Pendant que nous interdisons le Niqab

2010/04/21 | Par Robin Philpot

Pendant que la classe médiatique québécoise ergote au sujet de l’opportunité d’interdire ou non le port de signes religieux,  il se passe à Toronto des choses qui devraient faire scandale – et faire réfléchir. La nouvelle ci-dessous en est un exemple.

Un organisme de services d’accueil aux immigrants, à Toronto, financé par le gouvernement fédéral, interdit à des employées de parler français sur les lieux de travail. Pas de scandale, une simple anecdote qui s’est glissée par hasard dans un grand article de l’édition de samedi du Toronto Star (17 avril 2010, A1) portant sur les plaintes pour discrimination traitées par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.

L’histoire se serait déroulée comme suit. L’entreprise Audmax, financée par Citoyenneté et Immigration Canada, fournit des services d’accueil pour les femmes immigrantes. Elle exige que les employés soient bilingues (français et anglais) et affiche sur son site Internet un lien vers un site français… inexistant.

Une dame, Seema Saadi, porte plainte au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario contre Audmax pour discrimination après avoir été congédiée injustement : une discrimination fondée sur les habitudes alimentaires et vestimentaires de Mme Saadi, selon le tribunal. (Mme Saadi portait le foulard islamique). Sa plainte est reçue et elle recevra un dédommagement de 36 000$ si l’appel d’Audmax est rejeté.

Parmi les employées d’Audmax, il y avait trois musulmanes, dont Mme Saadi. Toutes trois parlaient couramment l’anglais et le français, comme l’exigeait l’employeur.  On peut présumer que les dames venaient de pays francophones, probablement de l’Afrique du Nord, peut-être même du Québec.

Comme elles parlaient couramment les deux langues, elles avaient, semble-t-il, la fâcheuse habitude de parler français entre elles au travail. Selon le Toronto Star : « La tension a commencé à augmenter. Peu après, l’entreprise a adoptée une nouvelle politique interdisant l’utilisation du français par les trois femmes musulmanes. La propriétaire de l’entreprise a expliqué devant le tribunal que l’interdiction avait pour objet de promouvoir de meilleures communications et un esprit d’équipe parmi les membres du personnel. »

Évidence même, il faut pouvoir se communiquer, donc, le français est interdit parce que ce n’est pas de la communication.

Deux des trois femmes ont quitté l’emploi, mais ni le tribunal ni le journal torontois ne donne les raisons de leur départ. Par la suite, la troisième, Mme Saadi a été congédiée injustement, mais la décision du Tribunal est justifiée par d’autres considérations que l’interdiction du français.

Le congédiement injuste de Mme Saadi donne un haut-le-cœur. Mais la façon dont le Star et, semble-t-il, le Tribunal banalisent l’interdiction de parler français, surtout au sein d’une entreprise financée par le gouvernement du Canada et donc par les contribuables québécois, donne davantage la nausée.

Pour un instant, mettons-nous dans la peau de ces trois musulmanes francophones à Toronto. Elles doivent se sentir très seules ! Elles veulent se parler en français dans un pays qui se dit bilingue, mais se le font interdire. On sait qu’au Québec, ce ne serait pas le cas. Qu’elles viennent habiter au Québec, disons-nous! Nous les accueillerions à bras ouverts.

Mais ces femmes musulmanes ne sont pas sans savoir que le Québec pourrait passer aussi à  l’interdiction, vestimentaire celle-là. Donc, elles se trouvent doublement seules, voyant que le seul État qui peut vraiment défendre leurs droits linguistiques, le Québec, est obsédé non pas par la défense du français, mais par leur tenue vestimentaire.

Quand est-ce que, au Québec, nous allons reconnaître nos alliés, au lieu de les repousser ?