Énergie : La quadrature du cercle

2010/05/13 | Par Daniel Breton

L’auteur est membre de MCN21 (Maîtres chez nous-21e siècle) 

Au moment où nous assistons impuissants à une catastrophe écologique majeure dans le golfe du Mexique mettant sur la sellette BP (qui se targue depuis quelques années de s'être renommée « Beyond Petroleum » et a proposé d'engager des pêcheurs pour nettoyer le désastre... en échange d'une renonciation à toute poursuite), la compagnie pétrolière Chevron s'apprête à commencer un forage exploratoire au large de Terre-Neuve à  2,6 kilomètres de profondeur.

Lorsque interrogés sur les risques potentiels, Ottawa et Chevron se sont voulus rassurants et considèrent que l'attente des conclusions de l'enquête sur la ou les causes de la catastrophe du golfe du Mexique n'est pas nécessaire.

Pendant ce temps, les scientifiques sérieux nous pressent de diminuer beaucoup plus rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, car la planète approche à grands pas du point de non-retour du réchauffement climatique, alors que le méthane emprisonné dans les glaces depuis des millénaires sera libéré.

Le méthane étant 24 fois plus puissant que le dioxyde de carbone comme vecteur de réchauffement, il est impossible de prédire quels seront les effets du relâchement dans l'atmosphère de ce méthane. Un fait demeure cependant, les effets seront dévastateurs.

Et quelle est notre réponse face à ce problème urgent?: Drill, baby, drill!

La voilà, notre réponse.

Nous sommes devant la quadrature du cercle. D'un côté, le développement des énergies vertes telles que le solaire, l'éolien, la géothermie et autres s'accélèrent, car elle sont devenues, selon les « lois » du marché, plus compétitives. On pourrait ainsi croire que nous serions dans la bonne voie pour cesser l'exploration et l'exploitation de gaz, pétrole, charbon ou uranium.

Erreur.

Car de l'autre, ces mêmes « lois » du marché font en sorte que la demande croissante d'énergie venant principalement d'Asie crée une pression à la hausse sur le prix des énergies fossiles.

Ainsi, tous les territoires où se trouve du pétrole ou du gaz sont dans la mire des entreprises qui oeuvrent dans ces secteurs et celles-ci font un lobbying intense auprès des élus pour que leur soient ouvertes toutes grandes les portes de leurs sous-sols.

De dire que le gouvernement canadien est plutôt favorable à ces entreprises est une lapalissade. Il semblerait même qu'elles contrôlent notre pays. Comme l'a très justement indiqué le journaliste émérite du Guardian Georges Monbiot:

“…So here I am, watching the astonishing spectacle of a beautiful, cultured nation turning itself into a corrupt petrostate” (1er décembre 2009/ The urgent threat to world peace is...Canada)

Mais ce que peu de gens savent, c'est que sans débat, en catimini, les mêmes tractations ont présentement lieu ici même, au Québec.

En effet,  le gouvernement de Jean Charest, celui-là même qui annonçait en juin 2009 qu'il ferait du Québec « le leader mondial des énergies vertes », a ouvert la porte toute grande à l'exploration et l'exploitation de gaz, de pétrole et même d'uranium.

Alors que, depuis quelques mois, l'Ontario annonce 8 milliards d'investissement dans les énergies éolienne et solaire, le Québec crée un « comité » sur le « potentiel » des énergies vertes et financera une « consultation » sur l'indépendance au pétrole... avec comme partenaire Gaz Métro.

Ainsi, pendant que d'un côté les Québécois sont appelés à discuter énergies vertes, le gouvernement de Jean Charest et ses « amis » foncent dans les énergies sales. Une belle diversion.

Pour ajouter l'insulte à l'injure, ce gouvernement a DONNÉ  GRATUITEMENT nos droits d'exploration et d'exploitation à des entreprises privées qui ont refilé la majorité de leurs actions à des compagnies étrangères sans jamais nous demander l'autorisation.

Ajoutons à cela que ces entreprises se sont vues accorder des crédits d'impôts et de redevance pour des années.

En 2005, nous avons commencé à travailler sur le projet d'indépendance aux énergies fossiles que nous avons nommé: « Maîtres chez nous-21e siècle ».

En 2010, nous sommes de plus en plus nombreux à faire la démonstration que l'indépendance aux énergies fossiles est un projet économique et écologique non seulement intéressant, mais vital pour l'avenir du Québec et de la planète.

Pourtant, des gens d'affaires et certains élus bavent littéralement  devant les « retombées » économiques potentielles de l'exploitation de gaz et de pétrole, minimisant aveuglément les autres « retombées »:  Dévastation d'écosystèmes, catastrophes du type de celle du golfe du Mexique, impacts bien connus sur la santé des gens, réchauffement  climatique, pollution atmosphérique, etc.

Soyons clairs. Contrairement à ce qu’ils nous disent, il ne s’agit pas ici de créer de la richesse, mais quelques riches… en appauvrissant la vaste majorité des Québécois…et l’environnement.

Entendre la ministre des Ressources Naturelles et de la Faune,  Mme. Normandeau nous dire qu’elle est conseillée par André Caillé, « peddler » officiel de Junex, pour créer les paramètres d’encadrement de cette exploitation est surréaliste. C’est comme si les moutons demandaient conseil au loup pour la sécurité de leur bergerie.

Ce qui se passe présentement dans le domaine de l'énergie illustre de façon absolument éclatante toute l'absurdité de notre société et de notre système économique.

Résumons-nous:

  • Le pétrole et le gaz qui ont mis des millions d'années à se former seront épuisés sous peu. Nous sommes rendus au pic pétrolier, donc l'offre n'ira qu'en diminuant.
  • Brûler en un temps si court une si énorme quantité de combustible dérègle l'équilibre planétaire et cause le réchauffement de la planète.
  • Comme les réserves s'amenuisent, le prix des hydrocarbures augmente à cause de la demande et du niveau croissant de difficulté pour l'extraire.
  • Comme ce prix augmente, nous voulons, comme bien d'autres, nous lancer dans l'exploitation de cet or noir.
  • Ferons-nous quelque profit, considérant les avantages accordés par le gouvernement de Jean Charest? Rien n'est moins sûr.

Et on nous dit que le marché réglera nos problèmes écologiques? Le lobby des hydrocarbures est bien trop puissant pour cela. Même si « la main invisible du marché » favorisaient les énergies vertes, le bras de cette même main est tordu par les oligarques fossiles. Ces entreprises soudoyant allègrement nos gouvernements, cela évacue toute logique économique ou écologique.

Nous sommes devant la quadrature du cercle.

Le temps d'un débat national est venu. Et ça urge.