Entrevue avec Claudette Carbonneau

2009/12/07 | Par Pierre Dubuc

Quand j’ai rencontré Claudette Carbonneau, le gouvernement n’avait pas encore déposé ses offres. Mais la présidente de la CSN savait déjà fort bien sur quel terrain se déroulera le gros de la bataille du prochain Front commun : celui des finances publiques.

Jadis, la comparaison entre les salaires du secteurs public et privé occupait tout l’espace médiatique. Aujourd’hui, il y a encore des chroniqueurs comme Michel Girard de La Presse et des économistes comme Pierre Fortin dans le dernier numéro de L’Actualité qui jouent cette carte. Mais sans grande conviction. Le bureau de la Statistique du Québec vient à nouveau de confirmer le net recul de la fonction publique sur le secteur privé syndiqué.

De plus, la fonction publique n’attire plus et ne retient plus les travailleuses et les travailleurs. « La pénurie de main d’œuvre n’est pas qu’une vision de l’esprit, confirme Claudette Carbonneau. Elle est diversifiée, elle touche la plupart des catégories d’emplois et se constate dans les relevés d’emplois dans toutes les régions du Québec ».

« La détérioration des salaires et des conditions de travail envoie, enchaîne-t-elle, un message clair : il n’y pas d’avenir pour celles et ceux qui veulent enseigner, soigner ou faire partie de la fonction publique. »

Lors des premiers front communs, les syndicats se gagnaient l’appui de la population en démontrant que leurs gains salariaux auraient un effet d’entraînement sur l’ensemble des salaires. Les négociations du secteur public ont toujours une portée économique et sociale considérable, comme doit l’admettre Pierre Fortin dans L’Actualité, « parce qu’un travailleur sur six est un employé de l’État québécois. Des salaires publics qui augmentent rapidement ont un effet d’entraînement sur les salaires dans le reste de l’économie. »

Mais, aujourd’hui, pour s’attirer la faveur populaire, le Front commun insiste plutôt sur la préservation de la qualité des services publics. « Ça permet de combattre les inégalités, tout en étant bénéfique pour la classe moyenne », de préciser la présidente de la CSN en rappelant que des études démontrent que c’est la qualité et l’importance de nos programmes et services sociaux qui permet que le niveau de vie à Montréal se compare avantageusement à celui d’autres grandes villes nord-américaines.

L’argumentaire du gouvernement a également changé. La présidente du Conseil du Trésor, Monique Gagnon-Tremblay, mentionne la sécurité d’emploi et la caisse de retraite comme avantages dont bénéficient les syndiqués du secteur public, mais son argument massue est « l’état des finances publiques » et « la capacité de payer des contribuables ».

Depuis Lucien Bouchard, le déficit zéro est devenu un dogme partagé d’ailleurs tant par les Libéraux que les Péquistes, fait remarquer Claudette Carbonneau.

C’est donc sur le terrain des finances publiques que se livrera le combat pour obtenir le soutien de l’opinion publique si crucial lors de ces négos.

La CSN fourbit déjà ses armes. D’entrée de jeu, Claudette Carbonneau attaque les projections gouvernementales au chapitre des dépenses. « Le gouvernement prévoit une croissance des dépenses de 3,2% pour l’année 2010-2011. Ça ne tient pas la route ! La moyenne pour les cinq dernières années a été de 4,6%. C’était déjà loin de la moyenne canadienne qui s’établissait à 7,6%. Ça annonce d’importantes compressions. Tout simplement. »

Surtout si on ajoute à cela que le gouvernement veut aller chercher 11 milliards d’ici 2013 pour combler le déficit sans augmenter l’impôt sur le revenu. « On ne sera jamais d’accord avec cela », constate la présidente de la CSN.

Bien entendu, le gouvernement agitera l’épouvantail de la dette. Mais la dirigeante syndicale rappelle que « la dette nette du Québec représentait 37,6% du PIB en 2007 (contre 44% en 2002).  Elle était inférieure au ratio de 39,1% pour le total de la zone de l’OCDE et passablement inférieur au ration de 43,6% de la zone euro ».

Elle s’en prend à cette page frontispice du Journal de Montréal où on nous montrait un enfant – le petit Émile – dont on établissait la dette à 16 100 $. Une image forte, à première vue. « Mais, on a oublié de dire que le petit Émile a des actifs », rétorque Claudette Carbonneau.

Elle cite cette étude du Centre canadien de Politiques alternatives selon laquelle chaque habitant du Canada a tiré des services publics en termes pécuniaires pour l’année 2006 la somme de 16 257 $ dont 56% provient des services de santé, d’éducation et des paiements de transferts aux particuliers (aide sociale, assurance emploi, indemnités pour accidents de travail, prestations de régime de pension, RRQ, etc.)

« Même pour les ménages dont le revenu se situe entre 80 000 $ et 90 000 $, l’avantage équivaut à la moitié du revenu privé du ménage », précise-t-elle.

Une fois le portrait des finances publiques recadré, il n’en demeure pas moins que le gouvernement doit trouver de nouvelles sources de revenus. « Il faut revoir les bases fiscales dans une perspective d’équité et de développement durable. Et cela ne peut pas se faire sur un coin de table », souligne-t-elle.

Doit-on frapper à la porte d’Ottawa? « On doit réclamer notre dû, assure-t-elle, mais on ne doit pas se faire trop d’illusions. Déjà, on n’a pas eu grand chose quand il y avait surplus… »

Elle nous invite aussi à regarder du côté des redevances minières, des taxes sur les produits de luxe, sur le coût des médicaments, mais on ne fera pas l’économie de d’aborder ce qu’elle nomme « l’épineuse question » de la tarification.

« Nous ne objectons pas à toute action. À l’indexation, par exemple. Surtout que, dans certains cas, comme les assurances parentales et la régie des rentes, il y a une participation patronale. Cependant, il y a un panier de services à protéger. »

Quand le gouvernement aborde la question de la tarification, il pointe du doigt les tarifs d’électricité. Qu’en pense la CSN? Sa présidente s’objecte à un débat uniquement sur les tarifs. « Il faut, dit-elle, examiner l’ensemble de la politique énergétique. La recherche et le développement d’énergies vertes alternatives, l’autonomie énergétique du Québec, la nationalisation de certaines formes d’énergie devraient occuper une place importante dans la discussion. »

Dans son dernier ouvrage, Imaginer l’après-crise (Boréal), Jean-François Lisée avance l’idée des éco-taxes, des taxes conçues pour freiner la consommation de certains produits non écologiques. « Nous sommes prêts à examiner des solutions alternatives. Les éco-taxes peuvent avoir un effet structurant sur l’avenir de la société », admet-elle.

Mais Claudette Carbonneau insiste : « Le débat sur les finances publiques ne concerne pas uniquement le secteur public. C’est l’affaire de toute la population. C’est une règle fondamentale, pour nous à la CSN ».