D’Aut’Suggestions culturelles

2010/02/26 | Par Marie-Paule Grimaldi

« Si l’homme est malade c’est parce qu’il est mal construit ». Voilà les rares mots issus de la performance multi-forme Homo Faber. Dans une série de tableaux chorégraphiques, où le son tonitruant et la vidéo rythment la cadence, on étudie l’être humain dans ce qu’il a de plus mécanique.L’idée de cette expérimentation n’est pas d’opposer l’humain au système social et sa machine, mais de le prendre comme une machine en soi avec son déterminisme irréfléchi et la violence de ses répétitions. L’animalité n’est qu’une composante de la robotique, la souffrance un rouage, et la machine dérape parfois.Et la production aussi, s’étirant trop durant le 1h45 de représentation et s’égarant dans sa recherche. Manque d’huile? Pourtant la lenteur de l’exécution, qui ne tombe pas dans l’habituel ralenti qu’on voit au théâtre, atteint des moments de grâce – robotique- et d’esthétisme qu’on ne voudrait pas manquer. Une réflexion intelligente, très bien maîtrisée par les comédiens/danseurs, qui fait grincer la carcasse, la nôtre.

Homo Faber, 23 au 27 février, Théâtre Aux Écuries, 7285 Chabot

Le Loup Bleu récidive et notre plaisir – presque coupable – de voir les grands classiques par les yeux des marionnettes aussi. Après Voltaire et Descartes, c’est autour de Montaigne de ses Essais, et de tout le XVIème siècle pour l’occasion, d’être revus, mais pas vraiment corrigés, par la bande du Théâtre du Sous-Marin Jaune.Cette fois, la troupe tombe du côté cinéma et nous présente littéralement un film de marionnettes doublé sur scène par les comédiens, avec un accompagnement musical assez rock, à la teneur des grands conflits qui marquèrent l’époque de Montaigne.Si certaines scènes sont succulentes, comme celle de la Saint-Barthelemy sur l’air de Minuit Chrétien, on reste trop près de la lecture sur scène et la si belle langue de Montaigne ni gagne pas. L’exercice aurait été plus apprécié dans une formule cabaret que dans la statique du théâtre. À prendre comme un divertissement intellectuel léger.

Les Essais, d’après Montaigne, 16 février au 6 mars, Théâtre d’aujourd’hui, 3900 Saint-Denis

La Nuit Blanche promet de faire vibrer tout Montréal le temps d’une nuit avec ce que la ville recèle de plus créatif sans nous laisser fermer l’œil. Les propositions sont innombrables et l’entrée gratuite à la plus grande majorité des événements les font pour la plus part afficher complet. Mais si vous préférez déambuler à votre rythme et porter un regard différent autour de vous, il faut absolument aller faire un tour à Art Souterrain, une manifestation unique et audacieuse, qui nous offre le plus grand buffet d’art visuel de l’année. Vidéos, installations, performances, peintures, photographies et œuvres sonores envahissent l’espace du centre-ville souterrain, plus de dix lieux de la Place-des-Arts au Complexe des Ailes en passant par le Palais des Congrès et la Place Bonaventure, dans les escaliers, les coins, recoins, corridors et vitrines pour notre plus grand émerveillement. Un parcours de 4 kilomètres pour 100 projets présentant de nombreux artistes émergeants qui propose une promenade presque onirique, du moins de rêve.

Nuit Blanche, Art Souterrain, Samedi 27 février dès 18h, www.artsouterrain.com

Avec la cinquième joute de la saison, le Virus d’Improvisation Picturale continue de nous plonger de manière conviviale dans l’art de la peinture en direct. Sous forme de tournoi d’improvisation dans les règles de l’art, deux équipes « s’affrontent » sur scène et se soumettent ensuite au vote du public qui jugera de la meilleure création. Avec une limite de temps et des thèmes et catégories toujours énoncées par le solide arbitre et MC Rock Larue, on voit plus d’une dizaine d’œuvres prendre vie sous nos yeux au cours de la soirée, à grand coup de pinceaux, de couleurs et souvent d’humour. Si l’une d’entre elle nous plaît particulièrement, on pourra l’acheter à l’encan qui termine la soirée, à prix très abordable, et encourager les organisateurs de la soirée. Sur l’excellente musique du duo Elektropaint on y passe une très bonne soirée et celle-ci sera en compagnie de l’équipe des Verts Solitaires (Johanne Picard, Pascal Douville, etc.) et des Blue Job (Martin Fecteau, Marie-Marine Lévesque). Un concept contagieux.

Virus d’Improvisation Picturale de Montréal, Jeudi 4 mars 19h, Belmont sur le Boulevard, 4483 Saint-Laurent

Un mur de portes de four sales qui contiennent les brûlures d’un enfer bien personnel. La cuisine et la famille sont des thèmes connus du répertoire québécois, mais l’auteure Anne-Marie Olivier réinvente le genre en plongeant dans ce qu’il regorge de plus troublant, voire de plus monstrueux dans cette tragédie à l’humour noir avec sur la langue « une âpreté totale » et une poésie nécessaire. Dans Mon corps deviendra froid, la narratrice interprétée avec courage par Brigitte Lafleur nous parle « d’une famille qui me [la] traverse », sa belle-famille qui se réunit pour commémorer les dix ans du décès « accidentel » du père (Roger La Rue, magistral) que l’on verra apparaître dans de nombreux flash-back. Mais dans cette pièce tout est juste et poignant, les interprètes, la mise en scène de Stéphane Allard, l’éclairage, la musique, tout est là pour dire l’abîme des fissures familiales et de la maladie mentale, qui lient tout autant qu’elles déchirent. Du théâtre comme un danger, mais sans risque de déception. À ne pas manquer.

Mon corps deviendra froid, 25 janvier au 27 février, Quat’Sous, 100 avenue des Pins E.

Il faut savoir en rire dit-on. La dernière production du Théâtre de la Manufacture, Au Champs de Mars, traite de retour de guerre, de choc post-traumatique, de fatigue de compassion, d’un cinéma qui vampirise le drame, et critique les diverses thérapies – du développement personnel à la psychiatrie – ainsi que l’idéalisme mal articulé, et c’est bien sûr une comédie! Si la trame narrative manque parfois de ressort mais pas de rythme entre les différents tableaux qui représentent un soldat de retour de l’Afghanistan, sa psychiatre épuisée et un réalisateur déterminé à faire un film de guerre, à travers leurs rencontres et leurs cheminements, la satire ici évite bien les pièges simplistes de la comédie, nous bouscule un peu, nous interpelle. Josée Deschênes et Mathieu Quesnel jouent avec nuance, en contraste avec les autres personnages caricaturaux et marquants, un beau bal orchestré par Michel Monty où personne ne mâche les mots de Pierre-Michel Tremblay. Et sur ces sujets durs, pas de morale mais une certaine vérité. Violence pas toujours contenue et rire libérateur.

Au Champs de mars, 26 janvier au 6 mars, Théâtre La Licorne, 4559 Papineau