Libre-échange Canada-Europe?

2010/05/13 | Par Nicole de Sève

L’auteure est conseillère syndicale à la Centrale des syndicats du Québec

Pendant que les yeux et les oreilles des Québécois sont tournés vers le budget Bachand, les garderies privées, la collusion dans le monde de la construction ou le prochain match des Canadiens, leur cœur est sur le point de subir un dur coup. Tout cela, sans que leur tête ne soit au courant.

Ce qui nous caractérise dans le paysage nord-américain, ce qui vaut pour une grande part de notre identité et de notre solidarité sociale, est effectivement menacé. Cela, avec l’accord tacite du gouvernement Charest, et sans que ce dernier daigne nous en parler ou nous demander ce qu’on en pense.

C’est que le gouvernement canadien négocie actuellement un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Et si le passé est garant de l’avenir, nous aurions tout intérêt à suivre attentivement ces négociations et à ralentir l’ardeur du premier ministre Jean Charest et celle du gouvernement canadien.

En effet, si on s’appuie sur les conséquences des accords conclus dans le cadre de l’Union européenne, il y a péril en la demeure pour les droits sociaux et syndicaux des Québécois.

Selon Alain Supiot, professeur de droit, membre de l’Institut universitaire de France et auteur du livre L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total[1], c’est la Cour de justice des communautés européennes qui détient dorénavant une part essentielle du pouvoir législatif de l’Union européenne. Et cette Cour a rendu, au cours des dernières années, des décisions qui nous font craindre le pire. Ainsi, en 2007, la Cour a rendu deux arrêts qui stipulent que sauf raison impérieuse d’intérêt général, les syndicats ne doivent rien faire qui serait « susceptible de rendre moins attrayant, voire plus difficile » le recours aux délocalisations ou aux pavillons de complaisance.

Comme le signale M. Supiot, le juge nommé par la Communauté européenne estime que l’abolition des obstacles à la libre prestation des services entre les États membres pourrait être compromise si des associations ou des organismes ne relevant pas du droit public (c.-à-d. des organisations syndicales) exerçaient leur autonomie juridique. Ce juge communautaire soumet donc ces organisations au droit commercial, en violation du principe de « libre exercice du droit syndical », garanti par la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail.

En d’autres mots, selon la Cour de justice des communautés européennes, il faut neutraliser la capacité syndicale de faire respecter les droits syndicaux des pays membres si ces droits entravent le libre marché. En somme, un tel accord entre l’Union européenne et le Canada – avec l’appui enthousiaste du Québec – menacerait les droits syndicaux et les législations du travail, s’il ne contenait pas tous les verrous nécessaires pour respecter les instruments internationaux et les lois nationales concernant les relations du travail.

Il est donc impératif que le gouvernement du Québec, partie prenante à ces négociations, saisisse l’Assemblée nationale de l’évolution des négociations, rende publics les termes de l’accord et obtienne l’assentiment des Québécois avant d’entériner ce dernier.

La vigilance à l’égard de nos propres gouvernements nationaux doit devenir une priorité, car au chapitre des droits sociaux et syndicaux leur bilan ne s’inscrit pas dans la foulée de la justice sociale. Bien au contraire !