Tout ce qui brille n’est pas or

2010/03/31 | Par L’aut’journal 

Le géant aurifère Barrick Gold tente, une fois de plus, de terrasser la liberté d’expression en empêchant la maison d’édition Talon Books Ltd., de Vancouver, de publier le manuscrit Imperial Canada Inc. : Legal Haven of Choice for the World’s Mining Industries.

La mise en demeure assénée à sept auteurs, à deux éditeurs (dont Écosociété) et à deux traducteurs de cet ouvrage, dont la parution était annoncée et qui porte sur les pratiques douteuses dont se rendraient coupables des entreprises minières canadiennes, a eu l’effet escompté : la maison d’édition, effrayée par le coût des poursuites judiciaires envisagées, a mis fin au processus d’édition : publication annulée.

Si le géant minier brille par son arrogance et le pouvoir de son or, en revanche, il ne brille pas par son sens de la démocratie et de la justice, ni par sa contribution au débat public.

Déjà, en avril 2008, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) avait émis un communiqué au titre révélateur : Le Canada : une « république de bananes » ?, qui dénonçait la poursuite-baîllon de Barrick Gold contre les auteurs et l’éditeur de Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, contre qui une poursuite de six millions de dollars est toujours en cours, même si le gouvernement du Québec a adopté récemment une loi anti-SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation).

Si « le silence est d’or », celui du Premier ministre du Canada, M. Stephen Harper, et de son ministre de la justice, M. Rob Nicholson, est étrangement éloquent.

Le manuscrit « sacrifié » n’entendait-il pas démontrer, selon le résumé mis en ligne sur le site de l’ex-éditeur, que le Canada est un véritable « paradis judiciaire » pour l’industrie minière, puisqu’il n’oblige pas ces sociétés à rendre des comptes, sociétés qui, par ailleurs, bénéficient de larges abris fiscaux et d’importantes subventions fédérales ?

Comment expliquer, sinon, le fait que le Canada héberge près des trois quarts des entreprises minières du monde ?

À la censure politique qui, jadis, supprimait les écrits séditieux ou révolutionnaires, se sont insidieusement substituées aujourd’hui une censure judiciaire et une censure économique qui ne tolèrent aucune critique, aucun questionnement.

Dans notre « plus beau pays au monde », qui se targue de tous les parangons de la vertu et de la liberté, l'UNEQ dénonce le musellement exercé par Barrick Gold, qui empêche la publication d’un manuscrit, sur la seule base d’un résumé, privant ainsi les citoyens d’un éclairage et d’un débat essentiels.

La lutte entre deux entreprises du domaine public, dont le rapport de force est outrageusement déséquilibré, sera toujours inégale, presque perdue d'avance sur le champ de bataille classique.

Afin de faire entendre leur voix dissidente, les écrivains devront-ils, dorénavant, utiliser des techniques de guérilla que seul Internet peut leur offrir à moindre coût ?

Ce qui implique l'abandon de l'approche classique du débat démocratique sous la forme d'imprimés trop faciles à retracer, à contrôler et à interdire, débat qui ne peut plus avoir lieu dans une société où les médias et l'information sont presque tous contrôlés par une oligarchie, pour ne pas dire une ploutocratie.

Nous faudra-t-il retourner au samizdat, à la diffusion clandestine des chapitres du livre, des passages les plus révélateurs ? Libre à Barrick Gold, ensuite, de poursuivre la planète entière ! Quel magnifique défi à relever pour les hackers, les Lisbeth Salander de ce monde…

Quant à une intervention du gouvernement fédéral par une législation en matière de poursuites-bâillons, autant continuer de rêver…

Source : UNEQ