Chute du Mur de Berlin: que célébrons-nous au juste?

2009/11/09 | Par Pierre Dubuc

par Pierre Dubuc

Give me back the Berlin wall
Give me Stalin and St. Paul
I’v seen the future, brother:
It is murder

The Future
Leonard Cohen


(Premier article d’une série de trois)

Pendant que toute la presse occidentale célèbre en chœur la chute du Mur de Berlin et que Mikhail Gorbachev multiplie les entrevues pour s’attribuer le crédit de la fin de la Guerre froide, il est important de revenir sur ces événements pour en mesurer l’impact sur la question nationale québécoise, de même que sur les mouvements indépendantiste et ouvrier québécois.

On se rappellera que les indépendantistes québécois ont crû que leur seraient profitables, comme l’avait été le mouvement de la décolonisation des années 1960, les indépendances retrouvées des pays de l’Est (avec l’exemple en particulier du « divorce de velours » de la Slovaquie d’avec la Tchéquie), des pays baltes et, par la suite, des pays ayant fait partie de l’ex-Union soviétique. Leur analyse s’est avérée quelque peu simpliste. Resituons les événements dans leur contexte.

Dans une entrevue au magazine américain The Nation (28 octobre 2008), Mikhail Gorbachev se désole que les Américains aient interprété la chute du Mur de Berlin et la dissolution de l’Union soviétique qui allait suivre comme une victoire des États-Unis sur l’Union soviétique et du capitalisme sur le socialisme. Mais comment pouvait-il en être autrement?

Il est bien connu que c’est à la suite d’une rencontre avec Margaret Thatcher au cours de laquelle il lui a expliqué ses projets que Gorbachev est allé de l’avant avec sa glasnot (transparence) et la perestroïka (restructuration). Thatcher avait alors déclaré à Ronald Reagan : « We can do business with that guy ».

Il est moins connu que ces politiques ont été en grande partie concoctées au Canada ! Alexander Yakovlev, qui a été surnommé le « parrain de la glasnot et de la perestroïka », était ambassadeur de l’Union soviétique à Ottawa au début des années 1980.

Il était un intime du premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Au point où ce dernier donna à son second fils le nom d’Alexandre et le surnom russe de « Sacha ».

En 1983, Yakovlev accompagne, en tant qu’ambassadeur, Mikhail Gorbachev, alors ministre de l’Agriculture de l’Union soviétique, dans sa tournée au Canada. Dans ses Mémoires, il raconte un échange de trois heures qu’il eût avec Gorbachev au cours duquel les deux réalisèrent avec enthousiasme leur accord complet sur la nécessité du désarmement, de la démocratisation de leur pays et de la libéralisation de son économie.

Deux semaines plus tard, Yakovlev était rappelé à Moscou pour être nommé directeur de l’Institut sur l’Économie mondiale et les Relations internationales de l’Académie des Sciences. En 1985, lorsque Gorbachev accède aux plus hautes fonctions, Yakovlev devient son principal conseiller. Il accompagne Gorbachev lors de ses cinq sommets avec Reagan et prône la non intervention en Europe de l’Est. En politique intérieure, il est l’architecte de la glasnot et de la perestroïka.

Ses détracteurs en Union soviétique ont soutenu qu’il avait profité de son poste d’ambassadeur au Canada pour tisser des liens avec les services secrets américains et préparer le plan qui allait mener au démantèlement du bloc soviétique et à l’ouverture brutale du marché des pays de l’Est aux firmes occidentales. Dans La stratégie du choc, Naomi Klein illustre avec brio ce phénomène à partir de l’exemple de la Pologne.

De nombreux ouvrages ont été consacrés à la chute du Mur de Berlin et au démantèlement de l’Union soviétique. Ils démontrent que ces événements n’étaient pas le fruit de « mouvements spontanés » et de « révolutions populaires et démocratiques ». Ils ont été préparés de longue main et orchestrés dans les capitales et les chancelleries occidentales avec la complicité de Gorbachev et son entourage et des forces d’opposition des pays concernés. (Lire à ce sujet, à propos d’événements ultérieurs, le rôle du Canada dans la « révolution orange » en Ukraine. )

Facile de comprendre que le mouvement des indépendances nationales de cette région du monde, qui avait pour but de démanteler un empire rival, ait bénéficié de l’appui enthousiaste des États-Unis et de ses alliés.

Washington était peut-être même prêt à une confrontation armée pour soutenir ces indépendances, comme ce fut le cas quelques années plus tard en Yougoslavie, pays allié de la Russie qu’il fallait aussi démembrer pour l’affaiblir.

Par contre, on ne s’étonnera pas que les États-Unis aient eu une toute autre approche dans le cas du Québec. Dans The Clinton Tapes : Wrestling History with the President, l’historien Taylor Branch rappelle l’intervention de Clinton en faveur de l’unité canadienne lors du référendum de 1995.

Mais les États-Unis ne se contentèrent pas de simples déclarations. Dans ses Mémoires (Behind The Embassy Door), James Blanchard, l’ambassadeur des États-Unis au Canada lors du référendum de 1995, raconte avec quelle ardeur il a participé aux activités du Comité du Non. M. Blanchard écrit noir sur blanc, carte à l’appui, comment il favorisait la partition du Québec dans l’éventualité d’une victoire du Oui.

La chute du Mur de Berlin allait avoir d’autres conséquences importantes en termes géo-politiques pour le mouvement souverainiste québécois. C’est en bonne partie en réponse à la menace économique découlant de la réunification de l’Allemagne et du traité européen de Maastricht (1992) que les classes dirigeantes du Canada et des États-Unis décidèrent de consolider le traité de libre-échange de 1988 avec l’ALENA. Il en résultera une plus grande interpénétration économique et financière des classes dirigeantes canadienne et américaine et un rapprochement politique entre les deux pays.

En 1980, le Québec avait pu profiter jusqu’à un certain point des contradictions entre le Canada et les États-Unis. À l’époque, Washington voyait d’un mauvais œil les velléités d’indépendance du gouvernement Trudeau avec sa reconnaissance de la Chine, de Cuba et ses réserves face à l’OTAN. La Maison Blanche se montrait moins hostile à l’égard du mouvement nationaliste québécois. Mais, en 1995, le Québec fait face à une alliance de l’anglosphère qui paraît sans faille et qui brandit même des menaces de partition en cas de victoire du Oui.

Ainsi, il était illusoire de croire que le mouvement des indépendances nationales qui suit la chute du Mur de Berlin et le démantèlement de l’Union soviétique allait bénéficier au Québec. Au contraire, les réalignements géostratégiques qui en découlèrent, avec un monde unipolaire dirigé par les États-Unis, étaient défavorables au mouvement souverainiste.

Mais les effets négatifs ne s’arrêtent pas là. Les événements de 1989 allaient marquer profondément les mouvements de libération et le mouvement ouvrier. Demain, nous verrons leurs effets sur le Québec.


À suivre
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Demain

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