Petite mentalité

2010/03/25 | Par Charles Tanguay

Réplique à l'article « Petite mentalité »

Chronique du 16 mars 2010 - La Presse

 

Monsieur Picher,


Vous déplorez que certains ministres au gouvernement du Québec en soient rendus à une mentalité d'assistés sociaux, parce qu'ils auraient renoncé à augmenter les tarifs d'électricité en raison de la baisse des paiements de péréquation qu'une telle hausse provoquerait.

Effectivement, certains assistés sociaux font un calcul tout à fait rationnel en refusant une jobbine qui ne leur rapporte pas plus que l'assistance publique. N'en feriez-vous pas autant?

Avant de mépriser les assistés sociaux, vous et M. Montmarquette devriez plutôt nous dire ce que vous pensez des grandes industries énergivores bénéficiant de contrats spéciaux, qui accaparent 30 des quelques 165 TW/h d'électricité que consomme le Québec, à un prix en dessous du coûtant, ce qui, bon an mal an, prive HQ de 250 à 500M $. Voila une assistance publique qui coûtent drôlement cher!

Mais laissons donc la péréquation et restons-en au vrai débat sur la hausse des tarifs d'électricité.

Nous serions, dites-vous, aussi riches que les Albertains si l'électricité était vendue au «prix du marché». Expliquez-nous donc de quel marché vous parlez au juste, vous, monsieur Picher, et tous les lucides qui nous rabâchent les oreilles avec cette fiction économique?

Saviez-vous, messieurs, que le prix de l'électricité s'est effondré sur les marchés d'exportation? Saviez-vous qu'en ce moment, le prix moyen des exportations d'HQ est inférieur au prix qu'Hydro nous vend l'électricité ici? Ne savez-vous pas que le contrat d'exportation de plus de vingt ans que le Québec vient de signer avec le Vermont comporte des prix que le professeur Bernard de l'Université Laval a estimés à 4,5¢ le kilowattheure, en dessous de nos prix domestiques (6,5¢) et nettement en dessous du coût marginal (autour de 9¢)?

Les multinationales qui exploitent le pétrole albertain exportent la majeure partie de la production hors de l'Alberta, à des prix qui sont fixés sur les cours mondiaux. Sur les marchés de l'électricité, les prix sont basés essentiellement sur les coûts de production et l'électricité d'Hydro-Québec est consommée, à 90%, au Québec. De plus, le pétrole peut être exporté partout, contrairement à l'électricité. De grâce, cessez donc, vous et vos économistes, de comparer le marché de l'électricité au Québec avec celui du pétrole en Alberta. Ça ne fait pas très sérieux.


Le gaspillage

Les Québécois sont les plus gros consommateurs d'électricité au monde parce que 75% des habitations sont chauffées à l'électricité, une situation unique à travers tous les pays nordiques. Pour lutter contre le gaspillage, si gaspillage il y a, votre hausse «modeste» de 1¢ le kW/h, qui équivaut à 15%, soit dit en passant, pourrait en théorie s'avérer efficace dans le cas des ménages les plus riches, qui ont les moyens d'investir en efficacité énergétique (EÉ). Mais comme ils sont riches, ils risquent de ne pas se préoccuper beaucoup d'une hausse qui équivaut dans leur budget à de la petite monnaie.

Pour les autres ménages, la hausse de 15% que vous préconisez sera autant d'argent en moins qu'ils pourront consacrer à l'EÉ. Remarquez, ça ne changera pas grand chose, ils n'ont déjà pas les moyens, à l'heure actuelle, de réduire leur facture d'énergie, à moins de se laver eux-mêmes à l'eau froide.

Vous devriez plutôt suggérer d'autres mesures simples et qui coûtent peu. Par exemple, un code de construction qui imposerait la norme Novoclimat. Ça fait plus de quinze ans qu'on en parle et ce n'est toujours pas fait.

Mais allez-y mollo tout de même avec la lutte au gaspillage car, vous ne le savez sûrement pas, HQ est aux prises avec des surplus d'approvisionnement considérables pour au moins les dix prochaines années. Hydro Distribution en est même à devoir payer une pénalité de 150 M$ par an à TCE pour ne pas que sa centrale au gaz de Bécancour produise un seul kW/h d'électricité!  En luttant contre le gaspillage, vous risquez d'aggraver le problème des surplus et de contribuer à l'effondrement des prix d'exportation de l'électricité.

 

La création de richesse

Vous, Montmarquette et vos acolytes évoquez sans cesse la «création de la richesse». De quelle richesse voulez-vous bien parler au juste? Serait-ce une nouvelle forme de créationnisme?

Parlez-vous de la hausse des coûts de production des entreprises québécoises, qui diminuera leur compétitivité et qui occasionnera pertes d'emplois et diminution des recettes fiscales? Ou encore de la hausse de l'inflation découlant de celle des tarifs d'électricité?

Ou peut-être est-ce la hausse des dépenses d'électricité de tous les ménages, indistinctement de leur revenu, qui occasionnera une baisse équivalente de la consommation et de l'activité économique?

Peut-être vouliez-vous plutôt parler de l'attrait économique accru d'autres formes d'énergie de chauffe, comme le gaz naturel, le mazout ou le bois de chauffage, toutes formes d'énergie qu'il faudrait encourager, j'imagine, puisque le réchauffement de la planète nous fera économiser l'électricité?

Assurément, nous ne comprenons pas la science économique de la même façon, puisque là où vous parlez de création de richesse, nous voyons plutôt de la création de pauvreté et des émissions accrues de CO2.

Nous nous rejoignons seulement pour déplorer que ce soit l'argument de la péréquation qui aura finalement eu raison de votre idée de hausser arbitrairement les tarifs d'électricité, car selon nous, il y avait une multitude d'autres raisons de ne pas le faire.

 -

L’auteur est responsable des communications à l’Union des consommateurs