Chute du Mur de Berlin: que célébrons-nous au juste? (2)

2009/11/10 | Par Pierre Dubuc

(Deuxième article d’une série de trois)

Une des conséquences les plus lourdes de la destruction du Mur de Berlin et de l’écroulement de l’Union soviétique est d’avoir privé la gauche et les mouvements de libération de leurs repères idéologiques classiques. Le vide a été comblé par l’éclosion de concepts culs-de-sac comme le « nationalisme civique ». Plus grave encore, l’opposition à l’impérialisme a pris dans plusieurs pays la forme du fondamentalisme religieux. Le Québec n’échappe pas à ces dérives et sa lutte de libération s’en trouve entravée. Pour en comprendre les enjeux, il est nécessaire de replacer la question nationale dans sa perspective historique.

Au début du XXe siècle, la Révolution d’Octobre 1917 et les déclarations du président américain Woodrow Wilson en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ont donné une dimension internationale et révolutionnaire à la question nationale. De question jusque là limitée à l’autonomie culturelle des nations opprimées d’Europe, elle a été élargie aux peuples coloniaux et au droit de se constituer en État indépendant.

Mais c’est surtout après la Deuxième guerre mondiale que le mouvement de décolonisation des anciens empires coloniaux d’Afrique et d’Asie s’est mis en marche avec l’appui à leur cause de l’Union soviétique mais également, dans certains cas, des États-Unis.

Au Québec, il a fallu attendre les années 1960 pour que la question nationale se transforme de question de l’autonomie culturelle des Canadiens-français à l’intérieur du Canada à celle du droit à l’indépendance nationale du Québec. Cela s’est produit par l’ajout de deux éléments fondamentaux jusque là absents dans la définition traditionnelle de la nation canadienne-française, soit un territoire où la nation francophone était majoritaire – le Québec – et la prise de conscience d’une vie économique propre à la nation québécoise. Cela allait produire la Révolution tranquille avec son volet d’émancipation économique et son slogan « Maîtres chez nous ».

Malheureusement, le mouvement ne parvient pas à la réalisation de l’indépendance nationale et subit des échecs lors des référendums de 1980 et 1995. Tout comme la Rébellion des Patriotes – qui s’inscrivait elle aussi dans le mouvement d’émancipation des nationalités de son époque – la défaite de 1995 résulte en grande partie d’un rapport de forces défavorable. En 1995 comme en 1837, la conjoncture géopolitique internationale n’est pas propice à la cause du Québec.

Dans l’éventualité d’une victoire du Oui, la reconnaissance internationale d’un Québec indépendant aurait donné lieu à une jolie partie de bras de fer, le Québec bénéficiant de l’appui de la France, mais rencontrant l’hostilité des États-Unis.

S’ajoute à cela un droit international qui peut être interprété de façon défavorable à l’émancipation des nations. Comme aimait le rappeler Stéphane Dion, le droit international, plutôt que de reconnaître de façon inconditionnelle le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, « n'accorde pas à un peuple le droit à la sécession unilatérale, sauf dans les cas de colonies et peut-être de violation extrême des droits de la personne ». Autrement dit, c’est comme si le droit au divorce n’était reconnu qu’aux femmes battues.

De plus, à cette époque, l’opinion internationale était très sensible à toute dérive potentielle dans les conflits nationaux avec les accusations de « nettoyage ethnique » qui provenaient de l’ex-Yougoslavie et le génocide rwandais de 1994. Dans ce contexte, les propos de Jacques Parizeau sur les « votes ethniques » ont eu un effet dévastateur et une frange importante du mouvement souverainiste a voulu s’en démarquer par une rupture avec tous les référents historiques, linguistiques et nationaux de la question nationale.

Faussement qualifiée de « nationalisme ethnique », le nationalisme de la décolonisation des années 1960 et 1970 a été cloué au piloris et remplacé par le « nationalisme civique » c’est-à-dire, selon ses promoteurs, par un nationalisme reposant sur la « volonté des individus de la collectivité plutôt que sur les déterminants ethniques », un nationalisme basé « avant tout sur la Charte des droits et libertés de la personne » dans l’objectif de « déethniser » le débat.

Ce concept de « nationalisme civique » n’est en rien différent des conceptions mises de l’avant par Pierre Elliott Trudeau avec l’adoption de la Charte canadienne des droits. Il faut aussi signaler que cette conception de la nation a été imposée aux pays européens par les États-Unis au lendemain de la Deuxième guerre mondiale en les obligeant à adopter des constitutions et des chartes des droits sur le modèle américain. Elle est également conforme aux idées développées par Michael Ignatieff dans son livre « La Révolution des droits ».

En gommant toute référence à la langue et à la culture, les partisans de ce « nationalisme civique » liquidaient la question identitaire non seulement de la majorité francophone, mais également de la minorité anglophone et des autres minorités nationales en sol québécois.

Mais la vie sociale allait montrer l’absurdité d’une telle approche et la question identitaire va resurgir par la porte arrière à la faveur du débat sur les accommodements raisonnables. Cependant, son irruption sur la scène politique survient non pas, comme on aurait pu s’y attendre, par la question linguistique qui caractérise la nation québécoise en Amérique du nord, mais par un débat sur des « accommodements »  religieux.

À bien y penser, la chose ne devrait pas nous étonner. Dans un contexte mondial où la lutte pour le socialisme a été déclassée par suite de l’effondrement du bloc soviétique, l’opposition à la mondialisation a pris la forme dans plusieurs pays du fondamentalisme religieux. À l’impérialisme, on n’oppose plus la promesse d’un monde socialiste, mais un retour en arrière au féodalisme. La roue de l’Histoire fait maintenant marche arrière.

Enclenché avec la Révolution de Khomeiny en Iran en 1979, le mouvement a pris de l’ampleur avec les événements du 11 septembre 2001. Les idéologues de l’impérialisme l’ont consacré sous l’appellation de « choc des civilisations ». Dans le livre d’où provient cette expression, l’américain Samuel P. Huntington a avancé l’idée que – l’opposition entre le socialisme et le capitalisme ayant disparu avec la victoire de ce dernier – le monde serait désormais régi par des guerres de religion.

Dans cette réécriture de l’histoire, la guerre d’indépendance de l’Algérie, par exemple, n’est plus une lutte de libération nationale, une lutte démocratique pour le socialisme, mais un simple épisode dans l’affrontement séculaire entre l’Islam et la Chrétienté. De même, les habitants du Maghreb sont désormais identifiés par le biais de leurs croyances religieuses plutôt que par leur caractère national. On les qualifie de musulmans plutôt que Marocains, Algériens ou Tunisiens.

Pourtant, l’avènement des nationalités a marqué un progrès considérable dans l’histoire de l’Humanité. C’est un recul dont il est difficile de prendre la pleine mesure qu’au moment où la mondialisation varlope, efface, dissout les nationalités, les identités nationales soient remplacées par les identités religieuses.

Au Québec et ailleurs dans le monde, s’impose donc la tâche de réhabiliter la question nationale par une critique des dérives et des théories qui ont fleuri depuis l’abandon du socialisme démocratique comme perspective libératrice.

La question nationale doit à nouveau reposer sur un socle véritablement national et démocratique. À l’encontre du concept impérialiste du « nationalisme civique » à un pôle et des dérives du fondamentalisme religieux à l’autre pôle, la nation québécoise doit être rétablie dans sa définition essentielle, c’est-à-dire une communauté historiquement constituée, puisant ses origines en Nouvelle-France et ayant assimilé au cours des siècles des gens de différentes origines.

Contrairement aux conceptions associées au « nationalisme civique », une nation n’est pas un phénomène éphémère, mais bien le résultat de relations durables et régulières résultant d’une vie commune de génération en génération sur un territoire commun d’hommes et de femmes partageant une langue commune et une culture commune.

Concrètement, cela signifie qu’il existe également sur un même territoire national d’autres communautés minoritaires comme les anglophones du Québec dont il faut reconnaître les droits – mais non les privilèges – et d’autres minorités nationales issues de l’immigration. D’ailleurs, la réhabilitation du concept de « minorité nationale » plutôt que de « nationalité ethnique » ou « nationalité culturelle » contribuerait à restaurer le principe des nationalités. (À noter que cela n’inclut pas la question autochtone qui mérite un traitement particulier).

 

Demain : Le signal d’une offensive anti-syndicale et ouvrière sans précédent

À lire également le premier article :
L’impact de la chute du Mur de Berlin sur le Québec

et le troisième article
Le signal d’une offensive anti-syndicale et ouvrière sans précédent