Contrats publics : une autre menace à l’horizon

2010/05/26 | Par Catherine Caron

L’auteure est membre du conseil d’administration d’ATTAC-Québec

À la suite de la parution du rapport du vérificateur général de la Ville de Montréal, l’impression que le privé prospère impunément au frais des contribuables ne se dissipe pas.

C’est bien ce que craignent aussi les nombreux acteurs politiques et sociaux qui exigent la tenue d’une enquête publique pour faire la lumière sur l’ensemble des allégations de collusion et de corruption qui entachent aussi le gouvernement Charest depuis des mois.

Mais on n’a encore rien vu! On ne peut prétendre se préoccuper de l’intégrité des processus d’octroi et de gestion des contrats publics sans briser le silence qui pèse sur le projet d’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (UE).

Celui-ci est actuellement négocié en catimini, sans transparence et réelle implication de la société civile et des mouvements sociaux, avec la collaboration des provinces. Jean Charest est l’un de ses grands artisans et on n’entend pas les partis de l’opposition faire les liens qui s’imposent et s’inquiéter à ce sujet.

Cet accord ambitieux vise, entre autres, à créer une percée afin que les provinces, les municipalités et toutes les entités publiques y soient désormais assujetties, de manière à ce que la manne associée aux contrats gouvernementaux puisse enfin être davantage captée par les entreprises privées, d’ici et d’ailleurs.

L’accord conclu avec les États-Unis concernant le Buy American a, par ailleurs, déjà créé une importante brèche à cet égard.

En décembre 2009, une fuite de document a permis de confirmer que l’Union européenne, au service de ses puissantes multinationales, demande au Canada d’ouvrir les marchés publics à tous les niveaux, du fédéral au municipal.

Cela pousserait les engagements du Canada plus loin que ce que prévoient les accords de l’OMC ou l’ALÉNA en matière de marchés publics, indique une importante étude de Scott Sinclair du Centre canadien des politiques alternatives (Negociating from weakness, avril 2010).

Tout cela sans parler de la volonté affirmée de libéraliser davantage les services, qui pose de sérieux enjeux concernant non seulement nos services publics mais les services financiers.

Ainsi, si nous sommes nombreux à être dégoûtés de la mauvaise gestion des fonds publics actuellement, qu’est-ce que ce sera lorsqu’une partie croissante de ces fonds servira de plus en plus à enrichir des multinationales étrangères qui pourront obtenir, plus que jamais, une panoplie de contrats publics?

Des entreprises qui n’auront aucun lien d’appartenance à la société québécoise ni soucis de l’intérêt public local?

Parmi les demandes les plus controversées des Européens, on ne s’étonnera pas de voir ce qui concerne la production et la distribution de l’eau potable.


Un antidote à la corruption?

Les tenants du libre-échange prétendent que l’ouverture à une plus grande concurrence serait un remède à la corruption. On peut en douter. Les lobbies du privé ont beaucoup œuvré ces dernières décennies pour créer la situation de sous-financement et de dévalorisation de la sphère publique dont ils cherchent aujourd’hui à tirer profit.

Cela induit un problème de ressources et d’expertise au sein des entités publiques, auquel le développement d’une culture de laxisme et de favoritisme irresponsable ne fait que se greffer.

Comment sérieusement s’imaginer, par exemple, que les pouvoirs publics feront mieux en matière de planification ou de contrôle des dépassements de coûts lorsqu’ils seront confrontés à la complexité qui accompagnera l’ouverture encore plus grande des marchés à de puissants joueurs internationaux?

Au-delà de ces considérations, Scott Sinclair explique clairement l’enjeu véritable de cet accord de libre-échange tout en reconnaissant qu’« il est légitime d’avoir pour objectif la prévention de la corruption et de vouloir s’assurer de la responsabilité et de la transparence concernant les dépenses publiques. Mais cela nécessite des systèmes d’octroi des marchés publics qui sont transparents et qui comportent des mécanismes de vérification intégrés permettant de bien évaluer les bénéfices tirés d’une dépense publique, précise-t-il. En dépit des affirmations des tenants d’un libre-échangisme radical, force est de constater qu’améliorer la transparence et la responsabilité ne nécessite pas de sacrifier la puissante contribution que les marchés publics peuvent apporter à la réalisation d’objectifs sociaux, économiques et environnementaux » (Negociating from weakness, avril 2010, p.10).

C’est donc aussi la capacité des pouvoirs publics de mener des politiques publiques en toute souveraineté, que ce soit pour favoriser l’emploi local, l’achat local ou une réglementation environnementale, par exemple, qui est mise à risque dans les présentes négociations.

Avec la possibilité que soit inclus dans l’entente un équivalent du chapitre 11 de l’ALÉNA, celui qui permet à des multinationales s’estimant lésées par nos règlementations de poursuivre le gouvernement canadien.

Le 19 avril dernier, le nouveau Réseau pour le commerce juste (www.commercejuste.ca) a rendu public, grâce à une autre fuite, l’ébauche secrète de cette entente entre le Canada et l’Union européenne.

Plus indigeste qu’un rapport de vérificateur général, c’est là un document bien plus explosif. Un dernier cycle de négociations est prévu en juillet. Il est grand temps pour les partis politiques qui sont sur le pied de guerre concernant les scandales actuels, les médias et les mouvements sociaux d’en prendre acte et de se mobiliser.

Illustration : www.simonbanville.com