L’indépendance énergétique : agir avant qu’il ne soit trop tard

2010/02/26 | Par Jean-François Thibaud

Mercredi , le 17 février dernier, Attac Québec (l’Association québecoise pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) présentait au Bar populaire une conférence de Normand Mousseau intitulé « L’indépendance Énergétique ».

Monsieur Mousseau, physicien de formation et chercheur à l’université de Montréal s’intéresse à la question de l’énergie depuis plusieurs années. Il a publié en 2008, un premier livre, « Au bout du pétrole » qui dresse un portrait de la situation québécoise dans un contexte de pénurie appréhendé d’approvisionnement en produits pétroliers.

Le pic de production étant atteint, les sources faciles à extraire commençant à se tarir, des perturbations économiques et sociales majeures sont à prévoir dans les prochaines années. Son nouveau livre, « L’indépendance énergétique », en continuité avec son précédent, pousse plus à fond la réflexion des alternatives qui s’offrent à la société québécoise pour faire face à cette pénurie.

Communicateur passionné et très articulé, Normand Mousseau a d’abord exposé les grandes lignes de son analyse concernant le pic pétrolier.

Le pétrole représente 40 % de la consommation énergétique de la planète. Les réserves estimés par l’agence Internationale de l’énergie et les grandes pétrolières s’affichent années après années comme étant grosso modo toujours de mêmes proportions malgré la croissance continue de la demande.

Ceci s’expliquerait en partie parce que depuis une trentaine d’années, des avancées techniques (puits horizontaux, injection d’eau de mer et de CO2) ont permis l’extractions de puits considérés comme taris auparavant.. L’estimation des réserves aurait aussi été délibérément minimisée dans le passé pour permettre aux pays producteurs de jouer avec les quotas imposés.

Cependant, les réserves conventionnelles de pétrole léger les plus importantes, comme le puit de Ghawar en Arabie Saoudite par exemple, qui a lui seul fourni 8 % des réserves mondiales, ont déjà atteint leur pic.

50 % des sites actuellement en fonction seront à remplacer d’ici 2015.Graduellement, les pétroles lourds comme ceux extraits des sables bitumineux en Alberta, prennent la relève, faisant exploser les coûts, et alourdissant de manière exponentielle le bilan négatif des émissions de gaz à effet de serres relié à leur extraction.

Un baril de pétrole Albertain coûte entre 10 $ et 25 $ à produire contrairement au 2$ que coûte le pétrole du Moyen-orient. Entre un et deux barils de pétrole sont nécessaires pour en extraire trois.

Face à cette situation, partout dans le monde on s’active à trouver des solutions de remplacement. Le Québec, grâce à son hydro-électricité se trouve dans une situation avantageuse, pratiquement sans égal dans le monde.

En trente ans, la part de l’hydroélectricité dans son assiette énergétique est passé e 25,7% à 39,5 %. En y ajoutant la biomasse comme le bois, la part d’énergie renouvelable atteint déjà 50 %.

Cependant, la part du budget des Québécois pour s’approvisionner en pétrole venu de la mer du Nord et du Moyen-Orient demeure élevé : 15 milliards de dollars en 2008. Un chiffre qui pourrait cependant exploser si, comme les scénarios envisagés le laisse croire, le prix du baril se remet à grimper, une fois la crise financière estompée.

Et il ne faudra pas compter sur le pétrole Albertain pour remplacer les importations à l’étranger. Ce dernier est désormais entièrement destiné aux Etats-Unis, le Canada, ayant pratiquement renoncé à sa souveraineté énergétique en signant l’ALENA.

Le Québec doit donc mettre en place une série de mesure pour se préparer. D’abord, il faut diversifier l’offre dans les domaines du solaire et de la géothermie en investissant dans le savoir faire local.

Il faut bien sûr augmenter l’efficacité énergétique, notamment, dans le secteur commercial où des gains importants seraient à faire à court terme, en encourageant tout en contraignant les propriétaires et aussi dans le transport en favorisant la voiture hybride, le transport en commun et le réaménagement du territoire.

Toutes ces solutions sont connues. Mais les leaders québécois tardent à les mettre en place. Malgré un plan vert prometteur, le gouvernement Charest n’a pris dans les faits, aucune mesure d’envergure pour inciter les entreprises et les ménages à atteindre des objectifs même modestes d’efficacité énergétique comme la Suède l’a déjà fait par exemple.

De plus, depuis le gouvernement Bouchard en 95, les investissements en recherche et développement se sont rétrécis comme peau de chagrin. La filière éolienne ayant été retiré en partie des mains d’Hydro-Québec, la privatisation de ce secteur empêche le développement d’une expertise nationale.

Encore heureux que les Québécois se soient mobilisé contre le projet de centrale thermique du Suroît qui les aurait livrés à la merci d’un Gaz Métro désireux de favoriser la gaz naturel, un autre source d’énergie appelée à se tarir rapidement! Les projets de ports méthanier de Cacouna et de Lévis s’inscrivent dans cette logique.

La meilleure stratégie serait plutôt de favoriser la vente des surplus inemployés de l’hydro-électricité afin d’en faire bénéficier à nos voisins américains et aux autres provinces. Les surplus dégagés pourraient être réinvestit dans des approches novatrices. La présidente d’Attac a soulevé le fait que cette approche productiviste mériterait d’être nuancée

Dans cette perspective globale, le chercheur, met en doute la théorie écologique des « petits gestes » essuyant quelques désaccords exprimés par des militants présents. Pour lui, il s’agit de mobiliser la société québécoise dans son ensemble pour mettre en place toutes ces mesures pendant qu’elle a encore la marge de manœuvre pour le faire.

Les 15 milliards dépensés pour le pétrole cette année pourrait être appelé à doubler très rapidement si le baril de pétrole passe de 80$ à 200 $. Les leaders sauront-ils saisir le momentum favorable pour faire le virage nécessaire ou cette chance se perdra-t-elle dans des stratégies à la petite semaine sans vision qui favorise généralement les amis du régime comme la filère du gaz naturel, le pont de la 25 en PPP, ou encore dans des objectifs obscurs comme ceux contenus dans le plan Nord ?

Normand Mousseau croit pour sa part que les forces vives du Québec doivent se concerter pour agir rapidement avant qu’il ne soit trop tard.

L’indépendance énergétique
Normand Mousseau
Editions MutiMonde