Le Moulin à paroles tournera-t-il encore ?

2009/09/28 | Par Jacques Beaumier

Les pales du Moulin à paroles ont cessé de tourner. Les grains de notre littérature et des discours politiques de notre histoire qui y ont été moulus sont maintenant engrangés dans la tête des milliers de personnes qui ont assisté à la manifestation ou l’ont visionné sur internet.

Plusieurs se sont réjouis de son succès, d’autres ont souhaité  qu’il se répète, peut-être pour souligner notre victoire à Sainte-Foy dont nous célébrerons, à son tour, le 250anniversaire l’an prochain, certains ont exprimé le souhait qu’il devienne un exercice d’histoire vivante dans nos écoles.

Tant de réactions positives est le signe que le Moulin à paroles a touché les cœurs et les esprits de nombreux Québécois. Après ces réjouissants constats, il nous reste maintenant à en tirer quelques leçons.

 

Nous avons besoin des artistes

Première observation : nous ne ferons pas l’indépendance du Québec sans les artistes. S’ils ont réussi à faire la Révolution tranquille avec quelques hauts fonctionnaires, comme se plaît à dire Jacques Parizeau, leur retour depuis les élections fédérales d’octobre 2008 avec ce clip génial du « phoque en Alaska » n’a fait que nous faire sentir à quel point ils nous avaient manqué ces dernières décennies.

Il a fait bon de les revoir en grand nombre, en cette fin de semaine des 12 et 13 septembre derniers, remonter sur les planches pour nous dire qu’ils faisaient partie d’un peuple venu de quelque part et qu’ils étaient là pour l’encourager à  poursuivre son destin.

 

À l’image de leur société

Mais aussi, force est de constater que les artistes sont à l’image de leur société. Ainsi, lors des deux conférences de presse tenues par les organisateurs, le 4 août à Québec et le 1er septembre à Montréal, ils ont insisté fortement pour dire que ce serait un événement « rassembleur » en annonçant que même le premier ministre Charest avait été invité à lire un texte.

Avec conviction, ils ont voulu donner l’impression aux journalistes qu’il s’agirait d’un événement plus culturel que politique. Comme nous le savons maintenant, c’était bien le cas. Mais cette intention cachait une contradiction qui n’allait pas échapper aux radios-poubelles de Québec lorsque la liste des lecteurs fut connue.

Ce sont des révélations accidentelles, véritable heureux malheur, qui ont lancé toute l’affaire. D’abord, l’annonce de la présence de Patrick Bourgeois, ce militant indépendantiste cible de choix de ces radios, a amené le maire LaBeaume à se désister de crainte de se retrouver dans un guet apens politique.

Puis, alors que la liste des textes ne devait pas être dévoilée, la nouvelle à l’effet qu’on y lirait le manifeste du FLQ allait propager dans toute « la province », comme on dit maintenant à Radio-Canada, l’incendie qui brûlait déjà à Québec depuis quelques jours. Le Moulin à paroles a failli y passer.

Et là, nous avons vu des artistes, une metteure en scène, deux chanteurs et comédiens, représenter l’autre face de notre identité collective. Ils se sont tenus debout dans la tempête, illustrant tout notre entêtement à résister, à s’accrocher à ce que nous sommes.

Ciel que cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu des nôtres se tenir aussi droit !  Ce n’est que plus tard que les renforts sont arrivés et que les leaders de la cause souverainistes ont pris la défense du Moulin.

 

Être rassembleur

Et c’est ainsi, bien involontairement, que le Moulin à paroles a rassemblé l’ensemble des organisations souverainistes et créé un consensus unique depuis la défaite du dernier référendum.

Aucune dissidence ne s’est exprimée et plus étonnant encore, c’est autour de notre droit à entendre le Manifeste du FLQ que ce consensus s’est formé. Nous devons nous interroger sérieusement sur notre manie à vouloir être rassembleur au point de dénaturer ce que nous avons à dire. Il faudra bien en venir à accepter que dans notre marche vers notre indépendance, nous aurons nous aussi, nos « Loyalistes ».

Nous perdrons des Gagnon-Tremblay, des Pratte et des Charest pour gagner des Mervil, des Philpot et des Haentjens.

 

Être chef 

Par ailleurs, nous ne pourrons pas laisser indéfiniment, sur les seules épaules des artistes, la tâche qui revient habituellement aux « politiques » d’exercer un leadership dans notre marche vers notre libération nationale.

Ce n’est pas parce que nous avons choisi la voie électorale pour accéder à l’indépendance que nos chefs doivent se défiler pour souligner les grands moments de notre histoire collective.

Une déclaration solennelle, le dépôt d’une gerbe de fleurs au pied d’un monument aux morts, une page de publicité payée dans un journal ne suffisent pas.

Puisque le Moulin à paroles a su rassembler les souverainistes de tous les horizons, que les chefs prennent acte de ce qui vient de se passer.

S’il est légitime de se demander si le Moulin à paroles tournera encore, il l’est encore davantage de s’attendre à ce que nos chefs souverainistes fassent le nécessaire pour le faire tourner à nouveau.

Au Conseil de la souveraineté de la capitale nationale, nous sommes très fiers d’avoir posé la première pierre du Moulin à paroles et d’avoir actionné le timon pour l’exposer au vent debout.


Au nom du conseil d’administration
Jacques Beaumier
Président du Conseil de la souveraineté de la capitale nationale