Le nouveau visage du syndicalisme

2010/05/25 | Par Maude Messier

Depuis plus d’une dizaine d’années, la CSQ milite aux côtés des responsables de service de garde en milieu familial (RSG) pour la reconnaissance de leurs droits fondamentaux au travail. «Il fallait réunir ces femmes, leur offrir du soutien et des ressources pour mener cette bataille que l’on savait longue et ardue», explique la vice-présidente de la CSQ, Louise Chabot, en spécifiant que la centrale syndicale représente 12 500 des 15 000 RSG au Québec.

«Ce sont de grandes battantes, elles sont incroyables. Appel après appel, elles sont restées debout sans lâcher prise, souligne Mme Chabot. Elles nous ont donné une belle leçon syndicale à leur façon.»

Deux ans après qu’un jugement de la Cour supérieure eut reconnu le droit de syndicalisation et de négociation de ces travailleuses, elles sont actuellement en processus de négociation avec le gouvernement pour l’obtention d’une première entente collective.

Le réseau public de garderies du Québec compte environ 200 000 places, dont la moitié sont offertes en milieu familial. «En grande partie, les RSG s’occupent des poupons et des enfants de moins de trois ans. Ces femmes répondent à un besoin important des parents», précise Mme Chabot.

En ce qui concerne les garderies familiales privées, difficile d’en connaître le nombre d’après la CSQ, «tout simplement parce qu’elles n’ont pas l’obligation de se déclarer. Elles ne sont donc pas soumis aux mêmes réglementations et exigences que les établissements du réseau public.»

 

Conditions de travail anachroniques

Subventionnées par le réseau public, les responsables de service de garde en milieu familial sont donc sujettes aux mêmes normes et réglementations que les Centres de la petite enfance (CPE). «C’est un milieu très réglementé. Les RSG doivent tout de même offrir des services au minimum 50 heures par semaine, offrir le programme éducatif du ministère, suivre des guides alimentaires très stricts et perfectionner leurs qualifications régulièrement

Souvent seules ou avec l’aide d’une assistante, elles sont à la fois éducatrice, cuisinières et administratrices. Pourtant, leurs conditions de travail sont bien en deçà de leurs consoeurs des CPE et même des normes du travail en vigueur au Québec. «Elles n’ont pas la même rémunération, pas d’assurances collectives. Elles n’ont pas non plus de protection sociale. Elles n’ont pas droit à des vacances annuelles ni de congés payés. Les vacances qu’elles prennent sont toujours à leurs frais.»

D’après les données de la CSQ, les RSG ont un revenu annuel net de 16 000 dollars en moyenne, après subventions, contribution parentale réduite et déductions fiscales. «Selon nos calculs, elles travaillent en moyenne 60 heures par semaine et gagnent de 4 à 6 dollars de l’heure. C’est largement sous le salaire minimum.»

 

Une lutte à finir

Les responsables de service de garde en milieu familial ont entamé leur bataille vers 1997, «au moment de la mise en place du réseau des CPE, se souvient Louise Chabot. Déjà à l’époque, il y avait une volonté à la CSQ de réunir les femmes qui avaient la responsabilité d’une garderie en milieu familial

Pour le gouvernement, ces femmes ont alors un statut de travailleuses autonomes et ne bénéficient donc pas des droits fondamentaux au travail. La bataille consiste donc à les faire reconnaître comme salariées, au même titre que leurs consoeurs en «institutions», soit les éducatrices des CPE.

En 2003, dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Charest anéantis brusquement les quelques avancées au dossier en adoptant sous bâillon la Loi 8. «C’est une loi unique au Québec et extrêmement injuste qui confirme le statut de travailleuses autonomes de ces femmes, qui leur refuse donc le droit d’association et annule du coup toutes les accréditations arrachées jusqu’alors. Cette loi consacrait le fait qu’il y avait deux catégories de travailleurs au Québec.»

Convaincues que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur, les militantes poursuivent malgré tout la bataille en terrain juridique. Elles ont finalement gain de cause: la Loi 8 est invalidée  en 2008. Dans un jugement sans équivoque, la Cour supérieure donne raison à la CSQ sur toute la ligne. La juge Grenier reconnaît le droit d’association et de négociation des RSG et va plus loin en évoquant la discrimination faite à l’endroit de ce groupe de travailleuses. Le gouvernement n’ira pas en appel.

«Pour le gouvernement comme pour bien d’autres, le travail de ces femmes s’inscrit dans le rôle traditionnel de la femme, comme si c’était le prolongement du rôle d’une mère, alors qu’il s’agit bel et bien d’un travail. Ces femmes ont été victimes de stéréotypes.»

À l’heure actuelle, les RGS ont un statut hybride. Au sens où elles ont le choix des enfants dont elles ont la responsabilité à la maison et gèrent elles-mêmes les contrats avec les parents, elles sont considérées comme des travailleuses autonomes. Elles ont toutefois les mêmes droits que les salariés sur la question des droits fondamentaux au travail.

 

Reconnaissance et respect

«Cette première convention va jeter les bases pour l’avenir de ces travailleuses. Vous comprendrez qu’on souhaite obtenir des bases solides. On ne peut pas accepter une convention qui ne prévoit pas l’ensemble de nos préoccupations. Nous avons fait un travail extrêmement rigoureux en prévision de cette négociation, nous nous attendons à ce que le gouvernement en fasse de même. C’est une question de respect. On ne veut pas d’une coquille vide», déclare Louise Chabot.

Pour bâtir les demandes syndicales, la CSQ a réalisé un exercice similaire à celui entrepris dans les cas de règlement d’équité salariale. «On ne demande vraiment pas la lune. Ces travailleuses devraient avoir un salaire semblable à celui des éducatrices en CPE puisqu’elles font le même travail. Nous réclamons un taux d’environ 21 dollars de l’heure, soit le taux horaire qu’auront les éducatrices en 2011, au terme du règlement d’équité salariale

Interrogée sur l’état des négociations avec le gouvernement, Mme Chabot souligne que le processus est quelque peu laborieux. «On sent que le gouvernement n’est pas pressé de régler ce dossier, il n’y a pas de réelle volonté politique. Le processus s’annonce très long

Les responsables de service de garde en milieu familial sont toutefois bien déterminées à exercer les pressions nécessaires sur le gouvernement dans le processus de négociation pour obtenir un règlement satisfaisant. Un plan d’action déjà adopté par les délégués est actuellement soumis à l’approbation des membres. «C’est un plan qui comprend des moyens d’action allant de la sensibilisation à l’arrêt de travail», confirme la vice-présidente de la CSQ.