OBA-MA-ROIS, un même discours !

2010/04/07 | Par Raymond Gauthier

L’auteur habite aux Îles-de-la-Madeleine

« Drill, baby, drill ». On croirait réentendre G.W. Bush. Mais non, c’est Obama qui tient le même discours que son sinistre prédécesseur. Barack aurait-il été influencé par Pauline ? Sait-on jamais.

Toujours est-il qu’il vient de décider, après un an de réflexion, de concéder aux Républicains un peu de lest sur la prospection off-shore des énergies fossiles pour, semble-t-il, avoir en échange un peu plus de concessions de leur part envers ses ambitions de réduction des gaz à effet de serre. 

« Cette décision fait partie d'une stratégie plus large, qui vise à passer d'une économie basée sur les carburants fossiles importés, à une économie qui fonctionne grâce aux carburants américains, et à l'énergie propre. »(1) Dixit Obama cette semaine, le 31 mars.

Le président étatsunien ouvre ainsi la porte à l’exploration et aux forages extracôtiers, en levant le moratoire qui prévaut depuis une vingtaine d’années sur les côtes des USA, sauf dans le golfe du Mexique.

Au Canada, à l’instar de son ami Bush, Harper aurait bien voulu lui aussi lever le moratoire qui est en vigueur sur la côte ouest, au large de Vancouver, et dont s’inspirent les écologistes québécois(2) ; ceux-ci réclament, depuis l’automne 2003, un moratoire dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, appuyés en cela par ceux qui, aux Îles de la Madeleine et dans d’autres communautés riveraines, privilégient les énergies vertes comme alternatives à une potentielle mise en valeur des hydrocarbures laurentiens.

Les politiciens québécois, eux, sont quasi unanimes à l’Assemblée nationale (sauf le député Khadir de QS) pour laisser au plus sacrant les plateformes pétrolières s’y installer afin de pomper la manne sous-marine et poursuivre ainsi la consolidation de notre super dépendance au pétrole.

Mais, ne l’oublions pas, il s’agirait cette fois de notre « propre » carburant à nous. Parce que nous autres on connaît ça les énergies vertes : hydroélectricité étatique, quelques barrages et éoliennes privées, auxquelles pourrait s’ajouter le prochain bitume vert et le gaz « naturel » québécois.

Quand c’est NOUS qui exploitons (bien comprendre ici les multinationales qu’on mandate pour aller puiser les milliards et nous refiler quelques pinottes), ça devient comme par enchantement des énergies propres.

À écouter les vaillants promoteurs de notre soi-disant « indépendance énergétique », la cheffe Marois en tête, il ne faudrait surtout pas manquer le bateau :

« Ces milliards de dollars, les Québécois en ont besoin. C'est une source de richesse collective dont on ne peut se passer, soutient-elle. Or, le gouvernement Charest a abandonné les négociations. » (3)

« le Québec risque de se faire damer le pion par Terre-Neuve et pourrait voir filer des milliards de dollars » selon Alexandre Cloutier, député PQ de Lac-Saint-Jean et porte-parole en matière d’affaires intergouvernementales canadiennes.

« Ainsi, on pourrait voir la réserve être pompée du côté de Terre-Neuve et provoquer des conséquences environnementales dont nous ignorons l’ampleur. De plus, cela se ferait sous notre nez, sans avoir un mot à dire et sans toucher un sou de redevances.

À ne rien faire comme le fait le gouvernement libéral dans un secteur aussi stratégique, on risque de perdre sur tous les tableaux », craint Sylvain Gaudreault, député PQ de Jonquière et porte-parole de l'opposition officielle en matière d'énergie. (4)

Lors du congrès péquiste, à la mi-mars 2010, le Cahier de réflexion proposait donc ceci :

« Les revenus tirés d’une éventuelle exploitation de ces ressources permettraient par exemple au Québec de réduire la dette publique. Ces revenus permettraient également à la nation québécoise de financer un grand chantier de développement des technologies et des énergies vertes. » (5)


OBA-MA-ROIS, un même discours !

Se seraient-ils concertés ?

Pourtant, en décembre 2008, Richard Heinberg(6) avait conseillé à Barack Obama :

« La crise financière actuelle nous incite à conclure que l'Amérique ne peut pas courir deux lièvres à la fois. De deux choses l’une : ou bien nous orientons l'investissement public vers le développement de combustibles fossiles chers et de qualité inférieure (tels que les sables bitumeux, le schiste pétrolifère, et le gaz de schiste) dans un vain effort pour maintenir la croissance de notre économie dépendante de combustibles fossiles, ou bien nous misons sur un investissement pouvant ériger l'infrastructure d'énergie renouvelable du futur. » (7)

Après un an de réflexion et de calculs politiques, le président des USA s’est fait une tête : un lièvre c’est bien, deux lièvres c’est mieux ! Comme ça on contente tout le monde.

Pour sa part, le gouvernement libéral de Jean Charest agit plus sournoisement ; il n’a jamais mis cartes sur table. Il est resté muet pendant 5 ans après les audiences publiques du BAPE de 2004 sur Les enjeux liés aux levés sismiques dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent(8).

Ça ne l’a pas empêché, tout en gagnant du temps, de distribuer à profusion sous la table des permis d’exploration à ses proches (permis d’exploration d’hydrocarbures dans le Saint-Laurent, des gaz de schiste dans les basses terres et du gaz naturel aux Îles de la Madeleine).

Lorsque tu détiens un permis de prospection, ça te donne évidemment le go pour exploiter si tu trouves : tu ne cherches pas juste pour voir, pis après embourrer ton trésor, heureux de savoir qu’il y a bien là un trésor. Pas vrai ?

Soudainement, Charest nous envoie à l’été 2009 sa fée des étoiles, Nathalie Normandeau, avec sa baguette magique pour conjurer les risques inhérents à quelque forage extracôtier que ce soit, en Mer du nord, sur les bancs de Terre-Neuve ou, éventuellement, dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Son ministère des pilleurs de Ressources naturelles des québécois – le MRNF, rectitude politique oblige – se substitue sans vergogne au ministère du Développement sans limite de l’Environnement – le MDDEP, idem – pour mener des Études environnementales stratégiques (ÉES) :

« Le programme d'EES en milieu marin constitue une première au Québec. Dans l'optique où notre gouvernement entend mettre en valeur de façon responsable les hydrocarbures présents dans notre sous-sol marin, la connaissance approfondie du territoire québécois et la prise en compte des dimensions environnementales et socioéconomiques qui s'y rattachent s'avèrent des conditions primordiales à remplir avant d'entreprendre d'éventuels travaux d'exploration et d'exploitation pétrolière et gazière », a déclaré la ministre Normandeau, à Rimouski, le 27 juillet 2009.

« Il ne s'agit pas d'une évaluation du potentiel en hydrocarbures du Québec, mais bien d'un outil qui favorisera la prise de décision éclairée en matière d'exploration et d'exploitation », a-t-elle ajouté. (9)

Ça y est. Plus rien à craindre, ils vont faire attention pour passer inaperçus, pour ne pas déranger le monde autour ! Dormez tranquilles bonnes gens.

 

New Green Deal : réduction de la dépendance aux énergies fossiles

Au Québec, on dirait qu’il n’y a personne pour informer le gouvernement et l’opposition officielle que le pétrole c’est démodé, obsolète pour créer de la richesse, personne pour suggérer qu’il est temps de sortir du bar ouvert parce qu’on a assez bu.

Pour parvenir à réduire notre dépendance du pétrole étranger, il faut UNE VISION. Il y a un d’autres choix stratégiques que celui de puiser dans nos ressources fossiles plutôt que de s’approvisionner ailleurs : le choix approprié, dans le contexte planétaire actuel, c’est de réduire le plus rapidement possible notre consommation d’énergies fossiles et de leur substituer des ressources naturelles encore peu ou pas utilisées(10), que nous avons pourtant à profusion et qui sont non seulement plus propres mais, à la différence des hydrocarbures, renouvelables.

De toute façon, la fin du pétrole est annoncée et la planète ne pourra que mieux respirer à mesure qu’on cessera d’en brûler sans restriction. 

Ne pourrait-on pas continuer à vivre bien tranquilles et en profiter pour le temps que ça va durer ? Nous qui avons l’habitude d’aller jusqu’au fond du baril. Après, on verra bien. La technologie va régler les problèmes de changements climatiques. Les miracles, ça existe. Tiens, la génération future s’occupera de la facture. Vivre à crédit, ça nous connait : nous avons même emprunté la planète à nos enfants et ils s’arrangeront pour rembourser les intérêts et le capital. Bel héritage. Ne pourrions-nous pas leur laisser justement en héritage les ressources fossiles et leur en laisser trouver une utilisation plus appropriée ? Tiens, tiens…

Évidemment, changer nos habitudes ça ne peut pas se passer en criant « lapin ». C’est une transition qui va devoir se dérouler sur peut-être un demi-siècle, peut-être plus. Mais il faut que cette transition ait un début. On ne pourra pas toujours pousser sur l’échéance, pelleter par en avant.

Nous savons tous que quelqu’un va devoir payer, même si nous préférons ne pas croire ce que nous savons très bien : ça serait trop dérangeant et personne n’a envie de payer.

Pourtant, l’alerte est bel et bien donnée : il faut mettre la pédale douce sur notre consommation outrancière d’énergies fossiles, parce qu’on est déjà rendu au fond du baril, malgré les apparences.

Le pétrole à prix modique (même si on trouve qu’il n’est plus vraiment modique) arrive à terme pour nous aussi (11). Faute de l’avoir payé depuis trop longtemps à un prix dérisoire, puisqu’il s’agit d’une ressource non renouvelable et qui s’épuise.

La fête du gaspillage est terminée. On va devoir étirer la ressource, pas la gaspiller. Le prix à payer, si on veut continuer à mener un train de vie auquel on pourra s’adapter : ménager les ressources qui s’épuisent, trouver des alternatives, économiser l’énergie. Le pic pétrolier est arrivé, place aux énergies renouvelables !

 

Un incontournable défi pour les Québécois

Notre véritable défi : réduire notre « dépendance envers les hydrocarbures », plutôt qu’atteindre une  « indépendance énergétique envers les hydrocarbures importés ».

Pourtant on s’égosille, en haut lieu, à clamer qu’il faut aller siphonner les ressources fossiles qui abonderaient dans notre sous-sol et dans nos fonds marins ; en plus, en nous promettant la richesse !

La richesse elle existe quelque part, mais jamais dans les poches de l’ensemble des Québécois, qui ont d’autres valeurs que celles d’une minorité de rapaces. Allons-nous vendre notre droit d’aînesse pour un plat de lentilles ?

La transition, qui va prendre au bas mot plusieurs décennies (50 à100 ans peut-être), devrait être en marche depuis longtemps. Mais il n’y a pas de leadership qui va dans ce sens au Québec avec Charest ou Marois. Pas plus au Canada avec Harper. Et on voit bien l’ambivalence aux USA d’un Obama qui avait pourtant créé d’autres espoirs. Yes, we can???

Un changement radical de nos habitudes s’impose au Québec. Ça risque d’être douloureux mais aussi mobilisateur et exaltant. Tel un accouchement, celui d’un citoyen nouveau ! Il fait quoi au juste pour nous entraîner dans cette direction ce gouvernement qui prétend être un leader en énergies vertes ?

Il parle des deux côtés de la bouche en même temps. Pour montrer qu’il fait quelque chose. Et pour qui donc ?

Tant que l’on ne mettra pas en place des politiques franchement propices au développement d’énergies renouvelables (ça veut dire abandonner les projets de mise en valeur des ressources fossiles sur notre territoire) afin de bonifier notre longueur d’avance en hydroélectricité ;

Tant qu’on n’incitera pas par des mesures concrètes et efficaces les citoyens à économiser l’énergie sous toutes ses formes (vs la culture du gaspillage) ;

Tant qu’on n’incitera pas et ne soutiendra pas, à même les fonds publics, la production et la consommation de proximité d’aliments sains et d’autres biens marchands (vs l’importation et la distribution de produits de remplacement fabriqués loin et à vil prix) ;

Tant qu’on ne mettra pas l’accent sur le développement des transports en commun (vs le développement tout à l’auto) ; 

Tant qu’on ne taxera pas davantage les carburants et véhicules particuliers non essentiels pour en décourager l’utilisation abusive  (ex. : modérer la prolifération des loisirs motorisés) ;

Tant qu’on va continuer à nous endormir avec le mirage de la création de richesse et l’illusion du baril sans fond ;

On ne pourra pas s’autoproclamer les champions de l’économie verte en Amérique du nord
. Ce n’est pas la réalité. Il va bien falloir que l’on décide enfin de se regarder collectivement dans le miroir, les yeux grands ouverts, et que l’on cesse de nier ce qui cloche et ce qui retrousse dans notre allure.

Ce n’est pas demain la veille, mais il faut DÈS MAINTENANT CHANGER LE CAP. Le bateau dans lequel nous naviguons se dirige tout droit vers l’abime. Il faut s’engager dans un nouveau parcours.

 

Au fait, y a-t-il un capitaine à bord ?

 

 

(1) Cyberpresse

(2) Le Saint-Laurent fait face à de nouvelles perturbations, Moratoire demandé sur le programme d’exploration gazière et pétrolière d’Hydro-Québec, Québec, le 15 octobre 2003.

Front commun pour un moratoire sur la prospection pétrolière et gazière dans le Saint-Laurent, Québec, 27 novembre 2003.

(3) Pauline Marois, Vers un «Pétro Québec»?, Le Nouvelliste, le 21 août 2008.

(4) Communiqué du Parti Québécois, Québec, le mardi 16 mars 2010.

(5) Congrès Parti Québécois, les 13-14 mars 2010.

(6) Richard Heinberg est un journaliste américain et conférencier au New College of California où il dispense un cours sur l'écologie et la collectivité durable ainsi que sur la déplétion énergétique et en particulier le concept de pic pétrolier. Il est l'auteur de huit livres traitant principalement de la crise liée à la dépendance aux énergies fossiles des sociétés industrielles et à l'avenir de celles-ci après l'avènement du pic pétrolier. Le seul livre disponible en français est Pétrole: la fête est finie ! Avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier, Demi-Lune, 2008 (ISBN 9782917112052) paru sous le titre original : The Party is Over. Oil, War and the Fate of Industrial Societies.

(7) (Traduction libre du texte de Richard Heinberg, Heinberg to Obama: Fossil Fuels are SO 20th Century, Memo to the President-elect on Energy Realism and the Green New Deal, décembre 2008) 

(8) Rapport 193 du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

(9) Déploiement d'une approche environnementale unique pour encadrer la mise en valeur des hydrocarbures en milieu marin, MRNF, Rimouski, le 27 juillet 2009.

(10) Pistes d’énergies renouvelables : Énergies Éoliennes : Éoliennes terrestres et offshore ; Énergies solaires : Photovoltaïques (panneaux solaires) et Thermodynamique (centrale solaire) ; Énergies terrestres : Géothermie à haute énergie (production d’électricité) ; Géothermie de basse énergie (réseau de chauffage urbain) ; Géothermie de très basse énergie (pompe à chaleur - chauffage et climatisation individuelle) ; Énergies marines : Hydroliennes (courants marins) ; Énergie des vagues ; Usine marémotrice ; Énergie thermique (eau-air pour système de climatisation) ; Biocarburants (méthyle à partir de micro algues) ; Économie d’énergie : mesures et gestes pour la réduction de consommation et du gaspillage : Chauffage et isolation ; Eau chaude (système et utilisation) ; Éclairage ; Électroménagers ; Petits appareils.

(11) Les Européens paient de 80 à 100% de taxe sur les carburants, alors que nous en sommes toujours à 40%.