Résidence avec vue sur l’éternité

2010/05/10 | Par Ginette Leroux

Après La saison des amours, un film dans lequel il traite des relations de couple de la génération de ses parents réunis autour d’une expédition de chasse, Jean-François Caissy, cinq ans plus tard, remonte le temps et met en scène la génération précédente, celle de ses grands-parents, dans un documentaire sensible, touchant et réussi, La belle visite.

Les premières images sont d’une beauté et d’une symbolique remarquables. Plein écran sur le fleuve, on entend le pleur des goélands se fondre dans l’infini du ciel bleu. Puis, la caméra fixe la souffleuse à neige surmontée d’une cabine rouge sur fond gris de tempête. Elle déblaie la route. Une saisissante préfiguration de la grande faucheuse déterminée et inexorablement présente aux abords de la résidence pour personnes en fin de vie. 

Chez les vieux, la vie est un éternel recommencement. Seul, on écoute les avis de décès à la radio, on regarde la messe à la télé, on fait son jeu de patience. Une dame replace avec soin ses toutous sur son lit. D’un air résigné, un vieil homme attend que son lazy-boy à contrôle électrique le délivre de son fauteuil. L’heure des repas sonne le rassemblement. Assis en ligne le long du mur, les résidants attendent l’ouverture de la salle à manger.

Le bingo devient une activité passionnante; en revanche, le jeu de poche attise la compétition. Même si on avale quelques mots du Je vous salue Marie, la récitation du chapelet remet les choses à leur place. La visite du médecin ou de l’infirmière est un événement. « Une once de brandy avant le dîner », recommande l’infirmière à une dame dont la pression est trop basse.

Les dames sont orgueilleuses et soignent leur tenue. Les hommes ne sont pas en reste, surtout que les dames sont en la majorité dans la maison. La coiffeuse attire un bon nombre de clientes le temps d’une mise en pli, d’une coupe de cheveux ou d’une teinture, surtout que ce sont des occasions en or de prendre des nouvelles de l’extérieur. Les conversations téléphoniques jouent aussi ce rôle. « Ça passe le temps », raconte une dame. Rien de nouveau, poursuit-elle, c’est toujours la même chose ». Les saisons se succèdent. Après l’hiver, le printemps. À l’été succède l’automne. L’hiver est aux portes de la résidence avec ses violentes rafales, ses bancs de neige et la souffleuse met un ordre à tout ça. Elle ouvre le chemin pour l’ambulance qui emporte les moins résistants.

Qu’est-ce qui a incité un cinéaste gaspésien de 32 ans à consacrer deux ans de tournage à l’écoute d’une génération à l’opposé de la sienne? La mort de son grand-père suivie du déménagement de sa grand-mère dans une maison pour les aînés a servi d’élément déclencheur. La magie des lieux l’a complètement séduit. Un chapelet de motels, dont la façade se juxtapose à la route et, à l’arrière, trône une falaise qui surplombe le fleuve, a été transformé en résidence qui accueille vingt-cinq personnes du troisième âge. 

Jamais l’intimité de ces personnes n’est dévoilée. Jean-François Caissy montre, en temps réel, leur solitude, leurs silences, leur résignation. Cette vieille dame pourrait être votre grand-mère ou encore votre tante, ce vieillard, votre grand-père. En ce sens, le sujet est universel.

Une poésie flotte au-dessus de ce film. Le documentariste entraîne le spectateur au-delà de la vieillesse, au-delà de la mort pour montrer des vieilles gens au dernier tournant de leur vie.  L’ultime séquence résume à elle seule le film. Un vieillard marche. Lentement, s’aidant de sa canne, il fait le tour de la maison. Le bruit des voitures contraste avec le silence du fleuve. La caméra se contente de suivre la lenteur des pas tout en captant le bruit de la canne sur l’étroit trottoir de ciment. Ici la vie, là l’éternité.


La belle Visite, un film de Jean-François Caissy, au cinéma Parallèle à Montréal et en région