La donation ou le devoir de servir

2009/11/09 | Par Ginette Leroux

Assis à son bureau de consultation aménagé dans sa maison de Normétal, le docteur Rainville regarde par la fenêtre. À Montréal, debout devant les fenêtres panoramiques de son bureau,  Jeanne Dion, qui travaille aux urgences d’un grand hôpital, contemple les édifices du centre-ville. Sept cent cinquante kilomètres séparent les deux médecins, pourtant, ils s’apprêtent à prendre une importante décision. Le vieux médecin, abitibien d’adoption, vient de lancer un avis de recherche. Il souhaite trouver un remplaçant car, pour lui, c’est l’heure de la retraite.

Jeanne se met en route. Direction Normétal, une agglomération rurale située au Nord-Ouest de l’Abitibi, une région austère où la misère sert de quotidien à une population isolée. En 1975, ce village s’est vidé de ses habitants au moment de la fermeture de la mine de cuivre. Depuis le millier de personnes qui restent est forcé de trouver du travail ailleurs, loin de la famille. Les hommes surtout. Une réalité désarmante pour une fille qui vient de la ville.

Au moment de leur rencontre, le docteur Rainville n’y va pas par quatre chemins. Il lui fait comprendre qu’en région éloignée, le médecin est un acteur majeur dans la communauté. « Aimez-vous faire les visites à domicile? », lui demande-t-il abruptement. Sa vie sera désormais intimement liée à celle de ses patients, elle devra se consacrer entièrement à sa nouvelle pratique médicale.

N’est-ce pas ce que désire Jeanne Dion, la femme médecin désespérée de La neuvaine, à qui Bernard Émond offre une deuxième chance? Grâce au défi que pose l’engagement qu’elle s’apprête à conclure avec le vieux médecin de campagne, elle va trouver l’élan nécessaire qui redonnera un sens à sa vie.

Ainsi s’ouvre le dernier film de la trilogie de Bernard Émond, La Donation, qui avait été précédé de La Neuvaine (2005) et de Contre toute espérance (2007).

L’univers des films du cinéaste anthropologue est fait d’intensité. On est pris par le regard pénétrant, rassurant, plein de bonté d’Élise Guilbault, dont la performance est magistrale dans la peau de Jeanne Dion. Il faut aussi saluer la prestation remarquable de Jacques Godin en médecin qui lègue tout, pratique et maison, à sa remplaçante. Sans oublier Angèle Coutu très présente et convaincante dans son rôle de religieuse et sœur du docteur Rainville, et la très touchante Françoise Graton dont le regard apaisant emplit l’écran.

Le spectateur est captivé par la caméra de Sara Mishara, une jeune directrice photo de 29 ans qui a grandi dans le Mile-End, étudié à Concordia, fait une maîtrise à l’American Film Institute à Los Angeles. De retour à Montréal, elle se tourne vers les films d’auteurs. Continental, un film sans fusil et Tout est parfait figurent à son palmarès.

Elle a compris que le paysage avait un rôle important à jouer. Sous son regard, la misère et la beauté se juxtaposent. Aux lumières blafardes des scènes d’hôpital se superposent les couleurs fauves de la forêt et le calme de la rivière. « Le bois, dit Pierre Grégoire (l’excellent Éric Hoziel), le boulanger du village revenu au bercail pour prendre la succession de son père, c’est ce qu’il y a de plus beau ici. » Aux images de Sara Mishara se marie la musique aux accents mélancoliques de Robert Marcel Lepage.

« La charité est ce qui reste quand il ne reste plus rien », disait Bernard Émond, annonçant La Donation. C’est vrai. « Avoir la certitude qu’on sert à quelque chose », affirme le boulanger au nouveau médecin. Voilà comment on donne un sens à sa vie.

La Donation est une conclusion très forte à la trilogie de Bernard Émond. « Ces trois films sont un questionnement sur le sens de l’existence pour faire contrepoids à une culture de masse hédoniste et individualiste. Au sentiment du vide qu’a laissé l’absence de religion, il faut aller à l’essentiel », croit-il.

Un film émouvant, harmonieux, malgré le chaos de la misère humaine.

Acclamé au Festival de Locarno en août, au Festival International de Toronto en septembre et plus récemment en ouverture du Festival du cinéma en Abitibi-Témiscamingue, le film de Bernard Émond est présentement en salles au Québec.