Loi 94 et laïcité ouverte

2010/03/30 | Par Louise Mailloux

Au début du XXième siècle, 50% des habitants de la planète étaient catholiques, protestants, musulmans ou hindous. Au début du XXIème siècle, ce pourcentage atteint 64% et il pourrait approcher les 70% d’ici 15 ans. Les philosophes des Lumières ont eu tort de penser que la religion n’était due qu’à l’ignorance. Jamais les gens n’ont été autant éduqués qu’aujourd’hui et pourtant les fous de Dieu n’arrêtent pas de se multiplier.

La modernité n’a pas éradiqué la religion. Bien au contraire, à la faveur de la démocratisation, elle a permis son essor et sa politisation. De sorte que la laïcité qui souhaitait cantonner le religieux à l’espace privé est aujourd’hui menacée par cette montée de la ferveur religieuse, au point où si nous ne réagissons pas maintenant, Dieu pourrait bien gagner la partie.

Sous l’effet de la mondialisation et de son immigration, le Québec connaît un regain de ferveur religieuse au moment où il s’est distancé du catholicisme alors que ses églises sont transformées en condos et qu’il vient tout juste d’achever la déconfessionnalisation de ses écoles publiques.

Une nouvelle ferveur religieuse dans laquelle bon nombre de Québécois ne se reconnaissent pas et qui vient en bonne partie de ses immigrants, nous oblige à devoir reconsidérer la place de la religion dans notre espace publique. De tranquille qu’elle était, notre laïcité est devenue le sujet le plus brûlant qui soit. Le sujet dont tout le monde parle.

Depuis quelques années, la caravane du pluralisme religieux prospère parmi nous, dans nos garderies, nos écoles, nos universités, nos hôpitaux, nos cafétérias, nos piscines, nos services publics, nos rues, dans les fenêtres givrées ou mieux les femmes givrées.

Elle a pour noms la tolérance, le pluralisme, la différence, le vivre-ensemble, le respect de l’autre, l’ouverture à l’autre, l’identité de l’autre, la communauté de l’autre, la culture de l’autre, les traditions de l’autre et bien évidemment la religion de l’autre.

Cet «autre» que l’on nous demande d’accepter comme si nous étions dans le Petit Prince de St-Exupéry. Comme si les religions étaient aussi inoffensives qu’un mouton. Comme si les religions étaient du bonbon.

Les défenseurs d’une laïcité ouverte aux religions présentent souvent les Québécois comme des attardés, des gens qui sont restés marqués au fer rouge des années Duplessis, des Québécois «gros gin» cramponnés à leur crucifix de l’Assemblée nationale, qui ont oublié d’évoluer et qui parlent encore à leurs mitaines.

Certains diront que le trait est gros et pourtant, on ne rate jamais une occasion de le souligner. Je pense notamment à la cinéaste Francine Pelletier qui, le 8 mars dernier, en entrevue à la télé de Radio-Canada, a dit que sur la laïcité, les Québécois sont 50 ans en retard parce qu’ils n’ont pas encore décroché leurs crucifix alors qu’elle vient de tourner un film avec des femmes voilées de Présence musulmane qui défendent des valeurs rétrogrades qui sont  probablement 50 ans en avance…

Les Québécois ne veulent pas que la religion, ni la leur ni celle des autres, revienne à l’avant-plan dans nos institutions publiques, parce que notre histoire nous a appris de quel prix se paie l’emprise politique d’une religion sur un peuple, de quel prix se paie cette soumission des corps et des esprits et le prix exorbitant qu’ont dû payer nos mères, nos grands-mères et toutes ces femmes pour qui la religion fut un calvaire.

Au Québec, nous ne voulons plus de cela. Nous voulons continuer de goûter cette vie librement sans qu’aucune religion ne vienne la rapetisser à nouveau. C’est la liberté qui nous fait protester, c’est la liberté qui nous fait se lever, pas le racisme, ni la xénophobie.

Quand l’Église devient l’État, la liberté disparaît. La liberté des femmes d’abord, qu’on renvoie à la maison et à qui on impose le destin de mère, en contrôlant leur corps et leur sexualité, interdisant la contraception et l’avortement comme le souhaiteraient les conservateurs chrétiens de Stephen Harper.

Chez les musulmans, en les voulant vierges et excisées pour ensuite les faire disparaître sous le niqab ou la burqa, soumise à la loi du père, puis du mari.

Quand l’Église devient l’État, la liberté sexuelle est niée. La chasteté et la virginité des femmes sont glorifiées. Et dans certains pays musulmans, les femmes adultères sont fouettées ou lapidées alors qu’on emprisonne et qu’on pend les homosexuels.

Quand l’Église devient l’État, la liberté de conscience disparaît, l’apostasie est interdite et la liberté d’expression est réprimée comme blasphème. Aujourd’hui, ces pratiques perdurent encore dans l’islam.

Quand l’Église devient l’État, les guerres de religions, la persécution des infidèles et des hérétiques deviennent l’expression familière du vivre-ensemble, ce type de sociabilité auxquels les religions nous ont habitués.

Quand l’Église devient l’État, la démocratie disparaît et les lois divines servent de fondement à la justice des hommes. L’intégrisme religieux s’empare du pouvoir, les populations sont prises en otage et les droits humains sont bafoués.

Voilà autant d’atteintes à la liberté à chaque fois qu’une religion se rapproche du politique. Parce que les religions sont la pire des politiques, parce qu’elles détestent la vie et que la liberté les effraie. Parce que la liberté les brûle et les tue.

En séparant le religieux du politique, le régime de laïcité a relégué toutes les religions dans la sphère privée, ce qu’elles n’ont jamais accepté de sorte que cette résurgence du religieux à laquelle nous assistons au Québec comme partout à travers le monde, doit être comprise comme une tentative politique pour les religions de vouloir reconquérir la sphère publique. Cette offensive des religions a un nom, elle s’appelle la laïcité ouverte.

Aménager, négocier une ouverture pour que les religions puissent à nouveau réinvestir le champ public, en nous présentant la chose comme une nouveauté, un nouveau type de laïcité plus souple, plus respectueux des identités et mieux adapté au pluralisme des sociétés modernes. Nous laissant ainsi croire qu’il y a désormais deux types de laïcité. L’ancienne et la moderne.

Mais il n’y a pas deux sortes de laïcité, l’une qui serait ouverte et l’autre fermée. Ça c’est de la poudre aux yeux pour mélanger tout le monde. Non, il y a la laïcité qui subit en ce début de siècle, une offensive sans précédent venant des religions, particulièrement celle de l’islam pour qui la laïcité demeure une hérésie, et qui  cherchent à s’immiscer dans la sphère publique. Cette charge a un visage, celui du religieux qui s’est refait une beauté de peur qu’on le reconnaisse. Cette charge a aussi un nom, celui de laïcité ouverte.

Son objectif ? Remettre le religieux sur les rails du politique en décloisonnant le privé et le public dans le but de déstabiliser la laïcité. Protéger et défendre les religions coûte que coûte afin qu’elles puissent retrouver une légitimité dans nos institutions publiques.

Vous savez, quand on en est rendu à dire comme dans le dernier avis de la Commission des droits de la personne que le temps passé avec un examinateur de la SAAQ dans une voiture est suffisamment long pour remettre en question le droit à la liberté de religion de celui qui passe son examen de conduite, il faut se réjouir que le ridicule ne tue pas même si on est mort de rire mais ce qu’il faut surtout retenir ici, c’est jusqu’où ces intellectuels sont prêts à aller pour défendre la religion. Cette bataille est politico-religieuse et elle menace directement la laïcité de nos institutions.

L’enjeu ultime? Reconnecter la créature à son Créateur et sortir la Bible et le Coran pour moraliser la vie dans ses moindres recoins, renvoyer les femmes à la maison et les homosexuels dans le placard. C’est à cela fondamentalement que va servir l’ouverture. Et que vous priez en direction de Rome ou de La Mecque, c’est toujours dans la même direction.

Le secret pour ouvrir cette laïcité? Le libéralisme anglo-saxon qui affirme que l’individu est plus important que l’État. C’est de nous faire croire que le Québec n’est qu’une somme d’individus, que les Québécois ne sont que des individus qui s’additionnent comme des smarties avec des rouges, des bleus et des jaunes sans qu’une histoire et qu’une culture communes les rassemblent, sans qu’une identité nationale les unisse, ne reconnaissant pas à cette majorité francophone le droit à l’affirmation identitaire, le droit à une appartenance que l’on n’accorde qu’aux minorités, nous obligeant à n’être qu’une majorité de smarties parmi les minorités bleus, blancs, rouges, tout juste des immigrants dans notre propre pays.

Alors pourquoi pas le hidjab et le turban dans la fonction publique puisque nous sommes de nulle part et de partout en même temps ? Cette laïcité ouverte au port de signes religieux dans la fonction publique ne fait pas que violer la neutralité de nos institutions, c’est aussi une ouverture sur le multiculturalisme encourageant l’affirmation des signes qui renforcent la différenciation et l’exclusion. Après on viendra nous dire que la religion, ce n’est pas de la politique!

Le secret pour ouvrir cette laïcité? Pulvériser l’État et la collectivité en nous faisant croire qu’il n’y a que des individus qui ont tous les droits en vertu des Chartes mais qui ne sont citoyens de rien parce qu’on n’est pas citoyen d’une Charte mais bien citoyen d’un État, d’un État qui défend des valeurs communes comme la laïcité, le fait français et l’égalité des sexes.

Ces Chartes qui en matière d’accommodements religieux font peser plus lourd dans la balance la Commission des droits de la personne que l’Assemblée nationale, où se retrouvent nos députés et nos ministres, les représentants élus de l’État.

Ce qui en matière de droit fait peser plus lourd les droits individuels que les droits collectifs, fait donc peser plus lourd la liberté religieuse que les droits des femmes. Plus lourd le hidjab que son sexisme outrageant.

Et le top du secret pour ouvrir la laïcité, c’est encore une fois de nous faire croire qu’il n’y a que l’individu, électron libre devant Dieu et dont la religion est personnelle, comme si une religion pouvait être personnelle et nous faire oublier combien ils sont nombreux à être personnel de la même façon…

L’intérêt d’une telle astuce? Justifier le caractère subjectif de la croyance et faire de la sincérité du croyant un critère suffisant pour fonder sa liberté de religion. Il suffit d’être sincère pour que n’importe quoi devienne sa religion. C’est jusqu’à maintenant l’interprétation généreuse qu’ont privilégié les juges de la cour Suprême et qui a pour effet de donner préséance à la liberté religieuse.

Mais le top du top secret pour ouvrir la laïcité, c’est de nous présenter le smartie religieux comme étant seul avec son Dieu, rempli de foi, sans idéologie sexiste et homophobe, sans organisation et sans financement, sans la moindre possibilité d’appartenir à un mouvement islamiste qui milite pour que la loi religieuse prime sur nos lois civiles.

La laïcité ouverte, c’est l’absolue négation du collectif. Négation de la nation, négation des droits des femmes et négation de l’intégrisme politico-religieux.

On comprend mieux pourquoi ses partisans ne parlent jamais de sexisme, de nationalisme ou d’intégrisme. Rien de collectif, rien qui pourrait offrir une quelconque résistance. Cette laïcité, un bijou de néo-libéralisme.

Ce retour du religieux menace nos droits, celui des femmes tout particulièrement, et il est d’autant plus dangereux qu’il se présente comme le contraire de ce qu’il est, une sorte de laïcité «cool» qui n’est en fait qu’une subtile et solide défense du religieux qui se porte à l’assaut de nos institutions publiques.

La plus belle preuve de cela, nous l’avons eu, il y a à peine quelques jours, avec  le projet de loi 94 du gouvernement Charest. Imaginez un projet de loi pour interdire aux employés et aux usagers de l’État d’avoir le visage voilée dans nos institutions et services publics. Une loi exprès pour dire aux gens que nous ne devons pas être cagoulés ou niqabés dans nos écoles, nos hôpitaux et nos ministères.

Quand on s’y arrête, la chose frise le ridicule et est aussi stupide que si le gouvernement avait légiféré pour nous dire que l’on ne doit pas être nu dans nos institutions publiques.

S’il avait fait cela, tout le monde aurait rigolé. Et pourtant là, tout le monde prend ça au sérieux. Ça fait les manchettes et la une des journaux depuis quelques jours. Tout le monde prend ça au sérieux, parce que c’est vrai, que c’est la réalité et que nous en sommes rendus là. Et que dans le fond, ça signifie qu’il se passe des choses pas très catholiques dans ce gouvernement et que La Mecque se rapproche de Québec.