Voir l'économie autrement

2010/02/26 | Par Jean-François Thibaud

Devant un groupe de citoyens essentiellement issus des mouvements syndicaux et communautaires, cinq économistes du Collectif « Économie autrement » ont passé au crible les différentes affirmations contenues dans les deux premiers fascicules produits par le comité consultatif nommé par Raymond Bachand, lors d’une assemblée publique au Centre Saint-Pierre à Montréal, mercredi, le 24 février dernier.

Ils se sont d’abord attaqués à celles concernant l’équilibre budgétaire et le déficit, soit :« Si le Québec avait la même offre de services que l’Ontario par exemple, l’État économiserait dix-sept milliards » et « Les Québécois vivent au-dessus de leurs moyens »

L’économiste Bernard Élie rétorque que la question de l’offre des services relève de choix politiques et d’orientations sociales qui font justement la spécificité du Québec.

De plus, le déficit a été causé en grande partie par la baisse de l’impôt sur le revenu décrété par Jean Charest juste avant les élections, se privant de revenus de 770 millions de dollar. Sans compter évidemment, le renoncement quasi-total aux redevances versé par les entreprises au gouvernement dans le secteur des ressources naturelles.

Autres tampons martelés par le discours du « comité consultatif ». « Les Québécois sont le plus taxés en Amérique du Nord. »

L’alarmisme du discours devant la réalité des chiffres saute aux yeux de Louis Gill. Le poids du fardeau fiscal des Québécois est en moyenne de 23, 5% de son revenu.

La moyenne ontarienne se situe à 23% tandis que la moyenne canadienne est de 22,5%.

Autrement dit, pour 0,5 % de plus que les Ontariens en perception d’impôt, le Québécois s’offre de généreuses mesures sociales comme les garderies à sept dollars qui font l’envie de son voisin.

Même alarmisme sur le prétendu poids de la dette publique du Québec. En effet, de la dette québécoise, depuis le sommet du déficit zéro de Lucien Bouchard en 1996, est passé de 17, 7% du PIB à 10%. Le déficit budgétaire quant à lui, à titre de comparaison, représente 1,6 % du PIB au Québec, 3,5% % au Canada, et 10 % aux Etats-Unis.

Le comité consultatif décrète de plus que 2/3 de la dette publique est une « mauvaise dette », cette part représentant à leurs yeux les « dépenses d’épicerie » ce qui, d’après le collectif est un raccourci très abusif.

Les salaires des professeurs ou des infirmières, par exemple, inclus dans ses dépenses représentent un investissement dans le capital humain qui n’a pas moins de valeurs que les investissements dans les infrastructures.

Le spectre d’une dette insurmontable qui serait légué aux générations futures doit aussi être relativisé : la dégradation des infrastructures, les désinvestissement en santé et en éduction et la dette écologique sont des données à considérer pour dresser un portrait juste de la situation.

Sur le front des augmentations de frais de scolarité préconisées par le comité consultatif, Cécile Sabourin souligne que cet assaut représente la fin d’un pacte de quarante ans au Québec.

L’introduction de la « concurrence » dans le système de santé, autre thème cher du comité, est en réalité, comme le soulignait un intervenant dans la salle, une privatisation qui ne veut pas dire son nom.

Pour illustrer les vertus supposées de cette orientation politique, le comité évoque le modèle suédois en éducation et le modèle hollandais en santé.

Des études récentes révèlent une baisse du niveau de la performance en éducation en Suède, alors que le modèle hollandais en santé en est un de privatisations tout azimut qui fait surtout l’affaire des compagnies d’assurances privées.

Dans son document fondateur publié sur son site, le comité met l’accent sur l’omniprésence et l’omnipotence de la vision néo-libérale dans le discours médiatique qui affecte toutes les sphères de la vie sociale. Une vision monopolistique qui s’apparente à un dogme religieux et qui nie une varié de points de vue défendus par l’ensemble des économistes.

Malgré cette clairvoyance, le comité avoue candidement sa grandes surprise de ne voir aucun grand média publié leur réplique aux « translucides » pour reprendre le bon mot de Louis Gil. Même le Devoir n’a pas cru bon de faire contrepoids aux charges du comité consultatif de Raymond Bachand contre l’État québécois.

Des citoyens dans la salle se sont inquiétés du fait que la classe moyenne, à qui on a transféré la charge générée par les exemptions fiscales consenties aux plus riches individus et aux entreprises, et qui subissent un martelage idéologique continue, sont de moins en moins enclin à accepter d’assumer seuls les coûts du modèle québécois.

Quoiqu’il en soit, il est a souhaité que le travail remarquable effectué par ce collectif d’économistes « dissidents » saura trouver un plus large écho dans le débat public dans un avenir rapproché et qu’il contribuera à limiter les dégâts que les forces néo-libérales s’apprêtent à infliger à la société québécoise.

Les économistes étaient Bernard Élie, professeur retraité de l’ Université du Québec à Montréal. Vincent Van Schendel, agent de développement, Université du Québec à Montréal ; doctorant, Université Laval, Pierre Beaulne, représentant de la Centrale des syndicats du Québec, Louis Gill, professeur (retraité) de Université du Québec à Montréal et de Cécile Sabourin professeure à l’Université du Québec en Abitibi-et présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU).

http://www.economieautrement.org/