Travailleurs agricoles : décision historique

2010/04/27 | Par Maude Messier

La Commission des relations du travail (CRT) a rendu le 16 avril 2010 une décision phare en reconnaissant le droit de syndicalisation à des travailleurs agricoles de la ferme L’Écuyer & Locas dans région de Mirabel. 

«Cette décision était très attendue par des centaines de travailleurs qui manifestent beaucoup d’intérêt dans ce dossier», commente le directeur québécois des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC-FTQ), Louis Bolduc, dans une entrevue accordée à l’aut’journal.

«C’est évident que c’est nous qui sommes dans la bonne chaise cette fois; la décision de la Commission est sans équivoque et étoffée. Si le gouvernement choisit d’aller en appel, c’est uniquement pour gagner du temps», dit-il en ajoutant que cette décision de la CRT va dans le même sens que des jugements antérieurs de la Cour suprême.

Notons que les travailleurs visés par la requête en accréditation sont d’origine mexicaine, ce qui constitue une avancée majeure quant à la reconnaissance des droits des travailleurs migrants au Québec, un dossier dans lequel se sont particulièrement investis les TUAC au cours des dernières années. «Certains travailleurs ont été congédiés pour avoir pris part à des activités syndicales. D’autres ont même été humiliés et répudiés par leur employeur. Cette décision nous permet désormais de les représenter officiellement et d’entamer un processus de discussion et de négociation

 

Anomalie du Code du travail

Au cœur du litige, l’article 21 (alinéa 5) du Code du travail stipule que «les personnes employées à l’exploitation d’une ferme ne sont pas réputées être des salariés pouvant être visés par une accréditation syndicale si elles ne sont pas ordinairement et continuellement au nombre minimal de trois.» Or, réalités saisonnières du Québec obligent, les travailleurs agricoles migrants sont à l’œuvre qu’environ huit mois par an.

Les TUAC contestent la constitutionnalité de cette disposition du Code qui viole selon eux la liberté d’association et le droit à l’égalité des travailleurs pourtant garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Ils estiment que cet article crée un régime d’exception qui entrave le droit de ces travailleurs de négocier leurs conditions de travail.

C’est précisément ce à quoi concluait le commissaire Robert Côté en déclarant que «l'article 21, al. 5 du Code du travail contrevient, sans justification, à la liberté d'association. Il est de ce fait inopérant en regard de la requête en accréditation dont est saisie la Commission.»

 

Les TUAC sur le terrain

Les TUAC sont actifs dans le secteur agricole depuis les années 1990. «Ça a véritablement débuté avec un dossier d’accréditation syndicale sur une ferme ontarienne», explique Louis Bolduc. Depuis, l’expertise du syndicat s’est accrue au point de développer un important réseau d’aide et de soutien pour les travailleurs agricoles migrants, à défaut de pouvoir les syndiquer et les représenter officiellement.

Outre la mise sur pied d’une association pancanadienne de travailleurs migrants qui comptent plus de 5 000 membres, les TUAC financent aussi une dizaine de Centres d’appui aux travailleurs migrants (CATAM). «Notre engagement envers ces travailleurs est bien concret et cette décision nous permettra enfin d’aller plus loin», explique Andrea Galvez, représentante nationale pour les TUAC et coordonnatrice de la campagne des travailleurs agricoles.

Elle indique que les ententes en vertu desquelles les travailleurs migrants viennent au pays, tel le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), doivent respecter les lois et normes du travail en vigueur dans les provinces. «Ce n’est pourtant pas le cas actuellement au Québec et le problème ne fait qu’empirer.»

Selon les données des TUAC, les travailleurs migrants étaient plus ou moins 3 200 en 2006 et tout près de 7 000 en 2010. Cette montée en flèche s’explique en partie par la mise en place d’un programme destiné aux travailleurs guatémaltèques, un programme qui est encore bien pire que le PTAS selon les TUAC.

En 2009, les travailleurs migrants en provenance du Guatemala surpassaient pour la première fois en nombre les Mexicains. «Il s’agit véritablement d’une opportunité de main-d’œuvre à bon marché pour les producteurs. La particularité de cette entente est qu’elle n’est pas négociée pas le gouvernement canadien, mais bien entre FERME et une entreprise privée guatémaltèque de recrutement, puis approuvée par le gouvernement», explique Mme Galvez.

FERME, ou Fondation des entreprises en recrutement de main-d'œuvre agricole étrangère, est une association patronale constituée de producteurs agricoles. C’est aussi actuellement le seul recours des travailleurs migrants en cas de problème avec l’employeur. «C’est comme dire à un travailleur québécois d’aller au Conseil du patronat pour régler un problème avec son employeur!», ironise Louis Bolduc.

 

Une question d’équité

L’expérience et les observations d’Andrea Galvez résultent en des constats parfois crus mais éclairés quant à la situation des travailleurs migrants au Québec. «Dans bien des communautés, les mêmes travailleurs migrants reviennent année après année. En général, on peut dire que les relations sont bonnes; la population les connaît et les apprécie. Ils estiment toutefois qu’ils ne sont que de passage et ne s’insultent donc pas du fait que leurs droits soient violés.»

Elle poursuit en insistant sur le fait que «plusieurs d’entre eux passeront pourtant près du deux tiers de leur vie au Québec. C’est plus que les snowbirds en Floride! Le Québec a fait des choix de société et s’est doté d’un filet social, ce n’est pas équitable de bafouer les droits de ces travailleurs sous prétexte que ce ne sont que des travailleurs saisonniers. Dans une certaine perspective, ça s’apparente à de l’esclavage.»

Andrea estime aussi que la perception générale de la population quant à l’agriculture québécoise est romancée, perçue comme fragile et intouchable. «Chez les TUAC, nous voulons une agriculture juste et équitable pour le Québec de demain. Le contexte législatif actuel permet des abus et il faut y remédier. Le problème peut se régler dans l’intérêt de tous: les travailleurs, les producteurs et les Québécois. C’est faisable et nous réussirons.»

 

Le sempiternel argument économique

Certes, du côté des producteurs agricoles, on invoque la vulnérabilité et la fragilité de l’industrie, particulièrement en ce qui attrait aux entreprises familiales pour décrier l’ouverture à la syndicalisation de ce secteur.

Le commissaire Côté reconnaît dans sa décision que l’industrie agricole est fragilisée par nombre de facteurs, tels que la difficulté à trouver de la main-d’œuvre saisonnière, la concurrence des marchés internationaux, la déréglementation en vertu d’accords de commerce, le poids des immobilisations et l’importance de la capitalisation de ces entreprises.

Il souligne toutefois avec éloquence que, bien que l’industrie agricole doive conjuguer avec ces réalités, rien de tout cela ne permet de la distinguer des autres industries en difficultés sur la question des relations de travail, telle l’industrie du textile par exemple. À son avis, rien qui ne justifie donc cet «abri» à la syndicalisation de la main-d’œuvre et de ce fait, le non respect des droits et libertés de ces individus.

La décision souligne aussi le fait que l’industrie agricole québécoise en 2010 n’a rien à voir avec ce qu’elle était en 1965, année de l’instauration de cette disposition du Code (article 5, al. 21) qui exclut les travailleurs agricoles du droit à la syndicalisation. Le recours à la main-d’œuvre migrante a depuis explosé, ce qui modifie considérablement le cadre des relations de travail.

«Faire peur aux producteurs et à la population en disant qu’ils paieront plus cher pour consommer les aliments de chez-nous, c’est vraiment de la mauvaise foi! Ce même argument a été mille fois démenti. La littérature économique est claire là-dessus: il n’existe aucun lien de causalité direct entre le taux de syndicalisation d’un secteur d’activité et sa santé économique», s’insurge Louis Bolduc, visiblement exaspéré par ce discours qui, à son avis, détourne l’attention du véritable problème. «C’est respecter et négocier les conditions de travail de ces travailleurs plutôt que de les imposer unilatéralement et arbitrairement qui leur pose problème

Louis Bolduc signale que tous les producteurs ne voient pas d’un mauvais œil la décision rendue par la CRT et fait valoir que son syndicat ne blâme pas l’ensemble des employeurs agricoles du Québec. «Le problème, c’est ceux qui en profitent. Une ferme où travaillent tous les ans de 100 à 150 travailleurs migrants et que l’employeur est aussi propriétaire d’un bloc appartements pour les loger, on parle de véritable business là, pas de petites fermes familiales!»

Dans sa décision, le commissaire Côté indique spécifiquement que «ces travailleurs ont le droit de négocier leurs conditions de travail au même titre que les autres travailleurs du Québec, tous secteurs confondus.» C’est précisément ce qu’entendent faire les TUAC qui, parions-le, seront très présents au cours des prochains mois dans les champs du Québec.