Loi 104: À la Cour suprême de déterminer la longueur de la laisse

2009/11/26 | Par Claude G. Charron

Il y a cinquante ans, André Laurendeau a écrit : « On débouche une fois de plus sur la tragédie du milieu canadien-français qui n'est pas maître de ses propres institutions et qui ne trouve pas en dehors de lui, aux époques de crises, la solidarité sur laquelle l'unité du Canada devrait être fondée» (Le Devoir, 19 janvier 1959).

La récente décision de la Cour suprême concernant la loi 104 NOUS (1) indique que, depuis, rien n’a changé. Elle nous indique surtout qu’au plus vite NOUS devons NOUS libérer de ce carcan appelé «Canada».         

Cinquante ans ! Deux référendums  avec la supplication  Stay with us. We love you la veille.  Et la rétorsion le lendemain: rapatriement unilatéral, Clarity Bill. Cinquante ans, et voilà que sept juges de LEUR Cour suprême déboutent une loi 104 qui est considérée comme vitale pour NOTRE survie collective.

Une loi 104  votée à l’unanimité des députés du seul Parlement que NOUS contrôlons en Amérique. Cinquante ans de palabres, et voilà que ces sept juges appuient leur décision sur une charte des droits et libertés entièrement concoctée pour bloquer toute émancipation collective des gens qu’on disait aimer. Une charte insérée dans une constitution qu’aucun de NOS gouvernements n’a entérinée.

Après une telle  taloche infligée au Québec, NOS fédéralistes peuvent-ils encore espérer avoir «la solidarité sur laquelle l’unité nationale est fondée» comme  Laurendeau pouvait de son temps le croire ?

Avant même que celui-ci ne décède, son Canada biculturel était décédé. Au lendemain de l’arrêt Nguyen, le Globe & Mail chapeautait son éditorial d’un agressif  Against absolutism. Avec  méprisante conclusion: «S’objecter à cette décision est dédaigner le compromis que constitue le Canada, chose inacceptable pour les séparatistes, mais pas pour le gouvernement du Québec. »

On ne se surprend plus qu’à l’instar du Globe, tous les commentateurs politiques du Canada anglais se soient réjouis de la Décision du 22 octobre. Et, NOTRE  «minorité historique» alors?  Celle dont Lévesque a toujours voulu tenir compte ?

Quand le MSA a été formé en 1968,  François Aquin, premier député indépendantiste, avait réclamé un réseau unique d’écoles publiques avec enseignement en français. Si toutes les autres provinces du Canada ont établi un régime scolaire unique sans qu’Ottawa ne bronche,  pourquoi pas NOUS, argumentait-il.    

L’option Aquin a fait long feu et, en 1977, le gouvernement Lévesque n’a pas  rendu sa loi 101 totalement universelle puisqu’en ce qui concerne la langue d’enseignement, la Charte de la langue française prévoyait une exception pour «la minorité historique» du Québec.

Elle stipulait que, si un des deux parents avait  fréquenté une école anglaise au Québec, leurs enfants, ainsi que les descendants de ceux-ci, auront le droit d’avoir leurs enseignements primaire et secondaire en anglais. Un privilège  qui n’était accordé ni aux francophones ni aux allophones.

Or, malgré cela, certaines personnalités «respectables» de NOTRE minorité historique, ne se sont pas gênées pour nazifier le docteur Laurin parce que, clamaient-elles, sa loi 101 portait atteinte à la liberté de choix de la langue d’enseignement.

Certains politiciens ont ensuite tenté de NOUS faire croire qu’après vingt-cinq ans, les «Anglais» avaient compris. Foutaise comme le démontre cet article du 29 octobre dans Le Devoir de  Debbie Horrocks, présidente de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.

Elle NOUS dit: «Les rédacteurs de la Charte de la langue française ont expressément donné le droit aux parents d’inscrire leurs enfants dans les écoles anglaises privées non subventionnées de façon à garantir leur admissibilité aux écoles anglaises publiques du Québec.»

La dame tente de NOUS faire croire que  René Lévesque aurait donné un tel privilège aux riches parents allophones pour donner «un peu d’air frais» aux écoles anglaises. Wow !   

Et la dame d’en rajouter : «Soyons clairs : l’élimination du projet de loi 104 aurait l’impact escompté de permettre à environ 500 élèves additionnels de fréquenter les écoles publiques anglophones du Québec.»

Faux, lui a répliqué Robert Maheu le 11 novembre dernier lors d’une table ronde organisée par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA).  Selon ses calculs basés sur la fréquentation des écoles passerelles en 2001-2002 donc, avant l’adoption de la loi 104, l’impact de la décision du 22 octobre serait plutôt de 11 000 élèves, soit environ 9 % des effectifs actuels des écoles anglaises au Québec. Et plus du double à partir d’un calcul moins conservateur. Or, 22 000 élèves, cela veut dire 18 % des effectifs actuels des écoles anglaises.

Si on tient compte des fondations qui vont certainement se lever pour aider des Néo-Québécois afin qu’un grand nombres de leurs descendants deviennent «membres en règle» de NOTRE «minorité historique», les calculs de Maheu sont certainement conservateurs.

Désolant : alors qu’au lendemain de la Décision du 22 octobre, The Gazette en a fait une grosse manchette à sa une, les chefs de pupitres du  Journal de Montréal et de La Presse  trouvent plus important de faire la leur, l’un avec la victoire des Canadiens sur les Islanders, l’autre avec l’omniprésent scandale des compteurs d’eau.

Et la Gazette de NOUS sermonner en  editorial : «Quebec is free to protect the French, but not too much.» Le Canada et ses juges jouiraient donc du privilège de décider de la longueur de la laisse qu’ils accordent à l’Assemblée nationale quand elle tente de prendre des mesures afin de  protéger le français sur son territoire. 

Constatation : depuis la loi 22 de Robert Bourassa,  la  Gazette est devenue un journal de combat, uniquement dépassée par le Suburban dans son désir jamais assouvi d’intégrer les Néo-Québécois à la majorité Canadian.

Mais ce qui est triste, c’est  de constater la piètre réaction de NOS propres médias au soufflet que vient encore une fois de NOUS donner la Cour Suprême. Seul, Le Devoir a donné l’importance qu’il fallait à la Décision du 22 octobre de ces sept faux frères de juges.  

Mais le peuple est de moins en moins dupe. Chaque coup de butoir de la Cour suprême –  et celui du 22 octobre en est un majeur – chaque coup de butoir de cette cour étrangère lui fait réaliser que seule l’indépendance fera du Québec une société normale.

Afin que cesse enfin  NOTRE lente louisianisation, il faudra bien un jour que tous ces gens que NOUS recevons fassent allégeance au peuple du Québec. À sa Constitution. Plus jamais, ils devront  le faire à la reine et, par ce biais, à un Canada.

Un Canada qui, présentement,  marchande leur assermentation pour ensuite s’en servir à la totale désintégration de la société québécoise. Un Canada qui, à la veille du centenaire du Devoir, n’est plus du tout, mais vraiment plus du tout, ressemblant au Canada idyllique que se faisait son rédacteur en chef il y a de cela cinquante ans.

(1) C’est très intentionnellement que nous avons remplacé le traditionnel « les Québécois et les Québécoises» par un simple NOUS avec lettres majuscules. Un NOUS très inclusif.