Des écoles solidaires avec Haïti?

2010/02/01 | Par Robert Cadotte

Robert Cadotte a été commissaire de 1990 à 2003 à la Commission scolaire de Montréal

Dans quelques semaines, une fois le pire passé, il va falloir reconstruire ce pays qui était déjà le plus pauvre des Amériques. Il n’y a pas que les maisons et les infrastructures à reconstruire, mais aussi le réseau scolaire, la clé pour un véritable développement durable.

Le système d’éducation haïtien était déjà en piètre état. Selon l’UNICEF, seulement 50% des enfants fréquentaient une école primaire. Trente-huit pour cent des adultes sont analphabètes.

Voilà déjà 11 ans que j’ai quitté le MÉMO, un parti scolaire montréalais. En discutant avec des amis sur les meilleures stratégies pour aider Haïti, je me suis souvenu d’une promesse électorale sur laquelle j’avais travaillé en 1994, alors que je militais activement dans ce parti. Nous proposions d’impliquer le personnel et les élèves de la commission scolaire pour aider Haïti dans une campagne d’alphabétisation. Plusieurs actions étaient envisagées.

Je me suis permis d’actualiser ces suggestions dans le contexte de la situation présente. Pour que l’opération décrite ci-après réussisse, il faut que les commissions scolaires du Québec s’impliquent. Il faut surtout que leur fédération coordonne l’opération pour éviter le cafouillage et l’improvisation.


Les sacs d’école

L’objectif du projet est d’amener chaque élève québécois, du 2e cycle du primaire à la fin du secondaire, à poser un geste de solidarité en faisant parvenir un sac d’école dûment rempli à un enfant haïtien afin de l’aider à reprendre sa scolarisation.

L’idée d’impliquer les élèves dans une opération d’alphabétisation n’est pas nouvelle. En 1980, la CEQ a déjà organisé avec succès une campagne auprès des élèves du Québec pour ramasser des fonds servant à aider les élèves du Nicaragua. Cette campagne avait permis d’amasser 200 000$ de matériel scolaire.

L’éducation est essentielle pour sortir de la misère, c’est pourquoi nous avons retenu ce geste particulier. Avant même la catastrophe, les élèves haïtiens avaient un urgent besoin de matériel de base. Déjà en 1994, plus de dix écoles de Port-au-Prince n’avaient ni craies, ni crayons, ni papier à fournir aux élèves et aux enseignants. Imaginez ce que sera la situation dans quelques semaines ou mois quand il sera temps de reprendre l’école.

L’opération proposée en est une d’envergure. Elle comprend plusieurs volets.


Démarche exigeante.

L’objectif est que chaque élève investisse temps et énergie afin d’amasser les fonds et le matériel pour constituer un sac d’école complet, comprenant le sac lui-même, des cahiers et des crayons, des gommes à effacer, une règle, des ciseaux, des crayons de couleurs, du matériel d’arts plastiques, éventuellement un ou des manuels.

Il s’agit d’une démarche exigeante pour chaque élève, indépendamment du degré de fortune de ses parents. Il est en effet facile pour une famille aisée d’acheter le tout et de le donner à l’enfant, mais celui-ci n’aurait alors rien appris sur la solidarité.

La démarche proposée vise aussi à créer un contact à plus long terme entre chaque élève du Québec et un enfant haïtien. Pour y arriver, il serait souhaitable d’entreprendre éventuellement une correspondance scolaire et des échanges divers entre les élèves.


Solidarité locale.

Les élèves du Québec sont dans une position de départ très inégalitaire pour remplir un sac d’école. Près de 30% des familles vivent sous le seuil de la pauvreté. Il n’est pas question d’hypothéquer le maigre revenu de ces familles.

Un des éléments du projet devrait donc être de créer des solidarités entre les élèves d’une même classe ainsi qu’entre des écoles défavorisées et favorisées. Il est important que chaque élève puisse envoyer un sac d’école équivalent en Haïti.


Jeunes Québécois d’origine haïtienne.

Actuellement, plusieurs jeunes Québécois d’origine haïtienne rencontrent un sérieux problème d’identité. Ils ne se sentent ni haïtiens, ni québécois. Cependant, ce sont eux qui connaissent le mieux les deux réalités. Ce sont aussi les plus capables de faire comprendre à quel point les réalités du Québec et d’Haïti sont à des univers de distance.

Nous devrions donc viser à ce qu’ils aient un rôle central dans ce projet. Leur mission pourrait être de servir « d’experts conseils » aux autres élèves.


Éviter l'improvisation.

Les enseignants ont besoin d’un minimum d’outils pédagogiques pour réussir cette opération. Il est donc nécessaire que l’organisme coordonnateur voit à préparer rapidement ces outils.


Inviter le personnel à enrichir le projet

En 1994, quand nous avons commencé à parler de ce projet, nous avons reçu plusieurs suggestions de personnes désireuses de l’enrichir. Je vous en soumets trois pour illustrer à quoi peut ressembler une grande corvée de solidarité si tout le monde s’y met.

1)               Les écoles d’imprimerie. On a ainsi suggéré d’inviter les enseignants et le élèves de l’option imprimerie des écoles et cégeps professionnels à s’impliquer dans le projet. À titre de « travaux pratiques », les élèves pourraient choisir d’imprimer un manuel scolaire adapté à la réalité haïtienne et rédigé par des Haïtiens.

Évidemment, l’impression d’un manuel ne pourra être réalisé que si une papetière accepte de fournir gracieusement le papier.

Si une telle idée devait se matérialiser, on a aussi proposé de réserver trois pages vierges, au début de chaque manuel, afin de permettre aux élèves du Québec d’écrire un message à leur vis-à-vis haïtien.

2)               Les écoles de mode. Plusieurs sacs d’école usagés pourront être ramassés. Sans doute sera-t-il nécessaire d’en trouver d’autres. Plutôt que de trouver de l’argent pour acheter les sacs d’école manquants, on a suggéré d’inviter les enseignants et les élèves de l’option « mode et vêtements » de certaines écoles et cégep à s’impliquer également dans le projet. Dans ce cas, les travaux pratiques pourraient consister à confectionner plusieurs sacs d’école. Il faudra alors pouvoir compter sur des dons de compagnies pour fournir les matières premières (plastiques, cuirs, tissus).

 

3)               Des tablettesOn a suggéré de récupérer le papier dans les écoles afin de fabriquer des tablettes qui puissent être utilisées par les élèves haïtiens. Le papier doit d’abord être classé et préparé pour l’impression. Cela serait fait par chaque école.

Il faut ensuite imprimer des lignes sur chaque feuille, puis coller ces feuilles pour en fabriquer des tablettes. Cette impression pourrait être faite par des employés d’imprimerie qui acceptent de faire du bénévolat. La CECM possède une imprimerie très performante qui pourrait être utilisée en dehors des heures de travail.


Le financement.

Les commissions scolaires peuvent très bien financer la collecte de sacs d’école en utilisant leur propre personnel. Cela ne requiert pas de budget exceptionnel.

Là où un financement est requis c’est bien sûr pour la construction urgente d’écoles. Fort heureusement, le climat permet que ces écoles soient construites à moindre frais. Il est donc important que la Fédération se coordonne avec l’ACDI pour que celle-ci finance la construction d’écoles.

Pour réaliser cette tâche, les commissions scolaires offrant l’option « métiers de la construction » pourraient sans doute organiser une corvée des étudiants et des profs pour aller aider les Haïtiens à reconstruire quelques écoles.

Un autre financement, qui pourrait cette fois provenir du ministère de l’Éducation, devrait servir à la formation des enseignants. Il en faut beaucoup plus pour diminuer l’analphabétisme des jeunes Haïtiens. 


Un rêve en couleurs

En 1994, dans ses moments de détente, le comité qui avait conçu ce projet s’est adonné à rêver de choses inimaginables, impossibles.

Par exemple, il s’est pris à imaginer qu’un premier ministre canadien, dans un grand élan de générosité, décide de réduire légèrement, pendant un an seulement, le budget de la Défense. Il n’y a là vraiment pas de quoi se sentir désarmé face aux envahisseurs potentiels. Seuls les États-Unis ont la capacité de nous envahir. Même si on doublait le budget de la défense, cela ne les empêcherait en rien de nous envahir s’ils décidaient de le faire.

Avec une maigre coupure de 10% pendant une seule année, on pourrait financer la construction de 1 600 écoles à un million pièce, incluant des équipements décents (tables, chaises, rétroprojecteur, quelques ordinateurs, etc.).

Mais n’ayez crainte, le comité avait conservé une graine de bon sens. Nous étions réalistes et ne pensions pas qu’un premier ministre puisse faire une chose aussi monstrueuse que de changer quelques dollars de sabres en socs de charrue.