Campagne de salissage contre les pompiers

2010/02/05 | Par Maude Messier

Rappelons que les pompiers, les cols-bleus et les policiers de la ville de Montréal sont sans contrat de travail depuis plus de deux ans, les négociations étant au point mort pour les uns et en cours d’arbitrage pour les autres.

Dans le dossier des pompiers, l’arbitre doit justement rendre une décision sous peu relativement aux clauses salariales pour les années 2007 à 2009. Craignant que la décision ne soit favorable aux pompiers, la ville a choisi de «prévenir» plutôt que de «guérir» en optant pour la propagande médiatique.

Ce n’est certainement pas par hasard que TVA diffusait cette semaine, quelques jours avant que la décision ne soit rendue, deux reportages faisant état de la condition financière «précaire» de la ville, des conditions de travail pourtant «avantageuses» des pompiers de la ville et de leurs demandes «irréalistes», tout en insistant sur le précédant qu’une telle décision causerait.

Jean-Yves Hinse, directeur des relations professionnelles au Service du capital humain, est le maître-d’oeuvre des négociations entre la ville de Montréal et les syndicats. D’abord directeur des relations industrielles chez Gaz Métropolitain, M. Hinse a ensuite été vice-président du Groupe TVA inc. pendant sept ans.

Avec une longue expérience en matière de gestion des ressources humaines, son arrivée à la ville de Montréal n’a pas été sans remous : «Rien de ce qui se passe actuellement dans les négociations à la ville n’est dans l’intérêt des citoyens, c’est juste une affaire politique. Casser le syndicat, c’est clair que c’est ça son mandat, s’indigne Perry Bisson, président de l’Association des pompiers de Montréal (APM), qui représente les quelque 2 300 pompiers de la ville. Depuis le début, la ville ne montre aucun esprit de négociation. Elle est en mode affrontement.»

La ville cherche à imposer coûte que coûte son cadre financier restrictif aux syndicats, dont l’APM, peu importe les moyens à prendre : application drastique des mesures disciplinaires sans gradation (congédiements et rétrogradations inclus), attitude arrogante et intransigeante, mauvaise foi à la table de négociations.

L’administration municipale se déresponsabilise complètement et esquive le terrain ardu des négociations, déléguant le plein mandat de négociation à M. Hinse: «Avant, quant les négociations accrochaient ou que les négociateurs avaient un mandat limité et qu’on n’arrivait pas à s’entendre, l’administration publique répondait. Aujourd’hui, les élus municipaux ne savent même pas ce qui se passe. Le maire a des responsabilités à assumer, mais il s’en lave les mains.», note Perry Bisson. Toute demande de rencontre et de discussion à l’Hôtel de ville par l’APM s’est soldée par une fin de non recevoir.

Au-delà d’un règlement quant aux conditions de travail des pompiers, la mauvaise foi de la ville et son mépris mettent en rogne le syndicat : «La ville refuse de négocier et tente de nous intimider par la répression. Ce n’est pas une façon de faire en 2010! Ça montre le peu de respect que la ville a pour ses employés.»

À propos du respect, il semble que tous les employés de la ville n’ont pas droit au même traitement, quoi qu’on en dise. Le cadre financier de la ville imposait aux pompiers, comme à tous les autres corps de métiers, 0% d’augmentation de salaire pour l’année 2007.

Déjà frustrée d’une offre aussi impudente, l’APM apprend que les cadres ont pour leur part eu droit à des augmentations frôlant les 20%. «L’abolition des échelles de la direction du service incendie a doublé les bénéfices pour leur caisse de retraite par année de service, ce qui représente environ 400 000$. C’est aussi scandaleux que les bonus des pdg des banques!», s’indigne le président du syndicat.

Cette situation est d’autant plus indécente pour l’APM que les pompiers ont vu leur charge de travail et leurs responsabilités augmenter substantiellement au cours des derniers mois avec l’instauration sur l’île de Montréal du service «premiers répondants» (PR).

Les pompiers sont désormais des acteurs de premières lignes quant à la santé et à la sécurité des citoyens. «Malgré ce conflit venimeux, les pompiers se sont pleinement impliqués dans le service, par leur travail et par souci pour les citoyens. Les pompiers répondent à quelque 50 000 appels incendie par année auxquels s’ajoutent les appels PR, dont on estime le nombre à 75 000 pour 2010.»

Être premier répondant nécessite la maîtrise de nouvelles connaissances et l’acquisition de nouvelles compétences. Les pompiers sont exposés à une augmentation des risques tant physiques que psychologiques sur leur milieu de travail. Malgré tout, «la ville ne reconnaît absolument pas l’étendue et la qualité du travail essentiel accompli par les pompiers.»

Dénuée de toute ouverture à la négociation et déterminée à faire avaler son cadre financier tel quel, l’APM a opté pour le terrain neutre : l’arbitrage. «Même une fois engagée dans le processus d’arbitrage, la ville a continué à démontrer sa mauvaise foi. Elle a par exemple demandé l’abolition de tous les comités paritaires parce qu’elle estime que ça nuit à son droit de gérance! C’est de la provocation et c’est absurde.»

Ajoutons aussi que la ville renvoie systématiquement en révision judiciaire les arbitrages de griefs, favorisant la judiciarisation des relations de travail qui dépersonnalise les conflits de travail.

Mieux encore, elle s’est opposée à ce que les nouvelles conventions soient rétroactives pour les années passées en conflit de travail, ce qui représenterait une perte immense et injustifiable. Toutes les initiatives du syndicat pour un retour à la table en vue de régler le conflit ont été rabrouées.

Dans un contexte où les pompiers n’ont pas le droit de grève et qu’ils n’ont que bien peu de latitude dans l’exercice de moyens de pression, ils ont choisi d’affronter leur employeur sur un terrain neutre, laissant le soin à un spécialiste des relations de travail impartial d’évaluer l’ensemble du dossier et de trancher.

Malgré tout, les pompiers ont maintenant droit à la même médecine que celle octroyée aux cols bleus, le salissage médiatique en bonne et due forme.