’il utilisait lors d’une entrevue au quotidien sherbrookois La Tribune :

Je suis déçu. De mes quatre principales recommandations, aucune n’a été retenue. Le gouvernement consacrera 400 millions de dollars sur cinq ans, mais ça ne fait que 80 millions par année. Il faudrait investir 500 millions pour toujours dans le système. Il faut repenser le maintien à domicile. Ce qui est proposé, ce n’est pas assez. 3

L'incendie de janvier dernier, dans la résidence privée « Belle Génération », aurait également dû vous alarmer quand au nombre insuffisant des critères de certification dans les résidences privées pour personnes âgées. Il s'agissait pourtant d'un établissement déjà certifié, mais qui n'avait qu'un surveillant de nuit (pour 70 résidants) lors de l'incendie…

N’êtes-vous pas au courant également des demandes répétées des représentantes et représentants des centrales syndicales concernant la nécessité de formation des travailleuses du secteur privé? La création d'une mutuelle de formation annoncée récemment comprenant les employé-es des résidences privées, les syndicats et Emploi-Québec est un bon début. Il en faudrait plus, cependant, pour redorer votre blason.

Les employé-es des établissements d’hébergement privés que je représente désirent ardemment avoir une formation au moins équivalente à celle du secteur public. Il est courant dans ces établissements que l’on impose à des personnes, quelle que soit leur fonction (cuisinière, préposée à l’entretien, préposée aux bénéficiaires), de donner des soins alors qu’elles n’ont pas la formation nécessaire.

Votre aveuglement coupable face à cette situation ne peut s'expliquer que de deux manières : l'une idéologique, soit la volonté forcenée de votre parti de réduire la taille de l'État (donc du secteur public), coûte que coûte, peu importe les conséquences; l’autre, complémentaire, ce serait que vous vous moquez de nous quand vous affirmez être ébranlée…
 
Le problème, dans un cas comme dans l’autre, croyez-moi, c’est que ce sont les personnes âgées qui en pâtissent.

Madame la Ministre, est-ce que le clown, c’est vous?

Madame la Ministre, l’heure est venue de vous ressaisir!

Yves Lévesque

L'auteur est représentant du secteur des établissements privés et communautaires à la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), et a participé aux travaux à l'origine du document CSN : Services aux personnes âgées : Plateforme pour une vision sociale et positive du vieillissement récemment publié.

1 Avis sur les milieux de vie substituts pour les aînés en perte d'autonomie, Conseil des Aînés, septembre 2007.
2 La documentation du Conseil des Aînés peut être trouvée à l'adresse suivante: www.conseil-des-aines.qc.ca.
3 La Tribune, Plan d’aide aux aînés : « Pas assez », dit le Dr Réjean Hébert, 20 mars 2008.