Marée noire : la stratégie de BP pour se défiler

2010/05/05 | Par André Bouthillier

Le golfe du Mexique se noie dans la marée noire. Une deuxième plate-forme vient de s’effondrer près du fleuve Mississippi. Un bateau chinois emprunte un couloir illégal et s’échoue sur la grande barrière de corail d’Australie déversant une nappe de pétrole longue de trois kilomètres. Les autorités camerounaises annoncent un important déversement pétrolier dans le sud du pays.

Et le plus sérieusement du monde Imperial Oil a demandé au Canada en octobre dernier un allègement des règles de forage dans la mer de Beaufort, dans l'Arctique. Comme toutes ses semblables, la pétrolière s’esquive devant le devoir de forer un puits de secours ou ne croit simplement pas en son utilité. Trop cher pour les pauvres actionnaires!

Les événements actuels dans le golfe du Mexique démontrent non seulement l’attitude irrévérencieuse des multinationales, mais aussi toute la complexité juridique des responsabilités. Les pêcheurs sont leur cadet des soucis.

Pour en saisir le topo, il faut situer l’ensemble des intervenants et des propriétaires. La plateforme «Deep Water Horizon» fore sous la bannière des Îles Marshall, un paradis fiscal, et appartient à TransOcean, une filiale de la compagnie texane Sedco Forex; son siège social  a quitté les Îles Caiman, un autre paradis mais trop près des États-Unis et des mesures de rétorsion annoncées par l’administration Obama, pour résider désormais en Suisse comme plusieurs groupes pétroliers.

BP exploite le gisement et, en bon entrepreneur, elle a engagé des sous-traitants sur qui elle pourra facilement imputer la faute de l’incident. En entreprise avisée, BP a aussi instauré une compagnie d’assurances de façon à satisfaire ses propres exigences et probablement aussi à éviter les contraintes des marges de sécurité.

Dans l’imbroglio juridique il faudra tenir compte que BP détient 65% des actions du gisement; la compagnie états-unienne Anadarco en possède 25% et une firme japonaise Mitsui 10%.

Assurément malgré les grands airs de contrition du PDG, la pétrolière attaquera tous ses partenaires durant de nombreuses années et se soustraira des revendications publiques. Mémoire, mémoire, aurais-tu oublié les événements d’Exxon Valdez?

Devant cet enchevêtrement de contrats, et devant l’urgence de toujours rapporter plus d’argent plus vite, ces compagnies manifestent peu d’enthousiasme à respecter les règles de sécurité. Apparemment il en coûte moins de pallier aux catastrophes, une bonne guerre d’usure.

Qu’est-ce qui a poussé BP à rejeter, en septembre 2009, la demande de renforcement des règles de sécurité du Mineral Management Service ? Pourquoi ce ministère états-unien n’a-t-il pas persisté?

BP a fait miroiter une solution de rechange dans l’éventualité d’une fuite du puits… qu’elle n’avait jamais testée! Le plan de sécurité s’avère être une prose de fiction.

Résultat de son efficience : un écoulement continu de pétrole à 8 km des côtes louisianaises pour les trois prochains mois au minimum.

Ces entorses aux règlements constituent des actes criminels et sont posés délibérément par la compagnie et ses dirigeants. D'ailleurs, leur souci d’économie a déjà entraîné des accidents tragiques sur deux de leurs sites aux États-Unis : l'explosion de la raffinerie de Texas City en 2005 et la pollution de Prudhoe Bay en Alaska en 2006.

Le refus symptomatique des pétrolières fait subir à nos eaux une moyenne d’un déversement mensuel, de quoi brouiller toutes les annonces réconfortantes de sécurité des opérations de forage en mer entretenues avec charme par cette industrie et nos politiciens québécois.

En pleine Assemblée nationale du Québec, M. Jean Charest du Parti libéral du Québec, Mme Pauline Marois du Parti Québécois et M. Gérard Deltell de l'Action démocratique, accompagnés de leur députation respective se sont ralliés à l’exploration gazifière et pétrolière dans le golfe Saint-Laurent. Lors du vote nominal, tous se sont engagés dans une démarche économique folichonne.

On ne sait pas si au Québec on veut forer dans le golfe mais on demande une partie des redevances d’Ottawa du fait que Terre-Neuve, lui, fore dans le golfe!

Seul M. Amir Khadir  de Québec Solidaire a défendu les Madelinots, l'eau, la faune et la flore du golfe Saint-Laurent et a voté contre la résolution.

Comment ces trois éclairés peuvent-ils prétendre nous faire accéder à la principauté pétrolière en se basant sur leur foi infaillible en l’éthique de l’entreprise privée qui, comme à chaque fois qu’il est question de profit, mène inexorablement le peuple vers la ruine et ne sert qu’à enrichir quelques-uns au détriment de l’ensemble de la population.

Ne serait-il pas mieux de voter un moratoire sur la non-exploitation des fonds marins du fleuve Saint-Laurent et de son golfe? 

Le nombre de permis d’exploration octroyés par le gouvernement du Québec démontre la courte mémoire de nos politiciens. Qu’ont-ils retenu de la leçon de la plateforme terre-neuvienne Hibernia et de ses 84 personnes perdues en mer? Combien de plateformes écroulées dans nos eaux pour que se réveillent nos politiciens et politiciennes? 

Ironie du sort, le 1er avril 2010 le président M. Barak Obama déclarait vouloir forer en mer, à l'intérieur du territoire états-unien, donc près des côtes. Il est servi! Sans y renoncer, il hésite et joue du moratoire!!! 

 

Les « larmes de crocodile » de BP
  
Évidemment, comme Coca-Cola pour les puits artésiens contaminés en Inde, la viande dangereuse de Maple Leaf, Toyota et ses voitures piégées, les firmes de communication de ces entreprises recommandent toujours au P.D.G. d'avoir l'air triste et contrit. S'excuser devant les caméras est devenu un sport mondial des multinationales.

Déjà pour sauver sa marque de commerce, British Petroleum avait adopté une nouvelle appellation; la connotation évocatrice de « l’époque de la colonisation » devait disparaître, en affichant BP, les deux lettres anodines s’assimilent tout simplement à la vente d’essence.

Avec la notoriété négative qu’apporte ce naufrage dans le golfe du Mexique il y a fort à parier que la compagnie changera encore de nom. C’est une constance chez les multinationales.

Avec ce même souci de faire oublier ses frasques, la Générale des eaux a changé plusieurs fois de nom en l'espace de 10 ans: de Vivendi à Veolia. Il semble que les consommateurs sont de bonnes bouilles en voie au pardon facile devant des excuses attendrissantes; les consultants en communication l’ont compris. 
  
La mise en scène établie, les prochains gestes de la compagnie seront, d’une part, de payer ce qui paraît le plus évident pour sauvegarder son image publique et ses ventes à la pompe, et d’autre part contester par l’entremise de ses avocats toute application rigide des lois du pays s'appliquant à l’industrie.

Au commentaire du P.D.G., « nous dédommagerons les requêtes légitimes », il faut savoir comment ces compagnies se sont comportées dans tous les cas de pollution. Comprenons que ce sont eux qui déterminent ce qui est légitime ou pas, et vous avez besoin d'avocats futés et de grosses sommes d'argent pour faire valoir votre requête.

Qui va les faire payer pour les poissons, les coraux et les invertébrés de la mer qui n'ont pas accès aux tribunaux? Est-ce que la flore et la faune des berges poursuivront la compagnie pour avoir été tuées et empoisonnées? Il faut se rappeler que l'eau de mer et ses habitants font partie de notre chaîne alimentaire. 
   
Ceux qui ont suivi les cas de grande pollution, comme celui du bateau Erika impliquant Total, pétrolière européenne propriété majoritaire de Power Corporation donc de Paul Desmarais, ou encore celui d'Exxon Valdez, ceux-là connaissent la saveur de cette guerre d’usure qui dépasse souvent dix ans avant d’atteindre un règlement gagné par lassitude et hors cour : une amende trop forte et la compagnie peut déclarer faillite ou changer de nom.

Les administrateurs s'en sortent toujours, dissimulés sous le voile corporatif. D'ailleurs notre ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand vient de reconfirmer leur immunité dans la refonte de la loi sur les compagnies du Québec. 

Dans le cas de l’Exxon Valdez, malgré les 20 ans de lutte des pêcheurs et la condamnation initiale de devoir payer quelques milliards en dédommagement, le Conseil d’administration d’Exxon en a appelé devant tous les tribunaux pour finalement triompher, par un dernier jugement de la Cour Suprême états-unienne, leur imposant une facture de 500 millions$ au lieu des milliards $ déjà déterminé par un tribunal avec jury.

Aujourd’hui dans le golfe du Mexique, qui paiera les dégâts? Aux dires du président des États-Unis, la firme devra rembourser tout ce qu'il en coûtera à l'État, nous pouvons en douter. Jamais cela ne s'est produit; aucun précédent ne démontre la ferme détermination d’un politicien face à ce sujet.

La compagnie dispose d’une plus longue longévité que les politiciens en poste. Évidemment, le consommateur sera quitte pour subir augmentation du prix du pétrole à la pompe, puisque la baisse de production fera augmenter le baril du brut à la bourse. Nous paierons tous pour leur irresponsabilité d’avoir refusé de suivre les règles de sécurité états-uniennes.
  
Ici comme ailleurs, les politiciens passent, les chiens aboient et la pollution reste. Faudra-t-il leur élever un monument un jour pour se souvenir d’avoir fait du Québec un État pollué dans tous les sens du mot? Enfin, nous pourrions agir en souverains sur des catastrophes bien à nous.

Ce n’est pas la première fois que nos élus nous jouent le coup de la petite séduction, le dernier projet dangereux se nommait Rabaska sur le Fleuve Saint-Laurent. Projet qui a échoué par désintéressement de la compagnie russe GazProm et non de nos béotiens planificateurs de nos avenirs... voilà un risque de catastrophe de moins, mais les ignorants restent. 

Sans être pessimiste, il faut demeurer réaliste et soutenir les groupes et les personnes qui s’objectent à la venue de compagnies pour miner le fond du golfe Saint-Laurent. Dans un proche avenir, les pêcheurs de la côte Atlantique états-unienne pourraient très bien être ceux des Îles-de-la-Madeleine. 

L'inconscience de nos élites politiques rime bien avec le système électoral du Québec. Si je ne me trompe pas, à ce jour, 12 imbéciles peuvent toujours battre 10 sages lors d'un vote, n'est-ce pas?  Soyons attentifs et faisons le décompte de ceux et celles qui siègent au parlement avec le souci prioritaire de nous protéger.

  

Voici un rappel des grandes marées noires dans le monde depuis une quarantaine d'années:

18 mars 1967

Grande-Bretagne et France

Le Torrey Canyon, un navire libérien, s'échoue à proximité des îles Scilly (Grande-Bretagne) et déverse dans la mer près de 120 000 tonnes de brut, atteignant le littoral breton (Côte d'Armor).

16 mars 1978

France

Le naufrage du supertanker libérien Amoco Cadiz, provoque la fuite de 230 000 tonnes de brut sur environ 400 km de côtes françaises au large du Finistère.

3 juin 1979

Golfe du Mexique

 Le déversement d'un million de tonnes de pétrole, dans le golfe du Mexique, après l'explosion du puits de pétrole Ixtoc Uno, provoque l'une des plus gigantesques marées noires. Plus de neuf mois de travail sont nécessaires pour juguler la fuite.

27 mars 1980

Plusieurs pays

La plate-forme Alexander-Kielland se retourne en mer du Nord, après le détachement d'un de ses cinq pieds de soutien, tuant 123 personnes.

15 février 1982

Canada, province de Terre-Neuve

La plate-forme de forage Ocean Ranger sombre.           
Une violente tempête a sévi au large de Terre-Neuve dans la nuit du 14 au 15 février 1982 entraînant la plate-forme sous les flots. Les efforts de sauvetage sont vains : aucun survivant n'est retrouvé. La tragédie fait 84 victimes, tous des hommes.

6 juillet 1988

Hors des eaux territoriales des pays

Une fuite de gaz suivie d'une explosion engloutit la plate-forme Piper-Alpha, en mer du Nord, exploitée par Occidental Petrolium. L'accident fait 167 morts et entraîne une révision des normes de sécurité.

24 mars 1989

États-Unis-d'Amérique

Le pétrolier américain Exxon Valdez heurte un récif dans la baie du Prince William (Alaska), déversant quelque 50 000 tonnes de pétrole lors de la pire marée noire de l'histoire des États-Unis. 1 300 km de côtes sont pollués. Selon une étude de l'université de l'Alaska, seul un quart de la faune sous-marine a survécu.

Janvier 1991

Golfe Persique

Un million de tonnes de pétrole brut échappé des réservoirs des tankers en panne, de terminaux et de puits off-shore sabotés, sont déversées dans le Golfe à la suite du déclenchement de la guerre contre l'occupation du Koweït par l'Irak. 560 km de côtes sont pollués.

3 décembre 1992

Espagne

Sous l'effet du mauvais temps, le pétrolier grec Aegean Sea se brise en deux sur un rocher à l'entrée du port de La Corogne, entraînant la fuite de 70 000 tonnes de pétrole qui polluent près de 200 km de côtes en Galice.

Août-Octobre 1994

Russie

Entre 14 000 et 60 000 tonnes de pétrole (selon Moscou), s'échappant d'un oléoduc, se répandent dans la toundra et les rivières, polluant plusieurs dizaines de Km2 dans le Grand Nord. Washington et l'organisation écologiste Greenpeace avancent le chiffre de 280 000 tonnes de pétrole, ce qui en ferait une des pires catastrophes pétrolières de l'histoire.

16 février 1996

Grande Bretagne

Le naufrage du pétrolier libérien Sea Empress sur les côtes du sud du Pays de Galles fait s'échapper 147 000 tonnes de brut

12 décembre 1999

France

Le pétrolier maltais Erika se brise en deux avant de couler au large des côtes bretonnes (nord-ouest). 20 000 tonnes de fioul s'échappent, polluant 400 km de littoral et mazoutant plus de 150 000 oiseaux

15 mars 2001

Brésil

Trois explosions font dix morts sur la plate-forme géante P-36 de la compagnie brésilienne Petrobras, au large de Rio. Elle coule le 20 mars, libérant 1,5 million de litres de brut.

19 novembre 2002

Espagne

Le pétrolier libérien Prestige coule au large de la Galice. Plus de 50 000 tonnes d'hydrocarbures s'échappent, polluant sur des milliers de kilomètres les côtes atlantiques espagnoles et dans une moindre mesure les côtes françaises et portugaises.

14 juillet 2006

Liban

Lors de la guerre entre le Hezbollah libanais et Israël, les réservoirs de la centrale électrique de Jiyé (près de Beyrouth) sont touchés par les bombardements et laissent s'écouler en mer 15 000 tonnes de pétrole. 150 kilomètres de côtes sont souillés.

7 novembre 2007

États-Unis-d'Amérique

Un porte-conteneurs sud-coréen heurte une pile du «Bay Bridge», dans la baie de San Francisco, provoquant la fuite de 220 000 litres de fioul

3 avril 2010

Australie

Un cargo chinois a heurté un banc de sable près de la Grande Barrière de Corail après avoir emprunté un itinéraire « illégal ». Le bateau Shen Neng 1, qui transportait 65 000 tonnes de charbon et 975 tonnes de fioul, a provoqué une marée noire à proximité de ce site réputé pour son incroyable biodiversité marine.

20 avril 2010

États-Unis-d'Amérique

Dans les eaux du golfe du Mexique, au large de la Louisiane, une plate-forme pétrolière louée par la société britannique BP était victime d’une importante explosion avant de partir en flammes.

22 avril 2010

Cameroun

Des sources administratives camerounaises ont annoncé qu’un déversement accidentel de pétrole s’était produit au Sud du Cameroun, au large de la station balnéaire de Kribi, dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 avril. « A l’occasion du changement du fuel dans un tanker de la plate-forme de Cotco (Cameroon Oil Transportation Company), le vent a provoqué la déconnexion du flexible et le pétrole a coulé sur le tanker puis dans la mer »