Nation-cigale, nation-fourmi

2009/10/26 | Par Claude G. Charron

Le Canada anglais a ses intellos de type Alain Dubuc. Brian Lee Crowley en est un.  Après, dans sa prime jeunesse, s’être donné comme mission de réfuter les thèses néolibérales de Frederik Von Hayek, voilà que ce Maritimer en est devenu un de ses  plus ardents disciples. Aujourd’hui président du Atlantic Institute for Market Studies, Crowley vient de publier Fearfull Symmetry – The Fall and Rise of Canada’s Founding Values, un  mordant essai faisant actuellement fureur dans les milieux  conservateurs du ROC.   

Sous le couvert d’un académisme bon ton, Crowley y manifeste un souverain mépris pour les institutions politiques québécoises. Mépris qui atteint son sommet page 231 :  ”The «deux nations» in Canada will no longer be English Canada and French Canada but a predominantly “making nation” (young, English-speaking, multicultural, western, on the rise economically) on the one hand and a predominantly “taking nation” (old, predominantly French-speaking, eastern and in relative decline) on the other.”

Ainsi donc, le Québec serait “a taking nation”. Une nation preneuse. Une nation-cigale tandis que le ROC serait “a making nation”, une nation besogneuse, une nation-fourmi.

Crowley est un nostalgique.  Le Canada aurait vécu en période faste de sa naissance jusqu’à la Révolution tranquille au Québec. Un siècle  où, des deux côtés de l’Outaouais, on besognait sans toujours avoir recours à l’État. Ce monde idyllique bascule avec l’arrivée des baby-boomers sur le marché du travail. Et la montée du nationalisme au Québec.

De la priest-ridden society où les évêques avaient donné aux Canadiens français la mission de convertir à « l’important, c’est le ciel » une Amérique anglophone, protestante et matérialiste, on serait passé à des «Québécois» envoûtés par l’État providence. Et qui se sont maintenant donné comme mission de convertir l’Amérique aux vertus de l’égalité et de la solidarité entre les hommes. 

Le malheur du Canada, c’est que tous les premiers ministres qui se sont succédé à Ottawa ont, sur le terrain de l’interventionnisme étatique, dû toujours faire de la surenchère afin de concurrencer les gouvernements québécois.  Qu’ils soient fédéralistes ou souverainistes.  

Périlleuse symétrie que cela pour Crowley adepte du principe de  la main invisible du marché. Ce qu’il lui fait mettre au tout début de Fairfull Symmetry la première strophe du poème de William Blake, The Tyger, où il est question d’un tigre divin auquel on supplie d’utiliser sa puissance pour ramener le monde à «l’ordre naturel de la vie». 

Mais est-ce vrai que l’État providence au Canada ait été une créature du Québec?  La Saskatchewan de Tommy Douglas? Vous connaissez?

Dans le National Post du 5 octobre et Le Devoir du 7, les économistes Jean-Luc Migué et Gérard Bélanger écrivent que la péréquation remonte à 1957 et que ce sont les provinces maritimes qui en ont  le plus bénéficié. Et que de 1976 à 2006, les montants ont été multipliés par 3,9 au Québec alors qu’ils l’étaient par 4,7 à 6 dans les Maritimes.

Dans Fairfull Symmetry, le Québec est mis en procès.  Haro sur le Québec pour ses généreuses subventions aux entreprises, son salaire minimum trop élevé, ses garderies à sept dollars, etcetera, etcetera.

Haro sur un modèle économique qui oblige le fédéral, via la péréquation et l’assurance emploi, à compenser le manque à gagner du Trésor québécois et les pertes d’emplois causées par la fuite des capitaux. Pertes d’emplois qui, à cause du facteur linguistique, ont moins la possibilité d’être compensées par la migration de la main-d’œuvre vers les provinces plus prospères.

Haro sur la loi 101, responsable d’un tel problème! Haro sur l’onéreuse et inutile Loi des langues officielles qui n’a été promulguée par Trudeau que pour amadouer le Québec!

Cette dernière assertion devait mettre en rogne tous nos inconditionnels  à la André Pratte. D’autant plus qu’elle a tendance à proliférer dans les milieux conserveurs de l’Ouest canadien.

Une question se pose ici. Ces rednecks qui en ont assez du Québec devraient peut-être s’aligner sur la solution de la Ligue du Nord en Italie qui prône que les régions prospères du Nord du pays se détachent des régions plus pauvres du Sud. Mais ne pensent aucunement comme ça un Crowley s’étant réjoui d’un Clarity Bill devant, pense-t-il, rendre impossible tout éventuel désir des Québécois de sortir du Canada.

Mais le Québec est-il vraiment une nation-cigale? Le Bas-Canada l’était-il en 1840 quand il s’est vu obligé de partager la dette du Haut-Canada?

Étaient-ils membres d’une nation-cigale ces «Canadiens» qui ont défrayé les faramineux coûts de ce long ruban de voies ferrées d’est en ouest alors que la logique de la main invisible aurait trouvé plus raisonnable une bifurcation vers le Sud?

D’autant plus que les grands bonzes de cet Ouest canadien, tel un Sifton tant prisé par Crowley, ont ensuite tout fait pour décourager les Québécois de s’y implanter,  lesquels par dizaines de milliers ont dû plutôt s’expatrier et aller bosser dans les usines de la Nouvelle-Angleterre. 

Peut-on parler de nation-cigale d’un Québec finançant donc plus que sa part les infrastructures d’un Canada qui a toujours été hostile à sa différence?

Nation-cigale, un Québec qui, au moment où il est prêt à s’en servir, voit toujours se fermer des programmes conjoints ayant été concoctés en lien direct avec les besoins ontariens?

Nation-cigale, avec cette minuscule pointe de tarte que le Québec a chichement  obtenue pour son industrie forestière alors que l’Ontario s’est vu allouer des centaines de millions de dollars pour son industrie automobile en décadence?

Cigale, cette nation qui, à grands frais, paie la formation de milliers de spécialistes qui, sitôt leur diplôme en mains, vont exercer leurs talents dans «les provinces riches» ?

La regrettée Jane Jacob avait, avec grande rigueur, démontré que Montréal se porterait beaucoup mieux si le Québec accédait à l’indépendance. Une sacrée bonne idée. Comme ça, les Québécoises et Québécois seraient entièrement responsables de leurs décisions, bonnes ou mauvaises. 

Pour Crowley, la solution est d’attendre. Par l’arrivée à l’âge de la retraire des baby-boomers, écrit-il, le problème des surplus de main-d’œuvre est en train d’être réglé. La question du Québec suivra.

Par rapport à celle du reste du Canada, le poids relatif de sa population fait qu’il faudra bien un jour diminuer le nombre de ses représentants à la Chambre des communes. L’actuel rapport de force diminuera d’autant, et  du coup, cessera le chantage à la séparation. 

Les Québécois d’aujourd’hui sont acculés à un choix. Ils peuvent décider de conserver l’actuel statu quo constitutionnel et de rester dans le Canada. Dans un Canada, où ils sont appelés à devenir de moins en moins «la plus grosse des minorités». Une grosse minorité de plus en plus insignifiante.  Comme le prévoit Crowley.

Pour échapper à un tel destin, il ne reste qu’une alternative : suivre la recommandation de la réputée urbaniste torontoise. La fourmi québécoise doit prendre le large. Elle doit se libérer de l’emprise de la cigale canadienne.