Tiger et le jury médiatique blanc

2010/01/06 | Par Ishmael Reed

L’auteur habite Oakland (Californie). 
Il lancera en avril à Montréal Barack Obama and the Jim Crow Media, The Return of the Nigger Breakers (Baraka Books, de Montréal)

Mon quartier d’Oakland était très majoritairement noir quand j’y suis arrivé il y a 30 ans. Avec l’embourgeoisement et l’immigration, il s’est diversifié aujourd’hui. Même la bande qui vend de la drogue aux passants dans le quartier depuis 5 ans s’est diversifiée. Le chef, jusqu’à ce qu’il soit assassiné il y a quelques mois, était originaire du Sud asiatique.

Une jeune blanche promène son chien Saint-Hubert (bloodhound) devant chez moi chaque matin. Pour moi, considérant l’histoire des Saint-Huberts et des Noirs, l’expérience n’est pas très agréable. La relation entre les Noirs et les jurys blancs a également été marquée par la frustration et la déception.

Depuis deux ans, Richard Prince de l’institut Maynard—portant le nom de feu l’éditeur du Tribune d’Oakland, Robert Maynard—a constaté la disparition des journalistes noirs, asiatiques et hispaniques des médias américains. Ainsi, c’est généralement un jury médiatique entièrement blanc qui se charge de passer en revue la carrière d’une célébrité noire, voire d’un président noir. Et les journalistes sportifs sont, dans l’ensemble, les plus ouvertement racistes.

Certains ont même traité le boxeur Joe Louis, un patriote qui a fait la Seconde guerre mondiale, d’« animal » qui n’avait pas besoin de s’entraîner. Les tribulations de Tiger arrivent au moment où le ministère de Justice sous Barack Obama refuse toujours d’accorder son pardon à Jack Johnson, le champion des poids lourds qui a eu des démêlés judiciaires pour avoir fréquenté des femmes blanches (et ce dans un pays qui a produit une nouvelle race grâce aux relations intimes interraciales… mais toujours en privé).

Après la saga de Jack Johnson, Joe Louis a eu le droit de fréquenter des femmes blanches, mais dans la discrétion. Muhammad Ali est une icône américaine car ses partenaires étaient noires, la plupart du temps.

Tiger Woods n’est pas le premier golfeur noir, mais le golf n’est pas exactement un sport noir. Dans son cas, comme pour la plupart des célébrités noires, ce ne sont pas les noirs qui ont contribué à en faire des vedettes. On nous demande notre avis seulement quand ils sont dans le pétrin. L’autre jour, quand je suis allé chez le dentiste, une jeune technicienne a sympathisé avec moi comme si Tiger faisait partie de ma famille. « N’est-ce pas terrible pour Tiger ? », m’a-t-elle demandée. « Oui, ai-je répondu, il doit commencer à penser qu’il est un sénateur. »

Une blague, bien sûr, mais sur fond de vérité. En réponse à une question du Wall Street Journal, j’ai suggéré à Tiger de consulter le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger. Avant son élection, le Los Angeles Times a révélé que ce dernier était un coureur de jupons invétéré. Comment a-t-il composé avec les nombreuses accusations venant d’autant de sulfureuses blondes? Il a simplement déclaré qu’il ferait enquête lui-même, sur lui-même, mais après l’élection. Il a gagné le vote des femmes ainsi que l’appui de la féministe de la télé Tammy Bruce.

Après l’élection, le bureau du gouverneur a dit que l’enquête ne serait pas nécessaire. Le sénateur Orrin Hatch, champion des family values, a même suggéré d’amender la Constitution pour permettre au Terminator de se présenter à la présidence des États-Unis.

Tiger pourrait également consulter André Agassi pour savoir comment son histoire d’addiction à la méthadone n’a duré qu’une semaine dans les médias. Il pourrait aussi demander à Lance Armstrong comment il a réussi à garder son image propre, propre, propre, même si les accusations de dopage ne se démentent pas.

Feu Rick James a demandé à un intervieweur pourquoi on s’intéressait davantage à Michael Jackson qu’à la guerre en Irak. C’est le cas de Michael Vick, de Chris Brown, de O.J., de Kobe Bryant et d’autres athlètes noirs.

Tiger occupe constamment la une non seulement des tabloïds, mais aussi des médias « progressistes » comme le Huffington Post, Salon.com. Sur Air America, Ed Schultz et Bill Press se comportent comme des médias pornos. Bill Press est le « progressiste » américain des années 2000. Pendant son séjour en Californie, il s’est joint à la droite pour éliminer les programmes d’accès à l’égalité (affirmative action).

Sur MSNBC avant Noël, à l’émission de David Shuster, malgré l’information sur la disponibilité des millions de courriels de l’administration de George W. Bush et les reportages sur la conférence de Copenhague, les frasques de Tiger constituaient toujours la première nouvelle. Le Daily News a mis Tiger à la une plus souvent qu’il ne l’a fait pour le 11 septembre 2001. Et le New York Post a traité Tiger de « Cheeta » du nom du fidèle chimpanzé de Tarzan.

La meilleure analyse de cette obsession pour Tiger que j’ai lue est celle de la Docteure Susan Block, une psychologue, sur Counterpunch.org. Pour expliquer l’obsession, elle a signalé les fantasmes de ses patients, des hommes blancs. Si seulement elle pouvait recevoir sur le divan certains journalistes sportifs. Depuis des années, ces journalistes sportifs essaient de cultiver des great white hopes pour défendre la race blanche contre un athlète noir supérieur. Cet espoir blanc est arrivé, mais c’est sous la forme d’une serveuse de cocktails.

Je ne sais pas si cette masse que les médias qualifient de l’American Public est très indulgente, mais les amateurs de sports le sont. Les journalistes sportifs disaient que Michael Vick et Kobe Bryant étaient finis. Mais les amateurs continuent à applaudir chacun de leurs touchés et chacun des leurs smashs. Il y a donc espoir.

Mon homme, le président John F. Kennedy, a couru des jupons de manière frénétique. Seymour Hersh dit que son entourage lui amenait les meilleures escortes pour satisfaire son addiction au sexe. Or un sondage récent révèle que c’est la figure de JFK que la population veut voir sur le mont Rushmore à côté des autres grands présidents américains.

Sois patient Tiger.