Sables bitumineux

2009/09/29 | Par Hélène Laflamme

L’auteure est membre du Groupe de simplicité volontaire de Québec.

Les réserves pétrolières enfouies dans les sables de l’Alberta sont parmi les plus grandes au monde, bien plus grandes que celles de l’Iran, de l’Irak et du Koweït. Pas surprenant que les entreprises pétrolières soient si agressives dans leur exploitation. C’est la manne, d’autant plus que les gouvernements de l’Alberta et du Canada leur laissent grande liberté.

Au départ, compte tenu des coûts d’extraction et de traitement élevés, l’industrie était peu intéressée aux sables bitumineux. Aujourd’hui, le coût élevé du pétrole rend cette production intéressante sur le plan économique et le rythme d’exploitation s’est emballé.

De 1995 à aujourd’hui, la production est passée de 400 000 à 1 200 000 barils par jour. Elle augmente d’une façon fulgurante et devrait atteindre 4 000 000 barils par jour en 2020 avec l’accord des gouvernements. Mais qu’en est-il sur les plans environnemental et social? Quels sont les coûts que les générations futures auront à payer?

 

Le bitume

Le bitume est un mélange d’hydrocarbures très lourds stockés dans les sables de l’Alberta. On ne peut pas le pomper comme le pétrole conventionnel. Il est attaché au sable. Chaque grain de sable est enveloppé par une fine pellicule de bitume. Et ce sable est enfoui en profondeur sous la forêt boréale.

Pour l’exploiter, la principale façon utilisée actuellement est de raser la forêt et les tourbières de la région, d’enlever l’épaisse couche de sol (souvent plus de 50 m), de prélever les énormes quantités de sables bitumineux, de les transporter vers l’usine et de les traiter pour en extraire le bitume. C’est une immense mine à ciel ouvert, avec son usine de traitement, ses montagnes de mort terrain et ses parcs à résidus.  

 

Les impacts environnementaux et sociaux

D’immenses superficies de la forêt boréale sont ou seront ainsi détruites à jamais. On transforme la forêt boréale en cratères lunaires. Même si les essais de restauration en cours étaient fructueux, ils ne pourront jamais reconstituer la biodiversité et la richesse d’un milieu naturel qui a pris des millénaires à se former.

De plus, cette production est très polluante. Avant même le traitement des sables, la simple destruction des grandes tourbières de cette région dégage une grande quantité de méthane, un des principaux gaz à effet de serre. Ces émissions ne sont pas considérées dans les calculs des gaz à effets de serre dégagés par l’exploitation des sables bitumineux.

Quant aux processus d’extraction, ils polluent à la fois l’air (CO2 et  SO2 principalement), l’eau (méthane, xylène, benzène, mercure, arsenic, etc.) et les sols. Le CO2, un gaz à effet de serre, et le SO2, un polluant responsable des pluies acides, sont les principaux polluants atmosphériques.

Les efforts déployés pour diminuer ces émissions sont en partie annulés par l’augmentation fulgurante de la production.

Une énorme quantité d’eau de surface et de la nappe phréatique est utilisée pour extraire le bitume des sables. Les eaux usées sont chargées de polluants tels que des métaux lourds et des solvants.

Ces eaux sont stockées dans d’énormes réservoirs de rétention afin d’être réutilisées. Il en résulte des lacs artificiels pollués. En 2008, 500 canards ont trouvé la mort dans un de ces réservoirs de stockage.

De plus ces réservoirs sont difficiles à contrôler et des polluants peuvent être rejetés dans la rivière ou s’infiltrer graduellement dans les sédiments, les écosystèmes et la nappe phréatique.

Avec le temps, la toxicité risque de s’amplifier. La rivière qui draine le territoire d’exploitation se déverse dans le lac Athabasca. Les résidents d’un village amérindien établi sur les rives de ce lac, situés 200 km en aval des installations, sont de plus en plus inquiets. Depuis quelques années, des maladies graves frappent leur communauté à une fréquence anormale.

 

Les nouvelles technologies

De nouvelles technologies sont en développement. L’exploitation in situ par exemple consiste à creuser des puits horizontaux dans le sol, d’y injecter de la vapeur d’eau pour ramollir le bitume et ensuite le pomper.

Aujourd’hui, ce procédé est utilisé pour l’extraction d’environ 12% du pétrole tiré des sables bitumineux. Toutefois, ce procédé est plus coûteux et on ne connait pas encore ses impacts à long terme sur les habitats naturels et la nappe phréatique.

Lors de la visite de M. Obama en février dernier, nos dirigeants ont parlé du captage et stockage du carbone dans le processus d’extraction des sables bitumineux. Une technologie à mettre au point pour minimiser les émissions de CO2.

Toutefois, cette technologie sera coûteuse et longue à mettre au point et l’industrie ne semble pas prête à investir pour le faire. Elle demande aux gouvernements de fournir les fonds nécessaires pour la mettre au point. Mais il ne semble pas être question de ralentir la production en attendant la nouvelle technologie.

Rappelons que le captage de CO2 ne règle pas les autres problèmes environnementaux générés par le mode d’exploitation actuel des sables bitumineux de l’Alberta.

 

Riche et irréfléchi…

Le Canada est un pays riche. Riche de posséder de grandes forêts boréales qui sont les poumons de la planète. Il est riche aussi de ses grandes réserves pétrolières dans les sables bitumineux enfouis sous cette forêt.

Que veut-on faire de ces grandes richesses? Est-on vraiment si pressé de détruire la forêt boréale et d’exploiter les sables bitumineux au point de ne pas prendre le temps de bien le faire?

L’accélération du rythme d’exploitation que l’on connait actuellement ne ressemble-t-elle pas à du pillage? Sommes-nous en train de nous laisser déposséder de nos richesses comme d’autres pays l’ont été avant nous? Nous vivons dans un pays riche et nous avons des choix à faire.