Obama a-t-il lâché les syndicats?

2009/09/03 | Par Paul Martineau

Les jeunes adéquistes qui ont proposé le mois dernier d’abolir la formule Rand pour rendre plus difficile la syndicalisation des entreprises québécoises n’ont pas réussi à faire beaucoup de chemin avec leur idée, même au sein de leur parti.

Mince consolation pour eux, il semble maintenant que les Républicains américains considèrent leur initiative comme une véritable « bataille pour la civilisation », rien de moins.

Car selon la droite et les milieux d’affaires des États-Unis, le modèle de syndicalisation à la québécoise constitue maintenant « l’une des deux menaces fondamentales à la société », aux côtés de l’Islam radical d’Oussama Ben Laden.

C’est ce qui ressort d’un dossier publié récemment par le magazine américain Harper’s, sous la plume du journaliste Ken Silverstein.

Le mouvement syndical américain a bien connu quelques victoires depuis l’élection de Barack Obama, souligne l’auteur. Le président s’est assuré que les projets de construction du gouvernement fédéral fassent appel à de la main-d’œuvre syndiquée dans la mesure du possible.

Il a décrété que les entrepreneurs fédéraux ne pourraient plus réclamer de remboursement d’impôt pour certaines dépenses dans le cadre d’activités anti-syndicales. Il a aussi signé une loi qui rend beaucoup plus facile les recours devant les tribunaux pour les employés victimes de discrimination salariale.

Mais la pièce de résistance, pour le mouvement syndical, se fait toujours attendre. Il s’agit du Employee Free Choice Act (EFCA), un projet de loi qui instaurerait un système de syndicalisation à la québécoise et permettrait enfin de faire grimper le taux de syndicalisation des travailleurs américains.

À peine 12 % de la main d’œuvre du pays est présentement syndiquée, contre près d’un tiers de la main d’œuvre au Canada et plus d’un quart au Royaume-Uni.

La loi actuelle rend la formation d’un syndicat extrêmement difficile aux États-Unis. Si 30 % des employés signent une carte d’adhésion au syndicat dans un milieu de travail, les autorités fédérales superviseront un long processus électoral, pendant lequel le patron a les mains libres pour combattre la syndicalisation. Le processus se conclut par un vote secret.

Si l’EFCA était adopté, le syndicat serait automatiquement reconnu lorsque plus de 50 % des employés signent leur carte. Une pratique similaire à celle du Québec et de la plupart des pays industrialisés, rappelle le magazine.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit aussi l’intervention automatique d’un arbitre après un délai de 120 jours si un employeur et un syndicat nouvellement accrédité n’arrivent pas à s’entendre sur un premier contrat de travail.

Comme l’explique le journaliste de Harper’s, l’EFCA est vu comme une sorte d’« Armageddon » par les dirigeants d’entreprises et leurs alliés du Parti républicain.

Ceux-ci ont lancé une vaste campagne pour combattre le projet de loi, engageant au moins 126 lobbyistes officiels pour convaincre des sénateurs de le bloquer, explique le magazine. Pilotés par d’ex-hauts fonctionnaires de l’administration Bush et financés par des géants de l’industrie dont Wal Mart, les opposants ont créé de toutes pièces des coalitions et de soi-disant « groupes citoyens » pour le combattre.

Ils ont dépensé des dizaines de millions en publicités négatives, en plus d’inonder les lignes ouvertes et de financer des études « indépendantes » que les élus républicains ont brandi pour dénoncer l’EFCA.

Dans leur discours, un système de cartes syndicales à signer priverait les travailleurs de leur « droit sacré » à une élection à scrutin secret. Lors d’un appel conférence sur le sujet l’automne dernier, c’est l’ancien PDG de la chaîne Home Depot qui a parlé « d’effondrement de la civilisation » en cas d’adoption d’une telle loi. Et le magnat de l’hôtellerie Sheldon Adelson a élevé publiquement l’EFCA au rang de « menace fondamentale à la société », au côté de l’Islam radical.

Si les chambres de commerces et le patronat met autant d’efforts à empêcher l’arrivée d’un nouveau processus de syndicalisation, c’est que le système actuel à vote secret leur laisse les coudées franches pour empêcher les travailleurs de s’organiser, rappelle le journaliste.

Une fois que les employés ont signé leur carte syndicale, la longue période électorale avant le vote secret laisse le temps au patron d’organiser des réunions obligatoires de propagande anti-syndicale. Ces séances devant un auditoire captif se déroulent fréquemment sur les heures de travail et les pro-syndicaux n’y ont pas droit de parole.

Le renvoi de militants syndicaux et l’intimidation d’employés durant cette période sont carrément devenus des pratiques routinières, rappelle l’article. Même l’ONG de défense des droits Human Rights Watch s’est penché sur la question, ajoute l’auteur, et a conclu que les entreprises trouvaient maintenant normal de payer des amendes pour certaines de ces pratiques déloyales. Elle y voient « un coût associé à la conduite des affaires, un mince prix à payer pour vaincre les tentatives d’organisation des travailleurs ».

Le journaliste cite d’ailleurs un organisateur syndical des Métallos américains, qui résume bien la situation actuelle.

« Si le patron ne veut vraiment pas de syndicat et qu’il est prêt à dépenser ce qu’il faut, vous ne pouvez pas gagner », explique le permanent syndical.

« Ils engagent des firmes anti-syndicales (Union-Busting Firms) qui chargent 600 $ à 1000 $ de l’heure, et ils sont très bon dans ce qu’ils font. À la fin de la journée, ils ne font que renvoyer, menacer et harceler les leaders. Même si vous arrivez à dépasser ça et que les travailleurs votent pour un syndicat, vous devez encore aller chercher un contrat de travail. Et si vous n’en avez pas à l’intérieur d’un an, ils peuvent entamer un processus de décertification du syndicat. »

« Rendu là, les travailleurs sont désillusionnés, on a abusé d’eux, certains ont été renvoyés, et ils commencent à reculer », explique le militant d’expérience.

Le moment est maintenant crucial pour le mouvement syndical américain, conclut l’article. Le projet de loi est appuyé par l’écrasante majorité du Congrès, mais au Sénat cette majorité est plus mince, certains sénateurs démocrates s’étant rangé du côté du patronat. Les Républicains pourraient donc peut-être utiliser la manœuvre du « filibuster » pour bloquer indéfiniment son adoption, sans être capables de forcer son rejet pur et simple. Quant au président Obama, qui avait martelé l’importance de l’EFCA lors de sa campagne, il est complètement muet sur le sujet depuis son élection…