Le scandale de l’Internet haute vitesse

2010/02/16 | Par Camille Beaulieu

Rouyn-Noranda – Le village qui n’a pas accès à Internet haute vitesse ne peut plus espérer attirer une entreprise, pas même un travailleur autonome. Plus le temps passe, plus les infopauvres sont déconnectés ». Quatre années ont passé depuis cette réflexion désabusée de l’éditorialiste de La Presse Nathalie Collard. Un nombre grandissant de pays implante depuis la haute vitesse pour tous, la Finlande y voit même un droit humain fondamental. Au Québec, 300 000 foyers et près d’un million de citoyens sont toujours privés d’Internet haute vitesse.

C’est pour cause d’analphabétisme qu’Internet lambine sur le continent africain. Mais c’est ironiquement parce que nos Bell, Télus, Rogers, Québécor et autres Télébec savent trop bien compter que 800 000 Québécois[1] attendent encore la haute vitesse dix ans après la généralisation de cette technologie en pays développés. 300 000 foyers dans 300 communautés. 10% de la population souvent isolée en régions périphériques est prise en otage depuis dix ans d’une poignée de grosses corporations à l’influence démesurée.

Internet et sa trâlée de gadgets « genre » smartphones, Nexus One ou pis encore, cet incongru lien magique et gratuit, Skype ou la téléphonie IP, constituent un risque certain de désuétude pour les pachydermes du câble gainé. Des témoins de toutes les régions du Québec rapportent que les entreprises de téléphonie ont paré la menace en imposant une pénurie artificielle.

Leur quasi monopole, de concert avec d’autres joueurs comme Cogeco et Videotron, a permis aux gros fournisseurs Internet de chipoter sur les mises à jour technologiques, de renchérir follement sur le prix de l’accès au Web mondial, tout en ralentissant les réseaux des fournisseurs subalternes aux heures de pointe. On comprend pourquoi les Québécois les mieux nantis disposent d’une vitesse de téléchargement de 16 Mb/s contre plus de 50 Mb/s en Corée[2].

Les majors de la téléphonie ont bénéficié, dans cet escamotage d’un bien public, du silence d’une presse fascinée par les castors et aliénée par l’association conclue par Radio Canada, Bell et la Presse en 2002. Elles ont été confortées par le CRTC[3] qui a approuvé tout récemment encore la réduction volontaire du trafic Internet acheminé par Bell vers des fournisseurs indépendants. Les entreprises de téléphonie ont reçu enfin la bénédiction bonasse ou intéressée de nombre de municipalités, CRD[4], CRÉ[5] et de politiciens de tous poils et de toutes tendances.

Agissant à la façon d’une chape de plomb cette convergence d’intérêts a masqué pendant une décennie les roueries, mensonges et intimidations qui ont neutralisé la plupart des entreprises et regroupements de p’tits génies de l’informatique brûlant d’implanter Internet haute vitesse aux quatre coins du Québec.

Le Québec, de premier à zéro

Le Québec comme le Canada partait pourtant gagnant dans la course aux nouvelles technologies en voie de redéfinir la vie et le travail. En tête des leaders mondiaux des technologies de l’information en 2000, nous traînons au 22e rang des pays développés dix dans plus tard. Plus atterrant, une étude des universités Oxford de Grande-Bretagne et Oviedo d’Espagne constate que nous flemmardons au 57ième rang mondial pour la qualité de la bande passante, tandis que l’OCDE s’étonne qu’Internet haute vitesse coûte 55 fois plus cher ici qu’au Japon.

C’est l’infopauvreté qui trahit d’abord l’indigence d’Internet chez nous. Au point où le sort de l’Afrique devient presqu’enviable vu d’Abitibi et de Gaspésie en butte à des sociétés de téléphonie qui serinent depuis des années: « Patience, la haute vitesse, c’est dans deux ans. Un p’tit 56 kbps (56 000 bits par secondes) téléphonique en attendant ? »

La dernière promesse en l’air a été livrée lorsque Nathalie Normandeau, la ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation des territoires, a annoncé, il y a peu, l’injection de 24 M$, prévoyant réduire l’infopauvreté de moitié d’ici 2015. Or, à ce jour, tous ces programmes, le Large Bande à Ottawa et Villages branchés à Québec, ont d’abord et parfois exclusivement favorisé les sociétés de téléphonie. Celles-là même qui freinent des quatre fers l’implantation de la haute vitesse au Canada.

Conséquences, les situations varient, mais l’infopauvreté frappe partout, aussi près qu’à vingt ou trente kilomètres de Montréal.

Un sondage réalisé par le Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées révélait en septembre dernier que l’Outaouais, l’Estrie, la Mauricie et la Gaspésie sont les régions les plus affectées. Hormis les centres des villages, Montérégie, Laurentides, Lanaudière, Chaudière-Appalaches ne sont pas beaucoup mieux pourvues.

Internet haute vitesse, aussi essentiel que l’électricité d’après le président de la FQM[6] Bernard Généreux, se distribue partout au petit bonheur la chance à l’aune de la plus ou moins grande proximité d’installations téléphoniques permettant de bricoler un lien au réseau large bande payé par nos taxes à Ottawa.

Nous performons de plus en plus mal face aux pays modernes dont les gouvernements poussent au développement d’Internet et dont plusieurs, Japon, Corée, Suède par exemple, prévoient généraliser Internet à 100 Mb/s d’ici 2015.

La Finlande, encore elle, a adopté un programme de 300 M$ pour une population de 5 millions d’habitants. Le Canada offre, lui, 225 $M pour 30 millions de citoyens répartis sur un territoire 30 fois plus important.

La haute vitesse au Québec, un coup de dés ?

Il a fallu une révolte parmi les 40% d’infopauvres gaspésiens, en secteur de Télus, pour que le Réseau collectif régional de communications électroniques qui refusait jusqu’alors le rôle de fournisseur promette de bientôt conjuguer Internet haute vitesse et téléphonie cellulaire dans 43 communautés. Reste encore aujourd’hui à concrétiser ces espérances.

Les citoyens de la MRC[7] de Papineau dénonçaient récemment au CRTC la manie chez Télébec d’écrémer les zones rentables, c’est-à-dire le cœur des villages, laissant les secteurs ruraux démunis parce que moins intéressants pour d’éventuels fournisseurs internet indépendants.

Les 70 communautés et 26 000 domiciles ruraux d’Abitibi-Témiscamingue peuvent émettre le même grief au plus-que-parfait. Nombre de familles comme Alain Poirier, sa blonde et leurs 3 enfants des rangs 8 et 9 à Évain, à 15 kilomètres du centre ville de Rouyn-Noranda, ragent de se voir réclamer, conjointement avec d’autres voisins, 24 000 $ avant même que Cablevision (affilié à Bell et Télébec) ne se penche sur leur no man’s land. « On a demandé à Hydro Québec de fournir les poteaux gratuitement à Câblevision. Impossible, paraît-il, ils n’ont pas de formulaire pour ça ! »

Dans le coin de Rivière-du-Loup, moins de 30 % des gens ont accès à la haute vitesse, 29% en Basse-Côte-Nord et plus ou moins 40% en Estrie.

Tout le Québec est au courant que la campagne n’est pas branchée, plusieurs savent pourquoi. Et pourtant, rien ne se passe !

Ce qu’on appellera peut-être un jour le scandale de la haute vitesse, comme on dit scandale des commandites ou de Norbourg, n’a cessé de bourdonner aux oreilles du CRTC ces dernières années. Les bureaux des députés en régions bruissent de rumeurs persistantes et désagréables. On évoque surtout le détournement de fonds publics, l’indigence d’Internet et la surfacturation à domicile.

Le laxisme le plus folichon, c’est évident, a régné par endroits. En contrepartie de fonds fédéraux, Télébec s’est engagée par contrat à offrir Internet à haut débit dans un nombre accru de localités dès 2010 en Abitibi-Témiscamingue. Nombre accru mais indéfini, peut-on rêver contrainte plus douce? Et les gouvernements remettent la table pour de nouvelles injections, 225 M$ au fédéral et 24 M$ au provincial.

Des millions de loyers mensuels ont par ailleurs été perçus de consommateurs otages, en échange de services Internet onéreux et non performants, (équipements non compris dix années de basse vitesse téléphonique représentent 2000$ par domicile, 6 000$ pour la vitesse intermédiaire, etc.).

TVA a en outre révélé il y a deux ans que, dans certaines régions, Bell facture des vitesses qu’elle est incapable de fournir. Sans compter les abus de positions dominantes, les publicités chimériques et les manipulations pour forcer un statu quo préjudiciable au plus grand nombre.

La décennie honteuse

Adopté au tournant du siècle, implanté en 2003, le programme fédéral de la large bande pour les populations nordiques, rurales et autochtones a pris fin en 2007. 900 collectivités canadiennes ont reçu 80 M$ auxquels s’ajoutent des participations provinciales et municipales. Les Laurentides, l’Outaouais, l’Abitibi-Témiscamingue, les Îles-de-la-Madeleine, Portneuf, Bécancour, Rivière-du-Loup, Montmagny, etc. une trentaine de communautés en tout s’en sont prévalues au Québec.

L’expression large bande désigne tout lien bidirectionnel de 2 Mb/s et plus par fibre optique, satellite ou micro-onde. Certaines MRC demeurent aujourd’hui encore propriétaires, d’autres sont simples utilisatrices, d’un réseau subventionné par Ottawa pour relier les institutions : écoles, hôpitaux, et autres administrations, sans jamais desservir les populations.

Certaines MRC (ou CRD) ont choisi l’extrême simplicité volontaire en transférant leurs subventions, la propriété des réseaux donc, aux maîtres d’œuvres; ainsi Télébec et Câble Amos pour l’Abitibi. Le même scénario à quelques variantes près s’est répété dans quatre autres régions : Gaspésie, Côte-Nord, Bas-St-Laurent et en Beauce.

Le large bande utilise la fibre optique, bien connue des sociétés de téléphonie, négligeant son complément naturel pour rejoindre les gens, la technologie alors en essor partout dans le monde, le Wifi.

Certains évaluent à deux ou trois millions de dollars les investissements pour brancher complètement par Wifi une région au relief régulier comme l’Abitibi. Robert Proulx, président fondateur du consortium d’ingénierie Xittel évaluait, il y a deux ans, la couverture Wifi[8] à 1,5 $M pour tous les secteurs ruraux en Outaouais. Des investissements qui n’ont apparemment rien de sardanapalesque !

Les sociétés de téléphonie et nombre de municipalités CRD ou CRÉ n’en ont pas moins, pendant des années, décrié le Wifi. Les même poussaient le cri de Tarzan à chaque étape de la réalisation du réseau institutionnel large bande qui ne mène à aucun domicile.

Ça n’est que depuis peu, après s’être cassé le museau sur le lien satellitaire et diverses variations du service par fil téléphonique à partir du large bande, comme les boucles ADS (limitées à 1,5 Mo/s sur 4 kilomètres), que des entreprises comme Bell, Télébec et Télus se tournent vers des p’tites cousines du Wifi, les ondes cellulaires, pour desservir encore très partiellement les secteurs ruraux.

Le changement va s’imposer avec le temps, le service va se généraliser un jour. Pour rester en course, ces entreprises n’en ont pas moins confiné des centaines de milliers de leurs concitoyens, pendant des années, à des technologies irréalistes et dispendieuses faites de fils, de fibres, de bric et de broc.

« Le réseau large bande est un réseau privé dispendieux, dénonçait dès le départ le maire de St-Félix de Dalquier, Rosaire Mongrain. Nous doutons de cette technologie par fil. » Décédé il y a quelques années, le maire Mongrain est une figure respectée du syndicalisme agricole au Québec.

Jules Grondin, son collègue de Berry, tempêtait déjà lui aussi que les citoyens se retrouvent payeurs, mais non bénéficiaires du service.

Télébec, par contre, a hérité, comme par miracle, d’un réseau de 24 M$ (pour la seule Abitibi) pour y avoir investit 5,2 M$. C’est tout le charme discret des PPP.

Télébec et son concurrent Câble-Amos utilisent depuis le large bande pour développer leur propre réseau Internet haute vitesse par fil ou par satellite (un demi à un et demi Mb/s pour de 65$/mois à 90$/mois) ne desservant que les centres des villages et les alentours très proches.

Cet écrémage, dénoncé il y a plusieurs années par Victor Verrier, directeur de la Coop Wifi d’Amos, jumelé à des pressions politiques et économiques de même qu’à une guéguerre non déclarée (Industrie Canada a dû interdire l’émission de rayonnements sabotant l’antenne Wifi sur le toit de l’hôpital à Amos), a mis hors-jeu un compétiteur qui prétendait distribuer Internet haute vitesse dans 24 000 foyers ruraux d’Abitibi, 50$ par mois pour 3 Mb/s. Une petite Coop sans grands moyens dirigée par des jeunes se frottait à une filiale de Bell ayant engrangé 27 M$ de profits en 2005. Plusieurs MRC, municipalités, CRD et CRÉ ont heureusement volé au secours de l’entreprise de téléphonie.

Laurentides, Gaspésie, Outaouais, etc., la même confrontation a bouleversé toutes les régions. Michel Poulin, directeur des services informatiques de l’Union des producteurs agricoles du Québec, l'UPA, évoquait les pertes collatérales en 2007 : « Le large bande visait les institutions, pas nos membres Ce qui nous retarde dans l’utilisation d’Internet, au point où la plupart de nos membres utilisent encore le fax.

Les évadés de l’Internet

Certaines communautés n’ont tout de même pas baissé les bras. Depuis quatre ans, les 1500 habitants de Saint-Théodore d’Acton ont su convaincre CoopTel (petite entreprise téléphonique) de coexister avec un réseau Wi Max (encore plus performant que le Wifi) qui arrose villages et rangs depuis 2005, jusqu’à Saint-Nazaire d’Acton et Upton.

« On va commencer par le Centre du Québec, du Richelieu jusqu’à la Beauce et du Saint-Laurent à la frontière américaine, pour desservir les milieux ruraux», prévoyait le directeur général de CoopTel, Michel Laurent. « Le sans fil est définitivement la façon la plus rapide de rejoindre la clientèle, surtout rurale. »

La MRC des Maskoutains étudie depuis un an le déploiement d’un réseau Internet haute vitesse dans tous les milieux ruraux de son territoire.

Dans l’ouest du Québec, c’est la MRC de Papineau elle-même qui a implanté le service Internet haute vitesse à domicile en ajoutant tout bêtement deux fibres au réseau large bande institutionnel. « Il aurait été possible d’installer un système de distribution sans fil partout où aboutit une fibre optique d’accès publique », estime Michel Samson, porte-parole d’Intelligence Papineau, organisme mandaté par la MRC pour installer l’Internet. « La fibre elle-même n’est que plomberie. Ce qui manque dans des régions comme la Gaspésie ce sont les bains les toilettes et les lavabos. ».

C’est mesurer à quel gaspillage de temps et d’argent a mené le programme large bande. Sa haute vitesse traverse insolemment les villages aux nez des gens pour desservir l’école et l’administration. Commerces, industries et surtout domiciles sont relégués au « bœuf » par modem téléphonique, qui n’ouvre même plus un soupirail sur un web devenu trop lourd.

La frustration, parfois, fait sauter la marmite. Marsoui, une petite communauté de Haute Gaspésie a adressé un audacieux pied de nez aux empêcheurs de surfer en rond le 16 janvier 2008 en émettant illégalement pendant un jour ou deux le signal Internet haute vitesse du large bande institutionnel vers des citoyens trop longtemps tenus pour quantité négligeable.

« On en a ras le bol, lançait la maire Jovette Grasse; la haute vitesse existe depuis 10 ans au pays. Nous devrions l’avoir depuis au moins quatre ou cinq ans. On ne veut plus attendre ! » Télus réclamait 100 branchements garantis pour desservir cette municipalité de 150 résidences.

Ginette Migneault de Mont-Louis a suivi d’un œil avide le souque à la corde de Marsoui. « Tous les p’tits villages gaspésiens voudraient faire pareil ! J’ai déjà vu une municipalité mettre son routeur dans la fenêtre pour brancher une entreprise de l’autre côté de la rue. C’est politique tout ça ! »

« On reçoit beaucoup de nouveaux arrivants à La Martre, expliquait le maire Raymond Saint-Pierre. La haute vitesse est essentielle pour les garder. »

« Les conditions de Télus sont irrecevables, renchérissait de son côté le maire de Mont-Louis, Paul Hébert Bernatchez. On a acheté les équipements pour brancher des commerces qui auraient fermé sans la haute vitesse. »

L’insurrection de Marsoui menaçait de conduire à l’émergence d’un front commun pour s’affranchir du « remote control » des prévaricateurs du Net. Les élus régionaux y sont allés de la stratégie habituelle, une macédoine de subventions, 11 M$, pour faire chuter la pression. Aux dernières nouvelles, 12 000 foyers et entreprises attendent toujours l’accès à la haute vitesse en Gaspésie.

Ginette Migneault a de son côté créé un OSBL pour brancher Mont-Louis, Anse Pleureuse et Gros Morne. Son fournisseur de l’accès au Web l’a neutralisée net par surfacturation. « Télus proposait 3 Mb/s, pour couvrir les trois villages, à 1 500$ par mois ! Télus a beau jeu tant qu’elle n’aura pas de concurrent ! »

Un autre OBSL carburant au bénévolat, Communautel, arrose les municipalités de Nominingue, La Macaza et Rivière Rouge avec des visées sur d’autres villages alentour. La haute vitesse jusqu’à 6 Mo/s s’y détaillait 40$ par mois sans contrat dès 2008. Une prouesse, parce que « Télébec et Bell ont tout fait pour nous ralentir », déplorait le conseiller technique Jean-Paul Bleau.

Communautel n’est pas seule. La Fédération des coopératives de câblodistribution et de télécommunication du Québec, (FCCTQ) compte actuellement 35 coopératives desservant 100 000 membres.

Ailleurs, c’est parfois sans bruit que des communautés sont entrées dans le XXIème siècle et ont accédé au Web mondial. Ottawa, par exemple, une municipalité rurale à 90%, offre depuis des années 1 Mb/s à 35$ par mois à titre de service public. Yamachiche branche ses citoyens par le truchement de la commission scolaire. 3 Mb/s pour 40$ par mois.

Sans faire de bruit elle non plus, Xittel, une entreprise d’ingénierie de Trois-Rivières a développé un réseau combinant fibres optiques et micro-ondes pour acheminer Internet haute vitesse dans toutes les campagnes considérées peu rentables par les sociétés de câblodistribution et de téléphonie. L’entreprise desservait 10 000 clients dans 200 communautés rurales de la Mauricie, Lanaudière, Vaudeuil-Soulange, Papineau, Outaouais, Drummond et Arthabaska dès 2008. De 2 à 4 Mb/s pour 39,95 $ par mois.

Ce qui n’empêche Robert Proulx, président de Xitell de tempêter contre la lenteur des interventions gouvernementales : « T’annonces pas un projet pour le réaliser trois ans après. » Faute de coordination, explique M Proulx, les deux programmes, Large bande et Communautés rurales branchées, pour favoriser l’implantation de la haute vitesse en milieux ruraux retardent en réalité de nombreuses MRC prêtes depuis longtemps. « Le fédéral reporte l’annonce des projets choisis, tandis que Québec observe un moratoire dans l’attente de ces informations. En Ontario les deux programmes fonctionnent de concert. »

Conséquence, selon Proulx, « tout est stoppé et ça cause une agressivité incroyable dans les milieux ruraux. »

L’Internet haute vitesse n’est pourtant pas toujours dispendieuse. L’équivalent d’un kilomètre d’asphalte dans certains villages.
Des MRC tirent déjà avantage de leur réseau. Papineau, Pontiac et Vallée de la Gatineau, qui sont partenaires du réseau Internet chez elles, touchent 25% des revenus. TGVNet en Mauricie reçoit 300 000$ par année de retombées. « Le vrai revenu qu’une MRC tire de l’Internet, rappelle Proulx, reste son développement économique. »

Le Bloc québécois semble donner raison à M Proulx. Ce parti réclame désormais officiellement la fusion des deux programmes sous la férule de Québec. « Le Bloc veut que tous les villages et rangs soient branchés » selon son porte-parole, le député d’Abitibi-Témiscamingue, Marc Lemay. « Ce qui signifie aussi davantage de fonds. »

La majorité des grandes et des moins grandes villes américaines se sont elles aussi dotées d’Internet haute vitesse depuis le milieu de la décennie. Toutes sont entichées du Wifi, gratuit dans les centres villes, de 10 $ à 25 $ dans les domiciles. On dit que les opérateurs de télécommunications et les câblodistributeurs américains s’inquiètent de cette concurrence des municipalités. Leurs pendants canadiens ne risquent certes pas la même déconvenue. « Rouyn-Noranda cesse de s’occuper de nous, constate Alain Poirier, à la seconde où Télébec dit on couvre ! »

Xplornet

Cette indolence municipale n’empêche des entreprises privées de tirer les marrons du feu. Xplornet du Nouveau-Brunswick s’est ruée au secours des milieux ruraux il y a quelques années, pour permettre l’accès à Internet haute vitesse coast to coast. Sa solution était satellitaire.

Les premiers équipements, coupoles, récepteurs et routeurs etc., coûtaient plus de mille dollars. Un investissement préliminaire qui a chuté au rythme de l’arrivée de solutions alternatives. Xplornet promet la haute vitesse, 500 kbps/ 70$ ou 1 Mb/s à 100$ par mois dans ses contrats et sa publicité. Ce qui n’est jamais qu’une vitesse intermédiaire, plus confortable que les 56 kbps téléphoniques, mais nettement insuffisante pour travailler, étudier ou se divertir sur le Net. Xplornet en réalité offre en forfait de base, une vitesse qui fluctue quotidiennement de 20 kbps à 400 kbps. L’importation de documents audio-visuels tient de la gageure en pareil contexte.

La technologie satellitaire de Xplornet présente en outre moult inconvénients. La vitesse diminue avec le nombre croissant des utilisateurs. Le moindre orage, la neige, peuvent affecter les communications. Les bris et arrêts de services sont innombrables. Le serveur, enfin, réduit arbitrairement et de façon drastique la vitesse de transmission pour « punir » les clients dont les équipements ont trop exigé (on ne sait trop comment) du satellite.

Les bricoleurs de la décennie

Écœuré de la basse vitesse Internet par téléphone de Télébec, Serge Guenette s’est abonné par dessus la frontière, il y a quelques années, à un fournisseur ontarien de haute vitesse. Dans une bâtisse en forme de grange, son entreprise, Arômes Beauté, créait 7 emplois dans un village de 429 habitants, Nédélec. « Mes clients ont la haute vitesse, ils achèteraient ailleurs si je ne l’avais pas. »

René Perreault, fondateur d’Aciers J.P. s’est branché au réseau large bande institutionnel par le truchement de la municipalité de La Reine. « C’était l’enfer avec la basse vitesse » d’après l’administratrice de l’entreprise, Chantal Godbout. Aciers J.P. emploie cinquante personnes dans ce village isolé de 400 habitants ironiquement autoproclamé «Village du bout du monde».

La ferme avicole Richard de Rivière Héva a financé elle-même l’antenne Wifi pour rejoindre son fournisseur haute vitesse à Malartic.

« Pas d’Internet, pas de commandes», confirmait Raymond Boudreault, président de la Fraisonnée de Clerval. Ça n’était pourtant pas l’amour fou entre M. Boudreault et son service satellitaire unidirectionnel de Sympatico (appelée aujourd’hui Bell Internet) : « Internet par satellite, c’est toujours planté! »

Dans le fond d’un rang encore, à Saint-Dominique-du-Rosaire, Pierre Galarneau d’Ingéniosité Enr. a refusé de s’abonner au satellite de Télébec : « Je ne voulais pas payer 90 $ par mois ! » Le voici donc relié par Wifi à l’antenne émettrice de Câble-Amos qui distribue le signal haute vitesse dans les secteurs populeux de la MRC d’Abitibi.

Coordonnatrice de la bibliothèque de Preissac, Huguette Béland a vite compris les enjeux de cette exclusion: « On a la fibre optique au village mais je présume qu’on va rester avec la Coop Wifi, c’est moins cher et il faut encourager une entreprise qui dessert les rangs ! »

Beaucoup comme Jules Grondin, maire de Berry, s’interrogent sur ce réseau large bande réservé aux institutions : « Les citoyens vont payer pendant 15 ans, il faudrait au moins qu’ils reçoivent quelque chose ! »

Internet, incontournable

L’OCDE a démontré l’été dernier que les Canadiens paient en moyenne 4$ par Mb/s contre 7 cents au Japon, 25 cents en France et 34 cents en Corée du Sud. C’est l’écueil tarifaire généralisé. Tous les Canadiens en réalité sont des Infopauvres.

Certains sont plus pauvres que d’autres. 10% des Québécois, les ruraux, qui n’ont pas même l’alternative de payer davantage. Les deux paliers de gouvernement vont à nouveau distribuer des sous pour pallier cette lacune. Ottawa a déjà reçu 512 requêtes de distributeurs potentiels, qui réclament 976 M$ d’un programme de 225 M$.

Parce que ces entreprises sont omniprésentes, l’essentiel des fonds risque de se retrouver dans les goussets de ceux-là même qui ont créé la pénurie depuis dix ans. Le suspense doit être levé au cours du présent trimestre. Tous les Cassandre - et ils sont nombreux dans l’industrie -  espèrent encore un sursaut de lucidité. Peu vraisemblable cette volte-face. L'ex- ministre Jérôme Forget claironnait encore récemment: « Une fois que Québec aura assumé les coûts d’installation du réseau, les entreprises privées comme Bell, Telus et Vidéotron s’en serviront afin d’offrir la haute vitesse aux entreprises et aux citoyens. »

Ces entreprises offrent parfois la haute vitesse, il est vrai. Après des années de vaches maigres, Denise Voynaud d’Arntfield près de Rouyn-Noranda vient de s’abonner auprès de Télébec qui à installé des équipements sur le mont KeKeKo, visible de chez elle. « Je ne sais pas combien de fois j’ai appelé. Avant ils ne rappelaient même pas ! Je pense qu’ils se dépêchent maintenant parce que la compétition arrive. Mais on est encore captifs.»

Logée à même enseigne, sa voisine Marcelle Beaulieu n’oubliera pas de sitôt les privations passées: « C’est pas parce qu’on reste à la campagne qu’on est des débiles. »

Les dégâts sont en effet considérables et les rancœurs accumulées incalculables.

Outre que le papa agriculteur, pourvoyeur de chasse et pêche, commerçant, artisan ou travailleur autonome a été pénalisé depuis dix ans, des centaines de milliers de p’tits ruraux qui ont grandi privés de haute vitesse à domicile patineront probablement toute leur vie pour compenser la dextérité de leurs petits copains des villes avec de nouvelles technologies en constante évolution.

Solidarité rurale du Québec estime que la présence de la haute vitesse est devenue presque aussi importante que la proximité d’un hôpital pour décider des citadins à déménager en campagne.

« La haute vitesse aujourd’hui, même si tu ne l’utilises pas, c’est essentiel pour revendre une maison en milieu rural. Mais les compagnies de téléphone ont toujours monopolisé les régions », confirme, Patrick Miron, dirigeant de Parolink, un petit serveur Internet du nord ontarien.

Internet est en réalité un outil de développement social et économique sans pareil pour le travail à domicile, l’abolition des frais interurbains, les télé enseignements, e-culture, télémédecine et même les rapports administratifs. Les opérations agricoles se prêtent à merveille à la gestion informatisée, à la télésurveillance et à la télécommande. L’Internet haute vitesse influera aussi sur cet exode des jeunes qui déstructure les milieux ruraux.

Après avoir fait envie, le Canadien fait maintenant figure de laissé pour compte, passé qu’il est en cinq ans du 9e au 19e rang en matière de technologies de l’information. Ce retard influe sur les secteurs économiques tributaires des TI …c’est-à-dire presque tous. La rapidité à laquelle notre collectivité dégringole sur l’échiquier mondial de l’économie du savoir n’a d’égale que l’indifférence des dirigeants.

Un zeste de courage de la part du CRTC et de nos gouvernants, réglementant la performance partout, et imposant la desserte des secteurs moins rentables, comme en téléphonie il y a plus d’un demi-siècle, aurait évité ce gâchis. Un brin de transparence n’aurait pas nui non plus. Au lieu de quoi des millions de citoyens ont été abandonnés à la merci d’entreprises sans scrupules, leur valise entre les genoux, sur l’accotement de l'autoroute de l'internet ! 




[1] Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, ministère des Affaires municipales et des régions

[2] 10 et 50 millions de bits par seconde. Le bit est la plus petite quantité d’information transmissible, l’équivalent du 1 ou du 0 en langage binaire.

[3] Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

[4] Conseil régional de développement.

[5] Conférence régionale des élus.

[6] Fédération québécoise des municipalités.

[7] Municipalité régionale de comté.

[8] Ondes radio