D’Aut’Suggestions culturelles

2010/05/07 | Par Marie-Paule Grimaldi

Ce n’est pas la première fois que le Théâtre de la Manufacture s’éprend d’un auteur écossais et s’intéresse à une jeunesse désabusée qui tente de rebondir, de vivre malgré le désespoir silencieux.

Dans Yellow Moon de David Greig, traduit par Maryse Warda, si tout n’est pas dit, c’est bien le langage qui évoque, moule et rythme la pièce, lui donne sa raison d’être. Stag Lee (Benoit Drouin-Germain, vrai), jeune voyou en mal d’action, croise Leila (Sylvie de Morais, juste et lumineuse) qui ne parle jamais et qui déteste sa banalité, et l’entraîne dans une cavale. Lee cherche son père, Leila une histoire pour la faire exister.

Autour d’eux, toujours convaincants, Stéphane Demers et Monique Spaziani incarnent la mère dépressive et le beau-père impulsif, la vedette de cinéma et le garde-chasse, mais aussi les narrateurs bienveillants qui portent un regard tendre sur les protagonistes.

C’est que la ballade de Leila et Lee est plus souvent narrée que mise en dialogue, et ces mots crus nous servent de décors et de mouvements sur la scène centrale, dans une scénographie qui suggère par quelques accessoires à peine les paysages et l’ambiance.

Les mises en abîme ne nous sortent pas du jeu pour autant et permettent juste assez de recul pour rencontrer les personnages sans surplus de pathos et sans jugement, près du conte alors.

Mais un conte sans magie autre que celle de la jeunesse qui s’essaie à la vie. Ce sont des procédés qui ne sont pas inconnu au metteur en scène Sylvain Bélanger (Cette fille-là, Félicité) qui ne craint ni la violence ni la poésie de cette histoire dure, comme il n’évite pas sa légèreté et les sourires qu’elle provoque.

La mise en scène s’efface et le travail se concentre sur une excellente direction d’acteurs puisque ce sont eux qui détiennent les clés de l’histoire.

Dans ses thèmes, Yellow Moon surprend peu, questionne peu, mais nous attrape, nous attache à cette histoire de fuite, de survie, une très bonne histoire, celle qui ne nous arrive pas mais dans laquelle on se reconnaît tout de même. Une pièce accessible qui mérite d’être vu, du bon théâtre, du théâtre qui parle, dans tous les sens du terme, qui nous parle.

Yellow Moon, 5 au 27 novembre, Espace Go, 4890 Saint-Laurent



Après le populaire Rigoletto de Verdi, l’Opéra de Montréal poursuit sa saison avec une œuvre en contre-plan, Roberto Devereux de Gaetano Donizetti, moins éclatante mais qui donne place à des prestations vocales de haut niveau dans une exacerbation sentimentale.

Une proposition à moitié réussie, dont le succès repose en majeure partie sur la présence de la soprano grecque Dimitria Theodossiou qui ponctue véritablement le spectacle et transporte ses spectateurs.

Car bien que l’opéra porte le nom du compte Roberto Devereux, c’est son amante éconduite, la reine Elizabeth 1er qui est au centre de cette tragédie, en femme ardente et orgueilleuse.

Si Devereux est accusé de trahison à son retour d’Irlande, bien peu en fait à la reine qui doute surtout de sa fidélité, doute qu’elle porte avec raison puisque Devereux aime Sara, femme du duc de Notthingam et son meilleur ami, d’un amour réciproque, coupable et somme toute candide. Furieuse, Elizabeth fera condamné son amant à mort, tout en espérant jusqu’à la dernière minute son repentir.

Les personnages sortent de leur contexte politique pour ne devenir qu’êtres affectifs, passant tour à tour de la confiance à la trahison, dans un romantisme à fleur de peau. Monté pour la première fois à Montréal, la production se veut moderne dans une scénographie épurée mettant les interprètes au premier plan.

Les décors, malgré des dispositifs impressionnant, restent banals et la mise en scène tente de se remplir elle-même par des mouvements superflus, utilisant à outrance un escalier de fer. Les costumes sont à la fois d’époque et symboliques, surtout pour Elizabeth, qui tranche l’espace de sa robe rouge au premier acte et illumine en blanc au troisième.

Finalement, cet opéra ne devient qu’attente entre les apparitions de la reine interprétée par Theodossiou; elle flamboie, incarne les facettes nombreuses du personnage en nuances complexes, de la colère à l’abandon, elle touche et émeut.

Le serbe Alexey Dolgov en Devreux a le physique et la fougue de l’emploi et Elizabeth Batton, qui pourtant connaît bien le répertoire de Donizetti, déçoit en Sara et n’égale pas la reine.

Mais ainsi en est il aussi dans la partition même. Si on ne peut en extirper aucun air connu, la musique charme, marquée de lignes mélodiques romanesques mais légères. Une proposition audacieuse qui sort d’une lourdeur traditionnelle, intéressante, mais on y va avant tout pour la reine. Mais quel règne!

Roberto Devereux, Opéra de Montréal, 13 au 25 novembre, Place des Arts, Salle Wilfrid-Pelletier, 175 Sainte-Catherine Ouest