Odeur de coup d’état en Argentine

2010/05/11 | Par André Maltais

Le 10 mars dernier, la sénatrice, Roxana Latorre, excédée des manœuvres de l’opposition visant à paralyser le gouvernement, déclare qu’au Congrès argentin « on respire un air de coup d’état ».

Latorre, qui fait elle-même partie de l’opposition mais respecte l’ordre constitutionnel, accuse certains partis de droite de bloquer systématiquement toutes les mesures proposées par le gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner.

Majoritaire dans les deux chambres du Congrès depuis les élections législatives de juin 2009, la droite, dit Roxana Latorre, cherche prétexte à voter la destitution de la présidente.

Cristina Fernandez doit terminer son mandat, affirme encore la sénatrice, qui craint un « coup d’état du 21e siècle » dans le style de celui du Honduras.

Les politiques sociales et nationalistes des gouvernements de Nestor Kirchner (2003-2007) et de son épouse, élue le 28 octobre 2007, de même que leur alignement résolu sur le Brésil de Lula et sur l’union latino-américaine irritent la droite argentine.

Comme au Chili, celle-ci compte encore d’importants secteurs fidèles à la dictature des années 1976-1983 qui n’ont jamais pardonné à Nestor Kirchner l’annulation des lois sur le pardon qui ont initié des procès de lèse-humanité contre plusieurs anciens tortionnaires.

Les manœuvres commencent le 11 mars 2008, quand la présidente propose d’augmenter de 12% les rétentions de l’État sur l’exportation de produits agroalimentaires.

L’Argentine est l’un des plus grands pays agro-producteurs de la planète. Aussitôt, les organisations patronales du secteur agraire, aidées par les corporations médiatiques, se lancent dans un conflit qui durera quatre mois et sera marqué par un lock-out patronal de 126 jours.

Le 17 juillet 2008, appelé à trancher un vote sénatorial égal (36 contre 36), le vice-président, Julio Cesar Cleto Cobos, qui, depuis, s’affiche ouvertement avec l’opposition, trahit son gouvernement et vote contre l’adoption de la mesure.

Ce vote enterre une tentative aussi timide que légitime du gouvernement de redistribuer à la population une petite partie des profits exorbitants des grands exportateurs de soja et autres céréales.

Les rétentions à l’exportation contre les grands producteurs céréaliers voulaient aussi encourager une diversification de la production alimentaire argentine et diminuer les effets très néfastes des monocultures sur l’environnement.

La défaite, alliée aux hésitations des époux Kirchner à s’appuyer sur la population, a fait très mal. Elle a terni l’image positive que l’opinion publique avait jusque là du gouvernement et permis à la multitude des partis d’opposition de consolider leur alliance.

Poursuivant sur leur lancée, les opposants parlementaires et ce qu’on a appelé « la junte agraire », ont par la suite exigé et négocié l’abolition de toutes les rétentions existantes dans le secteur de l’agrobusiness!

Un an plus tard, renforcée et portée en triomphe dans les médias privés, la droite gagne les législatives du 28 juin 2009. En perdant 24 députés et 4 sénateurs, le Front pour la victoire (parti du gouvernement) perd aussi le contrôle des deux chambres législatives et son pourcentage de vote chute à 31,2% à l’échelle nationale.

Malgré cela, le 10 octobre dernier, Cristina Fernandez parvient à faire approuver par une grande majorité parlementaire la Loi des services de communication audiovisuels (LSCA) qui remplace l’ancienne Loi de radiodiffusion, signée par l’ex-dictateur Jorge Rafael Videla.

La mesure vise à  mettre fin à la concentration des médias et aux abus qu’elle permet aux propriétaires des corporations médiatiques.

Elle vise également à ce que, comme l’exprime la présidente, « la voix de tous et toutes puisse être écoutée » en permettant à la population d’avoir accès à des sources d’information plus diverses, en réglementant la publicité et en augmentant le contenu national des émissions et des capitaux investis dans le secteur médiatique.

Le projet est analysé, discuté, dans toutes les provinces du pays autour de centaines de tables rondes et panels auxquels participent universités, mouvements sociaux, syndicats, partis politiques et organismes de toutes tendances.

Mais, confondant volontairement droit d’expression et droit d’extorsion, les conglomérats médiatiques décrivent la loi comme un « attentat contre la liberté de presse » et, aussitôt adoptée, la mesure est mise entre les mains des juges dans un pays où plusieurs d’entre eux ont été nommés par la dictature.

L’application de la loi est donc bloquée par ces juges ultraconservateurs qui, à chaque fois que des lobbies médiatiques ou leurs complices demandent la suspension d’articles de la loi voire de la loi entière, tranchent en leur faveur.

Pendant que le sort de la LSCA attend le verdict de la Cour suprême, en décembre, la présidente annonce le décret « Nécessité et urgence » par lequel elle crée un Fonds du Bicentenaire qui doit servir à utiliser une petite partie des réserves de la Banque centrale (six milliards de dollars sur plus de 48 milliards) pour payer la dette externe.

Le montant est dû au Club de Paris et, depuis 2001, l’Argentine est en situation de défaut de paiement, accumulant des intérêts de l’ordre de 15%. La présidente espère liquider cette somme pour permettre à l’Argentine d’obtenir de nouveaux prêts aux taux actuels qui sont beaucoup plus bas.

Ceux du Brésil, par exemple, sur des emprunts récents, sont de 4,6%.

Bien sûr, plusieurs syndicats, partis de gauche et organisations sociales reprochent au gouvernement de payer la dette sans l’investiguer, contrairement à ce qu’a décidé le gouvernement équatorien. Avant tout paiement, ils réclament un audit de la dette externe pour en déterminer la part illégitime et sanctionner les auteurs de ce vol.

Mais la droite, elle, ne s’oppose pas au paiement de la dette. Elle exige plutôt que l’État la rembourse à même le budget 2010 pour ainsi forcer des coupures de dépenses et rendre le gouvernement toujours plus impopulaire.

Les exigences de l’opposition ont aussi une autre raison, dit le journaliste Pablo Ramos, de l’Agence de presse du Mercosur. Les réserves de la Banque centrale n’ont pas seulement comme fonction d’appuyer la monnaie nationale en circulation. Elles servent aussi à garantir la fuite des capitaux par les étrangers.

Quand un investisseur fait entrer son argent dans un pays, explique Ramos, il la convertit en monnaie nationale. Plus tard, s’il veut sortir ses gains, il doit les reconvertir en dollars dont le montant doit être cautionné par les réserves de la Banque centrale du pays hôte.

En février et mars, la droite parlementaire essaie d’empêcher la nomination de la nouvelle présidente de la Banque centrale argentine, Mercedez Marco del Pont, appelée à remplacer l’ex-titulaire, Martin Redrado, qui refusait d’appliquer le décret « Nécessité et urgence ».

Cette fois, l’opposition n’est pas arrivée à ses fins à cause d’honnêtes parlementaires comme la sénatrice Latorre que ces manœuvres égoïstes et anticonstitutionnelles ont fini par révolter.

Mais la société argentine et son gouvernement s’engagent dans un inquiétant tournant car, au cours des deux dernières années, les forces d’opposition, d’autant plus arrogantes et sûres d’elles que le gouvernement reste plutôt loin du peuple, se sont habilement positionnées en vue des présidentielles du 10 décembre 2011.