Nous n’avons pas à tolérer l’intolérable

2010/03/09 | Par Djemila Benhabib

S’il y a une chose qu’a révélée au grand jour cette épisode de la jeune femme égyptienne en burqa qui s’est auto-exclue d’un cours de francisation à cause de son attitude sectaire, c’est la grande incapacité d’un bon nombre de  journalistes à décrypter le discours, les symboles ainsi que l’activisme des tenants de l’obscurantisme le plus réactionnaire du monde musulman, à savoir le salafisme. 

Le phénomène de l’islamisme politique dont le spectre est très large, est aussi très complexe. Il inclut aussi bien des prédicateurs en costume tel que Tarik Ramadan que des imams en turban tel que Qaradawi qui appelle, dans ses prêches diffusés à Al-Jazira, à l’assassinat des juifs, des mécréants et des apostats, à l’extermination physique des homosexuels, au recours à la violence pour punir les femmes. 

Pour ce qui est des femmes violées « provocatrices parce que non habillées décemment devraient être punies […]  pour qu'elle soit affranchie de la culpabilité, une femme violée doit avoir montré la bonne conduite », affirmait-il. 

D’un bout à l’autre du spectre islamiste, ses prédicateurs partagent tous le même système de valeurs archaïques et puisent leurs sources dans une interprétation littérale du Coran ainsi qu’une application pure et simple de la charia islamique. Dans cette optique, il n’est guère surprenant que les livres de Qaradawi soient préfacés par Ramadan. 

Les observateurs avertis qui travaillent sur ces questions, depuis plusieurs années, vous le diront : la ligne est très ténue entre islam et islamisme et seuls ceux qui ont un bagage important en la matière peuvent prétendre la tracer.

Encore là, rien n’est jamais sûr car le phénomène de l’islamisme politique est dynamique, requiert de notre part de larges connaissances et une grande prudence car les enjeux qu’ils soulèvent sont énormes et traversent toutes les sociétés qu’elles soient orientales ou occidentales (le Québec n’y échappe pas).

D’ailleurs un débat existe au sein même des communautés musulmanes entre les tenants d’un islam radical et ceux qui refusent le marquage des femmes par TOUS les voiles islamiques, marquage possessionnel et obsessionnel du corps féminin, stigmate de servitude, volontaire ou forcé, de discrimination, de séparation et de fantasmes sexuels aussi bien orientaux qu’occidentaux. 

Or, il est surprenant de constater que certains journalistes, qui niaient jusqu’à l’existence même de ce phénomène – le salafisme - et de l’une de ses manifestations – la burqa – se soient emparés de cette histoire pour s’improviser commentateur de la première heure au mépris des fondements même du journalisme.

Est-ce que la rédaction d’un journal aurait accepté qu’un commentateur sportif se saisisse d’une question économique pointue sans en avoir la compétence?

Est-ce que la direction d’un journal aurait accepté qu’un journaliste politique non informé de ces questions nous explique le phénomène de la physique quantique ou de la relativité générale? Certainement pas. En tout cas, pas un journal sérieux.

Pourquoi le journal La Presse l’a-t-il fait? N’aurait-il pas fallu un peu plus de professionnalisme dans le traitement de cette affaire? Certes, une telle histoire avait toute sa place dans les colonnes du journal, là n’est pas la question. Fallait-il encore que l’ignorance crasse cède la place à la rigueur. 

Que dire encore du goût effréné de la journaliste Michelle Ouimet pour l’activisme le plus nauséabond confondant travail journalistique avec voyeurisme, sensationnalisme et tout simplement bêtise et désinformation.

Tester la tolérance des Québécois face à la burqa? Depuis quand les journaux font-il passer des tests de civisme aux citoyens? Quelle prétention sordide!

Depuis quand les journaux se font les relais d’une propagande chargée de barbarie à l’égard des femmes? Et, depuis quand devons-nous être tolérants face au fascisme, au nazisme, à l’apartheid sexuel et face à tous les bourreaux de ce monde qui saignent les femmes? 

Or, on reproche aux Québécois de condamner l’une des pires dérives de l’islam politique, le salafisme. On veut leur forcer la main pour qu’ils tolèrent l’intolérable au nom d’une distorsion de la liberté religieuse.

Les aspects réactionnaires de l’islamisme ne sont pas que des questions accessoires, elles sont centrales. L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas seulement une question de justice sociale ou d’intégration, c’est également une question de libertés fondamentales.

Les deux vont de paire et ne sont jamais indissociables. Il n’y a nul courage à se vêtir d’un accoutrement qui stigmatise les femmes comme autrefois l’étoile jaune stigmatisait les juifs. 

Le véritable courage est porté par toutes celles qui  résistent à l’hydre islamiste au péril de leur vie. C’est à toi Choukria Haider que je pense, en particulier, en écrivant ces quelques mots, toi avec qui j’ai partagé un grand moment de solidarité à New York à l’occasion de la 54ème assemblée générale de l’ONU dédiée à Pékin + 15, vendredi dernier.

Toi, qui refuses tout compromis avec les Talibans, toi qui ne crois pas aux talibans modérés, toi qui a dédié toute ta vie à reconstruire ton pays l’Afghanistan. Je t’ai vu interpeller, avec une rare bravoure, un à un les grands de ce monde pour qu’ils tiennent compte de ta voix et de celles des femmes de ton pays. 

A signaler que nulle avancée significative n’a été enregistrée lors de cette rencontre internationale, car comme l’expliquait un ambassadeur occidental, « nous n’avons pas fait de recommandations en matière des droits des femmes, de peur de voir les recommandations des pays musulmans gagnaient du terrain, alors nous nous sommes entendus pour le statut quo ». 

Voilà pour l’état de santé des droits des femmes dans le monde. Inutile de préciser que nulles voilées n’étaient là pour demander des comptes aux États islamistes. Lorsqu’elles ne servaient pas de relais à leur propagande, elles étaient là pour terroriser les féministes et laïques des pays musulmans en les traitant de traitres à l’islam et de vendues à l’Occident. 

Dommage que ce grand rendez-vous international pour les droits des femmes n’ait pas été couvert par un plus grand nombre de médias. C’est aussi cela la mission d’un organe de presse : informer le public des grands enjeux internationaux, surtout à l’approche du 8 mars.