Santé : l’échec d’Obama après celui de Truman?

2009/09/11 | Par Pierre Dubuc

Le président Barack Obama a livré un remarquable discours pour appuyer sa réforme du système de santé américain. Mais il affronte une formidable opposition dans la coalition des compagnies d’assurances, des compagnies pharmaceutiques et du Parti républicain.

Au cours des dernières semaines, le débat a pris une coloration raciste avec les charges à fond de train des Républicains dans les assemblées publiques, les radio et les télé poubelles et au Congrès. On a même vu le Représentant républicain de la Caroline du sud traiter le président de menteur lors de son allocution devant le Congrès. La droite raciste qui n’a jamais accepté l’élection d’un président noir se sert de ce débat comme d’un match revanche.

L’opposition à la réforme n’est pas sans rappeler celle qui avait fait échouer une réforme similaire proposée par le président Truman. Dans L’Amérique que nous voulons, l’économiste Paul Krugman, chroniqueur au New York Times et Prix Nobel d’économie la décrit ainsi : 

« En 1946, Truman a proposé la création d’une assurance maladie nationale à payeur unique, comparable au système canadien actuel. Au départ, ce projet semblait avoir de bonnes chances d’aboutir.

« Mettre en place une assurance maladie nationale dans les années 1940 aurait été beaucoup plus facile qu’aujourd’hui. Les dépenses totales de santé en 1946 ne représentaient que 4,1% du PIB contre plus de 16% actuellement.

« De plus, puisque dans les années 1940, l’assurance maladie privée était encore une branche assez peu développée, les compagnies d’assurances ne constituaient pas encore le puissant groupe de pression que l’on sait. Quant au lobby pharmaceutique, il ne deviendra une force de grande envergure que dans les années 1980. Enfin, l’opinion publique de 1946 était très favorable à une assurance maladie garantie.

« Mais la tentative de Truman a échoué. Échec dont la responsabilité incombe largement à l’American Medical Association (AMA), qui a dépensé 5 millions de dollars pour combattre son projet – si l’on réajuste ce chiffre à l’envergure actuelle de l’économie, ce serait l’équivalent de 200 millions de dollars.

« Abusant manifestement de la relation médecin-patient, l’AMA, dans son effort pour empêcher la création d’une assurance maladie nationale, a mobilisé les médecins de famille favorables au plan de Truman, jusqu’à réclamer qu’on leur refuse les ‘‘privilèges hospitaliers’’.

« Aujourd’hui encore, on est scandalisé de lire en quels termes elle demandait aux praticiens de faire un cours à leurs malades sur les vices de la ‘‘médecine socialisée’’.

« Cela dit, l’AMA n’a pas vaincu le projet de Truman à elle seule. Une autre force d’opposition à l’assurance maladie nationale a été cruciale : les démocrates du Sud. Financièrement, le système aurait apporté un pactole au Sud pauvre, où beaucoup de gens ne pouvaient s’offrir des soins médicaux convenables. Néanmoins, les politiciens du Sud l’ont combattu, parce qu’ils estimaient qu’une assurance maladie nationale imposerait à la région l’intégration raciale de ses hôpitaux.

« (Ils avaient probablement raison. Quand l’assurance maladie des personnes âgées, Medicare, très proche à bien des égards du système que Truman voulait instaurer pour tout le monde, a été créée en 1966, l’une des conséquences a été la déségrégation des hôpitaux sur tout le territoire américain.)

« Aux yeux des dirigeants politiques du Sud, il était plus important de maintenir les Noirs hors des hôpitaux blancs que de donner aux Blancs pauvres les moyens d’être soignés. »

(Paul Krugman, L’Amérique que nous voulons, Flammarion, 2007)

À noter que Paul Krugman semble avoir jeté l’éponge à propos de la réforme en cours du président Obama. Dans une de ses dernières chroniques du New York Times, après avoir rappelé que le lobby des compagnies d’assurance dépense 1,4 million par jour pour influencer les membres du Congrès, il écrit qu’il est même douteux que la réforme voit le jour.

Il conclut : « Je ne veux pas dire que les réformateurs doivent abandonner. Toutefois, ils doivent réaliser l’ampleur des forces auxquelles ils font face. On a beaucoup parlé du fait que Barack Obama serait un président de ‘‘changement’’, mais les vrais changements requièrent bien plus que d’élire un président télégénique. En fait, pour changer le cours de ce pays, il va falloir des années d’une guerre de tranchée contre des intérêts défendant un système politique profondément dysfonctionnel. ».

(Missing Richard Nixon, 30 août 2009)