Cégeps français : Grande manœuvre de diversion de Jean-François Lisée

2009/11/18 | Par Pierre Dubuc


Faire dérailler le consensus avant le colloque du Parti Québécois

par
Pierre Dubuc

Au moment où, après bien des tergiversations, un consensus est en train de se dégager à la veille du colloque du Parti Québécois pour revendiquer l’extension des dispositions de la loi 101 aux cégeps, Jean-François Lisée y va, sur son blogue du magazine L’Actualité, d’une étonnante diversion.

Sous le titre « Cégeps français : un peu d’ambition que diable », Jean-François Lisée trouve subitement que la proposition est « frileuse et défensive ». Il y va d’une surenchère en proposant de fusionner les cégeps « en un seul réseau de la prédominance du français » où tous les cégépiens, francophones, anglophones et allophones, recevraient « les trois quarts de leur formation en français et le quart en anglais ».

On s’étonnera que Jean-François Lisée propose de supprimer les institutions collégiales anglophones lui, qui, il y a à peine deux semaines, nous apprenait sur son blogue qu’il avait toujours été (discrètement) opposé aux fusions municipales sur l’île de Montréal parce qu’il considérait « comme non négligeable, l’identité municipale des villes anglophones et bilingues ».

« Il faut être cohérent», précisait-il : « ou bien on est sensible aux questions identitaires, et alors on reconnaît son importance dans les institutions de nos minorités, ou bien on ne l’est pas ».

Aujourd'hui, il plaide pour la disparition des institutions collégiales anglophones! Belle cohérence! En deux semaines à peine, sa sensibilité aux « questions identitaires » s’est passablement émoussée.

Sus aux anglos avec Lisée

Pour nous montrer qu’il est prêt à la bagarre sur cette question, il écarte d’un geste impérial la réaction prévisible de la communauté anglophone dont il nous dit qu’elle sera « en furie ».

Mais, comme dans le cas de la fusion des municipalités, il se trouvera sans doute des représentants de cette communauté qui, sachant compter, y verront leur compte dans la proposition Lisée sur les cégeps.

On se souviendra que Jack Jedwab appuyait le projet « Une île, une ville » en prenant acte que le pouvoir était désormais « à portée de main pour un Parti libéral municipal » étant donné la nouvelle composition linguistique de la ville. S’en est d’ailleurs suivie l’élection de l’ancien ministre libéral Gérald Tremblay à la mairie de Montréal.

Où sont les gains ?

Lisée nous dit que sa proposition assure « un gain linguistique net pour le français ». Voyons voir.

Actuellement, 82% des cégépiens sont au cégep français et 18% au cégep anglais. Au total, donc, 82% de l’enseignement collégial se fait en français et 18% en anglais.

À en juger par l’effet de la loi 101 au primaire et au secondaire, l’application de la loi 101 au cégep ferait passer à 89% la part du français et à 11% celle de l’anglais.

La proposition Lisée – trois quarts de l’enseignement en français et un quart en anglais – réduirait la part du français à 75% et augmenterait celle de l’anglais à 25%.

À vos calculettes : des deux solutions, laquelle assure « un gain linguistique net pour le français »?

Des cours d’histoire en anglais ?

Dans sa proposition d’un seul réseau collégial, Lisée spécifie que les francophones, après avoir suivi leurs cours en français pendant les trois premières sessions auraient un enseignement intensif en anglais dans la dernière session, « y compris sur leurs sujets d’étude ».

Autrement dit, ils auraient leurs cours d’histoire nationale en anglais avec, bien entendu, des manuels anglais ! Voilà qu’il ressuscite une vieille proposition qu’on croyait morte et enterrée ! Il sera intéressant de voir ce que Mme Marois en pense!

L’obsession du bilinguisme

Quand au XIXe siècle, les patrons exigeaient 12 heures et plus de travail par jour, les ouvriers les plus conscients ont fondé des syndicats pour revendiquer des législations limitant la durée du travail. Ils ont rencontré l’opposition, bien sûr, des patrons, mais aussi de certains ouvriers qui ne voulaient pas se voir imposer de limites. C’était leur « libre choix », affirmaient-ils.

Il a fallu – et c’est encore souvent le cas aujourd’hui, ne nous détrompons pas – les protéger contre eux-mêmes en leur montrant que la solution résidait plutôt dans une augmentation de leurs salaires et une amélioration de leur statut professionnel.

Il en va de même dans les questions linguistiques. La loi 101 a été adoptée autant pour restreindre le « libre choix » de l’école aux francophones qui voulaient envoyer leurs enfants à l’école anglaise qu’aux allophones. Le Dr Laurin avait compris que l’enjeu véritable était le statut socio-économique du français, une question toujours d’actualité.

Il fallait du courage au Dr Laurin et au Parti Québécois pour faire adopter cette loi dont ils savaient qu’elle serait impopulaire auprès d’une frange importante de l’électorat francophone. Mais le Dr Laurin avait compris que, tout comme les législations ouvrières ont pour objectif de défendre l’intégrité de l’identité ouvrière, les lois linguistiques visent à défendre l’intégrité de l’identité nationale.

Le bilinguisme et la mondialisation

Monsieur Parizeau écrit dans son dernier livre qu’à l’ère de la mondialisation, les nations se définissent maintenant par la culture. C’est la même idée que reprend Pierre Curzi, le responsable du dossier linguistique au Parti Québécois, quand il affirme que, plus qu’à une question linguistique, nous avons affaire à une question de culture.

Plutôt que de renforcer la culture francophone, la proposition Lisée aura pour effet d’installer dans les cégeps, particulièrement de l’île de Montréal, une culture bilingue. Tout cela à un moment de notre histoire où nous voyons à tous les jours l’attrait incroyable qu’exerce la culture anglophone sur la jeunesse francophone. On n’a qu’à penser à tous ces Lost Fingers, Pascale Picard et cie et à se rappeler le débat sur la présence de l’anglais lors de la Fête nationale.

L’instauration d’un réseau unique provoquerait sans doute à moyen terme une nouvelle répartition des élèves francophones, anglophones et allophones dans les établissements scolaires. Déjà, dans certaines écoles secondaires francophones de Montréal, l’anglais est la langue commune des corridors et les cours d’école. Il en sera de même dans certains cégeps du réseau de Lisée et encore davantage pendant les mois où l’enseignement aura lieu en anglais. Dans les corridors, les cafétérias, les salles de séjour mais également dans les classes, l’anglais serait la langue commune! Méchant cégep francophone !

Charles Castonguay a démontré, chiffres à l’appui, que le bilinguisme était l’antichambre de l’anglicisation au Canada anglais. Faut-il attendre que Montréal en fournisse une preuve supplémentaire avant de réagir?

Est-il malsain qu’un Québécois puisse vouloir vivre sa vie pleinement et simplement en français?

Plus de 21 millions de Canadiens s’épanouissent sans connaître un mot de français! Déjà, avec le régime scolaire actuel, le nombre d’unilingues français au Québec est en baisse. À l’opposé, le nombre de francophones qui se déclarent bilingues anglais-français au recensement est de plus de deux millions. Et leur nombre et pourcentage sont en hausse rapide. Quel est donc l’objectif? Où est donc le problème?

Le tour du chapeau

Jean-François Lisée est le chouchou des médias et il impressionne un certain nombre d’intellectuels par sa capacité à lancer à tous vents de « nouvelles » idées. Mais, quand on laisse la poudre aux yeux retomber, on se rend compte que sa grande habileté est de maquiller des idées de droite en habits de gauche.

On se souviendra qu’il a déjà proposé une « école laïque mais ouverte aux religions » où on réserverait « une case horaire déterminée, ouverte aux enseignements religieux ».

Plus récemment, il prônait aussi une hausse des tarifs d’électricité et la privatisation à hauteur de 25 % d’Hydro-Québec.

Tout dernièrement, il s’est prononcé pour la suppression de l’impôt sur le revenu et son remplacement par des taxes sur la consommation.

Pour faire avaler ces deux dernières propositions, il les a enveloppées dans un discours écologique pour en faciliter la digestion.

Il a donc réussi avec ses propositions à contenter les Évêques, les Lucides et, avec sa dernière proposition, les Anglos.

Un vrai tour du chapeau. Dans notre filet !

P.S. Le chat sort du sac et se promène au grand jour

Dans son blogue de ce matin, 18 novembre, le chat sort du sac. Jean-François Lisée écrit que d’étendre la loi 101 aux cégeps « serait punitive pour les francophones, en leur interdisant l’option du Cégep anglophone pour compenser la faiblesse de l’enseignement de la langue seconde au secondaire. Cela aurait pour effet de mécontenter une part de l’électorat francophone autrement sympathique au PQ, même celle, majoritaire, qui ne compte pas utiliser ce droit. »

Autrement dit, oubliez toutes les considérations philosophiques, sociologiques, linguistiques invoquées dans ses blogues précédents. Sa proposition, comme nous l’écrivons au début de cet article, n’a qu’un seul but : faire dérayer au conseil national le consensus en faveur de l’extension de la loi aux cégeps pour des motifs électoralistes à courte vue.

Pensum imposé à J-F Lisée et se fans : relire le Dr Laurin… et s’en inspirer!