La taxe Tobin, on la croyait morte et enterrée

2010/01/19 | Par Claude Vaillancourt

On la croyait morte et enterrée. Mais voilà que l’idée d’une taxe sur les transactions monétaires (ou taxe Tobin) retrouve une vigueur inattendue. C’est dire à quel point la crise a frappé durement, même si les grands banquiers font semblant qu’elle n’a pas existé.

Devant les hoquets de l’économie mondiale et devant l’instabilité qui en résulte, il fallait bien trouver quelque chose. Tant le G20 que l’ONU se sont efforcés de ne pas résister à la puissante force d’inertie qui les paralyse tout naturellement. Mais il y des limites à ne pas agir. Voilà donc que la bonne vieille taxe sur les transactions financières semble tout à coup une idée profitable.

Récemment, cette taxe, défendue depuis des années par l’organisation ATTAC, a reçu de surprenants appuis. Chez les économistes d’abord, dont certains parmi les plus réputés, Joseph Stiglitz, Paul Krugman, François Morin et même le très conservateur Lawrence Summers, chef du Conseil économique national des États-Unis. Le soutien d’Adair Turner, président de l’Autorité des marchés financiers britannique, a eu l’effet d’une bombe dans le milieu de la finance. Depuis, des chefs d’État ont aussi appuyé l’idée: Nicolas Sarkozy, Gordon Brown, Angela Merkel.

Si bien que Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de France, avec l’appui de douze pays, a lancé un groupe de travail afin d’examiner l’impact et la faisabilité d’une pareille taxe. Le projet sur la table : une taxe de 0,005% qui devrait rapporter 30 milliards par années pour l’aide au développement.

Rappelons que cette taxe, qui concerne uniquement les échanges de devises, pourrait s’appliquer à un immense marché où transigent 3 000 milliards $ par jour. Lors de la seule journée du 18 septembre 2008, par exemple, le Continuous Linked Settlement, qui gère la quasi totalité des transactions monétaires, a enregistré 1,554,166 transactions dans 17 devises pour une valeur de 8,6 billion $ (1,300 U.S. dollars par jour pour chaque citoyen de la Terre !)

 

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Alors que les États souffrent d’un sous-financement chronique, que la concurrence fiscale réduit de façon considérable leurs revenus, que les inégalités ne cessent de s’accentuer, il n’existe aucun moyen que la manne engendrée par une spéculation, aux effets nocifs maintes fois démontrés, puisse profiter d’une quelconque façon à l’immense majorité de la population mondiale.

Il va de soi que les citoyens et citoyennes paient leur juste part d’impôts au pays, à la province ou à la ville où ils habitent ; mais des transactions financières très profitables à une minorité et dangereuses pour la majorité, quant à elles, ne contribuent en rien au fisc.

La taxe sur les transactions monétaires pourrait être, dans le meilleur des mondes, le premier jalon de taxes internationales qui s’appliqueraient par exemple au revenu global des compagnies transnationales, aux investissements directs à l’étranger, aux produits dérivés, aux émissions de carbone.

Ces montants suffiraient plus que largement à financer l’accès universel aux services sociaux de base. Ce système assurerait un processus permanent de distribution de la richesse à l’échelle mondiale, ce qui serait en soi une véritable révolution.

Certes, nous sommes bien loin de voir ce jour. La taxe Tobin, dans son application la plus prudente, rencontre de redoutables adversaires. Ceux-ci doutent surtout que cette taxe ait un effet stabilisateur sur l’économie et craignent qu’elle fasse baisser inutilement le nombre de transactions.

Mais surtout, ils rejettent de façon viscérale, comme une pure hérésie, l’idée même d’une taxe, ou de toute autre intervention qui oserait s’interposer dans le cours de ce grand et puissant fleuve qu’est le marché.

 

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Revenons à la proposition lancée par Bernard Kouchner: une taxe de 0,005% pouvant rapporter 30 milliards $. Celle-ci reste loin de la revendication d’ATTAC, qui vise une taxe de 0,1%. Les sommes récoltées ne permettront pas d’amasser des fonds suffisants pour donner des services de base satisfaisants dans les pays pauvres. Et le montant de la taxe ne sera pas assez élevé pour ralentir la spéculation sur les monnaies et éviter les effondrements de devises qui ont causé de grands ravages.

Par contre, cette proposition est malgré tout un pas en avant. 30 milliards $ n’est pas un montant négligeable. Devant l’opposition acharnée des détracteurs de la taxe, peut-être est-il préférable d’y aller d’abord en douceur, par un prélèvement si léger qu’il se fera sans douleur. Et peut-être que l’éventuel succès de cette taxe encouragera-t-elle à développer d’autres mesures de ce genre ?

Bref, cette proposition place les partisans des taxes internationales devant un dilemme familier, mais toujours difficile à résoudre : doit-on favoriser une réforme plus nette et plus appropriée, ou est-il préférable de procéder par étapes ?

Certes, la taxe sur les transactions monétaires n’est pas une panacée. Il est clair que tous les problèmes du monde ne se ramènent pas à des questions d’argent. Les montants que la taxe rapportera soulèveront la convoitise et pourront être détournés à des fins qui n’ont rien à voir avec l’aide au développement. Dominique Strauss-Khan, président du Fonds monétaire international, conçoit même qu’elle puisse servir de coussin aux banquiers irresponsables concepteurs de produits financiers toxiques.

Il n’en reste pas moins qu’il faut voir une pareille taxe comme une importante avancée, ne serait-ce parce qu’elle ramène le principe d’une essentielle distribution de la richesse. Quoi qu’on en dise, de bons revenus sagement attribués dans un objectif de justice sociale pourraient changer la vie de centaines de millions de personnes parmi les plus pauvres.

Au Canada, les Conservateurs, qui réussissent l’exploit d’avoir toujours tout faux en politique internationale, refusent d’appuyer la taxe sur les transactions monétaires, sous le prétexte incongru que «le Canada n’a pas besoin d’une nouvelle taxe» ! Peut-être faudrait-il leur rappeler que le Parlement canadien a approuvé le principe de cette taxe en 1998 ?  Et qu’une pareille mesure ne videra en rien les coffres des Canadiens, tout en donnant une aide précieuse à ceux qui en ont besoin ?

 

ATTAC-Québec présente une conférence sur la taxe sur les transactions monétaires le mardi 20 janvier à 19h30 avec l’auteur de cet article. Pavillon de l’Éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) 1205, rue Saint-Denis (angle René-Lévesque), Salle N-M 450.