Tournée du Front commun

2009/10/21 | Par Claude Girard

« Je suis fatiguée d’être une fonctionnaire, une bibitte que l’État déteste. Ça n’a pas de bon sens, un gouvernement qui renie ses propres employés et qui n’est pas capable de reconnaître la valeur de leur travail et de les rémunérer en conséquence. »

« J’ai passé l’été à faire des heures supplémentaires à l’hôpital parce qu’il manque de personnel. C’est la même chose pour mes collègues et on ne le fait pas pour faire plaisir au patron, mais pour donner aux gens la qualité de soins à laquelle ils ont droit. »

« Comme éducatrice dans un service de garde en milieu scolaire, je travaille dix mois par année alors que durant l’été, je ne reçois que 55 % de mon salaire. Cela représente une perte de revenus importante. Sans compter que nous avons des postes qui peuvent varier de quelques heures à 26 heures par semaine. Nous sommes loin d’être les gras dur du système. »

« Je commence à peine ma carrière comme infirmière et je dois déjà m’habituer à des journées de travail épuisantes qui débutent à 6 h 30 le matin pour se terminer à 17 h, avec seulement une trentaine de minutes de pause durant toute la journée. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si j’ai choisi la bonne carrière. »

Il fallait être à l’hôtel des Seigneurs à St-Hyacinthe le 15 octobre dernier, où s’arrêtait la tournée du Front commun, pour entendre de véritables cris du cœur lancés par des travailleuses et des travailleurs du secteur public qui n’en peuvent plus d’être sous-payés, peu considérés, peu respectés, aux prises avec des conditions de travail qui se dégradent, une charge de travail trop lourde et qu’on accuse d’être les enfants gâtés du système.


Un ras-le-bol collectif

Ce sentiment de ras-le-bol est partagé par un grand nombre de travailleuses et de travailleurs du secteur public qui l’expriment à haute voix dans toutes les villes où s’arrête la tournée des représentantes et des représentants du Front commun.

Depuis le démarrage de la tournée, le 13 octobre à Québec, les voix des salariés de l’État s’élèvent aux quatre coins du Québec pour exprimer un désabusement collectif quant au traitement injuste et injustifié qu’ils subissent depuis trop longtemps de la part des gouvernements qui se succèdent à Québec.

À la veille d’une importante ronde de négociations, ces travailleuses et ces travailleurs en ont plus qu’assez d’entendre la même rengaine des préjugés faciles à leur endroit et, une fois de plus, la propagande gouvernementale sur la lourdeur des salaires dans le secteur public.

Quatre ans après avoir subi, en pleine période de croissance économique, des gels de salaires imposés par loi spéciale sous prétexte que leurs demandes mettaient en péril l’équilibre des finances publiques, la même démagogie gouvernementale leur est servie aujourd’hui au nom de la crise économique.

Bref, en temps de prospérité comme en temps de crise, les salariés de l’État ont nettement l’impression qu’ils sont toujours perdants et qu’il n’y a jamais un bon moment pour eux d’essayer de négocier de bonne foi.


Un front commun pour obliger le gouvernement à négocier

Jeudi soir dernier à St-Hyacinthe, le porte-parole du SISP et président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Réjean Parent, a été clair : la création d’un front commun historique de 450 000 travailleuses et travailleurs du secteur public vise justement à obliger cette fois-ci le gouvernement à négocier pour ne pas finir avec un décret à avaler comme la dernière fois.

« Le mouvement actuel n’est pas moins historique que le front commun mythique de 1972. Les détracteurs du syndicalisme peuvent dire ce qu’ils veulent, mais ils ne peuvent pas nier que le mouvement syndical a contribué à l’essor du Québec et a permis à l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens d’améliorer leur sort. Il a joué un rôle essentiel dans l’établissement des grandes mesures sociales telles que l’assurance hospitalisation, le régime québécois d’allocations familiales, l’accessibilité et l’universalité de l’éducation, la création de la Loi sur l’aide sociale, de l’assurance maladie et de l’assurance médicament, l’accessibilité aux soins de santé et aux services sociaux, l’augmentation du salaire minimum, l’équité salariale, les services de garde à 5 $ et ainsi de suite. Cette fois-ci, les travailleuses et les travailleurs doivent s’unir pour obliger le gouvernement à faire les efforts nécessaires pour préserver ces services publics qui profitent à toute la population », a soutenu le porte-parole du SISP.


Des préjugés qui se nourrissent d’ignorance

Réjean Parent a attribué à une certaine forme d’ignorance les préjugés à l’égard des employés de l’État.

« Certaines personnes, dont des animateurs de radio, se font un plaisir de “manger du fonctionnaire”. Mais en faisant cela, ils montrent en plein jour leur ignorance. En réalité, ils ne savent pas ce que font les fonctionnaires et ignorent les services importants qu’ils rendent quotidiennement à notre société. Serions-nous vraiment en mesure de nous passer d’inspecteurs en aliments ? Pensons-nous vraiment que les inspecteurs de nos infrastructures routières, dont les viaducs, sont inutiles ? Que penser du rôle du vérificateur fiscal si l’on veut épingler les fraudeurs et s’assurer que tout le monde paie sa juste part d’impôt pour assurer la bonne marche de notre société ? Voilà des exemples de ce que font les fonctionnaires et du bien qu’ils apportent aux Québécoises et aux Québécois. Rien que pour cela, ils mériteraient certainement d’être mieux traités dans les médias et surtout de la part de leur employeur », a déclaré le porte-parole du SISP.


Des services publics dont on ne peut se passer

Pour sa part, le porte-parole de la CSN, Michel Tremblay, a rappelé la place importante occupée par les services publics au Québec en mentionnant que sans leur présence, de nombreux villages et régions se retrouveraient en sérieuses difficultés socioéconomiques.

« Ce n’est pas un hasard si la crise économique a frappé moins dur au Québec qu’ailleurs en Occident. C’est parce que nous avons un solide réseau de services publics bien développé à la grandeur de notre territoire et qui agit comme un important filet de protection sociale. Imaginez ce qu’il adviendrait des régions qui sont frappées de plein fouet par la crise forestière si elles ne pouvaient pas compter sur la présence des services publics ? En fait, les services publics constituent le modèle de redistribution de notre richesse collective, de la façon la plus équitable qui soit sur le plan économique, alors que socialement, ils font un bien énorme à tous les points de vue à notre population », a affirmé M. Michel Tremblay.


Une qualité de services liée aux conditions de travail

Pour le porte-parole de la CSN, il ne fait aucun doute que lorsque le gouvernement contribue à la détérioration des conditions de travail dans le secteur public, comme c’est le cas présentement, il remet en question le maintien de la qualité des services offerts à la population.

« Qu’on le veuille ou non, la qualité des services publics est directement liée aux conditions de travail des salariés. Ce n’est pas une question de chantage, mais de réalisme. Ce n’est pas vrai que des travailleuses et des travailleurs qui sont en surcharge permanente, incapables de prendre une pause, peuvent garantir la même qualité de services. Ça serait impossible dans le secteur privé et ça l’est également dans le secteur public. C’est pourtant le miracle qu’on demande de faire aux employés de l’État, mais cela a assez duré », a prévenu Michel Tremblay.


Un point de non-retour inquiétant

De son côté, le porte-parole de la FTQ, Raymond Larcher, a renchéri en déclarant qu’on est à la veille d’atteindre un point de non-retour dans le réseau public.

« Les nombreuses suppressions de postes imposées au fil des ans sous prétexte d’économie, accompagnées de la grave pénurie actuelle de main-d’œuvre, ont engendré un profond sentiment de démobilisation chez l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Les gens sont tannés de se faire accuser d’être des privilégiés qui profitent de la sécurité d’emploi alors que c’est loin d’être le cas pour tout le monde. Quant à ceux qui l’ont, ils sont loin de l’avoir volée puisqu’ils doivent supporter chaque jour une tâche qui dépasse amplement celle d’un simple employé », a rappelé le porte-parole de la FTQ.


Des salariés du secteur public désavantagés

Chiffres à l’appui, Raymond Larcher a multiplié les exemples démontrant que les travailleuses et les travailleurs du secteur public sont loin d’être aussi avantagés que le gouvernement voudrait nous le faire croire.

« L’Institut de la statistique du Québec a démontré en 2008 qu’il existe un retard salarial de 7,7 % des employés du secteur public par rapport à l’ensemble des salariés du Québec. Ce même retard est de 5,2 % quand on compare le public par rapport au secteur privé. Il ne faut donc pas se surprendre si les emplois dans le public sont moins populaires qu’ils l’ont été par le passé. En clair, une jeune fille a plus de chances de faire de l’argent en devenant vendeuse dans un grand magasin plutôt que préposée aux bénéficiaires : 37 000 $ contre 35 000 $ sur un horizon de dix ans. Un ouvrier spécialisé peut espérer gagner 60 % de plus dans le secteur privé syndiqué que dans le secteur public. Ça n’a plus aucun sens et nous n’avons pas à être gênés de revendiquer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail », a conclu le porte-parole de la FTQ.

Des déclarations qui ont reçu l’appui unanime des 300 travailleuses et travailleurs rassemblés jeudi soir dernier à St-Hyacinthe.


L’auteur est agent d’information à la CSQ