Forage dans le Saint-Laurent

2010/05/13 | Par Danielle Giroux

Danielle Giroux, LL.B., M.Sc. (Adm.)

Présidente de l’organisme environnemental Attention FragÎles aux îles de la Madeleine

La marée noire en Louisiane est un drame, de même que toutes les autres marées noires qui surviennent régulièrement à travers le monde.

Elle nous enseigne, une fois de plus, que le risque zéro n’existe pas. Aucune  technologie de pointe, ni aucun cadre réglementaire exigeant, ni aucune aire protégée, ni aucun des engagements des gouvernements ou des compagnies de forage ne peuvent nous prémunir d’un éventuel accident.

C’est le propre même des accidents d’être imprévisibles. Et ceux en mer sont dommageables et difficiles à contenir, surtout si les tempêtes sont fréquentes et que des glaces s’y trouvent. Comme ici, près des îles de la Madeleine.

Plusieurs croient que la probabilité d’un déversement majeur d’hydrocarbures est minime. Qu’ils se détrompent: une étude du gouvernement américain (2004) démontre qu’il existe une probabilité de 19 % qu’un déversement majeur se produise sur une période de 25 ans.

Également, en 2004, le responsable des affaires environnementales de l’Office extracôtier Terre-Neuve-Canada affirmait que la capacité de contenir un déversement d’hydrocarbures dans l’Atlantique Nord n’est possible que dans 10 % des cas.

Le forage au large des côtes des îles de la Madeleine est imminent. Terre-Neuve a déjà annoncé son intention de forer dès 2011 le gisement Old Harry. Le Québec désire faire de même de son côté. Et nous savons qu’Ottawa aussi veut sa part du gâteau. C’est déjà la course contre la montre pour régler le litige qui les oppose.

La ministre Nathalie Normandeau affirme que le gouvernement ne veut pas aller de l’avant à n’importe quel prix. Quelle valeur ont ces propos pour le gisement Old Harry, côté québécois, un territoire dont la juridiction et le partage des éventuelles ressources sont contestés entre la province et Ottawa?

Et si Terre-Neuve fore Old Harry, comment le Québec pourra-t-il résister à l’envie de forer, malgré les propos de la Ministre qui se veulent empreints de précaution?

De plus, les évaluations environnementales stratégiques (EES) annoncées et tenues par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) ne seront complétées qu’après que Terre-Neuve ait commencé son forage exploratoire. Il sera trop tard.

Concernant les EES, rappelons qu’elles ont été confiées au MRNF et non à un organisme indépendant. La crédibilité du processus s’en trouve, à notre avis, entachée. Une lecture de la démarche nous apprend que les EES visent à mieux encadrer les activités de forage dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. En aucun temps toutefois n’est prévu un débat public sur le sujet ni n’est posée la question qui s’impose : voulons-nous explorer et forer le Saint-Laurent, connaissant et acceptant les impacts et les risques inhérents à ces activités?

Avant d’être en mesure de répondre à cette question, aucune activité d’exploration ou d’exploitation ne devrait être autorisée dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent.

Ce débat ne doit pas se faire uniquement à une échelle régionale, pas plus qu’il ne faut continuer à évaluer les impacts des activités sur le Saint-Laurent de façon morcelée. Le Québec devra s’y pencher, comme les provinces de l’Atlantique. Les projets des uns peuvent affecter la situation des autres.

À ce titre, les activités d’exploitation à Old Harry du côté de Terre-Neuve sont susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants au Québec, surtout ici aux îles de la Madeleine. Une entité de concertation interprovinciale réunissant les principaux intéressés (gouvernements, pêcheurs, ONG, scientifiques, etc.) devrait voir le jour.

Il est urgent qu’Ottawa décrète ce moratoire avant que Terre-Neuve ne fore. De son côté, Québec doit faire pression en ce sens afin de protéger ses populations côtières, et pour que son programme d’EES ne soit pas perçu comme un leurre. Si un débat public s’avère essentiel, il ne faut toutefois pas attendre pour agir : un moratoire dans tout l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent s’impose.

 

Références :

Offshore oil and gas : Charting the next steps : We must find a way to build consensus among B.C.’s polarized stakeholders (Time Colonist, 2004/12/17)

Second Terra Nova oil spit now target of investigation, my TELUS news,  The Canadien Press, http://www.mytelus.com, site consulté le 2004-11-25


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