Dette du Québec : ni banalisation, ni exagération !

2010/05/26 | Par Louis Gill

L’auteur est économiste et professeur retraité de l’UQAM

Depuis que le ministère des Finances du Québec a rendu public en février dernier le chiffre de 94,5 % du PIB comme mesure de l’endettement global du Québec, ce chiffre est devenu une vérité incontestable aux yeux de tous ceux qui ont intérêt à faire apparaître le Québec comme un cancre dans le classement mondial de l’endettement. Pourtant, ce chiffre est dénué de fondements.

En vertu d’une application abusive de la méthode utilisée par l’OCDE pour mesurer l’endettement global de ses États membres (dettes du gouvernement central et des paliers inférieurs de gouvernement comme ceux des états, des provinces et des municipalités), le Québec, avec une dette brute gouvernementale de 50 % du PIB en 2009, se retrouve avec un endettement global de 94,5 %.

La même application incorrecte de la méthode de l’OCDE mène à des résultats encore plus inattendus lorsqu’on l’utilise dans les cas de l’Ontario et de la Californie qui sont respectivement les composantes économiques les plus importantes du Canada et des États-Unis.

Même si le rapport au PIB de la dette brute du gouvernement de l’Ontario n’était que de 30 % en 2009, le rapport de son endettement global au PIB ainsi mesuré atteint 80 %, ce qui place l’Ontario parmi les pays les plus endettés du monde, immédiatement derrière le Québec.

Le découplage est encore plus considérable dans le cas de la Californie, dont l’endettement du gouvernement est très faible avec une dette contractée sur les marchés qui ne représente que 8 % de son PIB, mais dont l’endettement global est de 89 % du PIB lorsqu’on le calcule selon cette méthode.

 

Une application abusive de la méthode de l’OCDE

Ces énormes différences entre la dette du seul gouvernement et l’endettement global (gouvernement, municipalités, réseaux et autres passifs) sont le résultat d’une application abusive de la méthode de l’OCDE qui consiste à imputer à ces gouvernements de second palier une portion de la dette du gouvernement central, proportionnelle au poids de l’économie considérée dans l’ensemble du pays, et à inclure cette portion dans le calcul de l’endettement global.

Pour le Québec et l’Ontario, cela consiste à inclure respectivement 20 % et 40 % de la dette du gouvernement fédéral contractée sur les marchés, augmentée des autres passifs comme les comptes à payer, soit 20 % et 40 % d’un montant de plus de 600 milliards en 2009. Pour la Californie, l’ajout représente 13,5 % de l’énorme dette du gouvernement des États-Unis contractée sur les marchés, de 8 500 milliards en 2009.

Ces ajouts représentent respectivement 43 %, 53 % et 70 % de l’endettement global du Québec, de l’Ontario et de la Californie. L’énorme gonflement de l’endettement de ces entités économiques de second palier est tout à fait injustifié, parce qu’elles n’ont eu aucune responsabilité dans les décisions qui ont mené à l’accumulation des dettes du gouvernement central et qu’elles n’ont aucune responsabilité à l’égard du paiement de cette dette.

Leur endettement brut réel en pourcentage du PIB calculé correctement selon la méthode de l’OCDE, sans inclure une portion de la dette du gouvernement central, est respectivement de 54 %, 38 % et 27 %, nettement sous la moyenne de l’OCDE.

Conçue pour comparer l’endettement de l’ensemble des administrations publiques d’États qui ont un gouvernement central et des gouvernements de niveaux inférieurs, la méthode de calcul de l’OCDE ne tient plus la route lorsqu’on veut l’utiliser pour effectuer un calcul analogue pour un gouvernement ou une administration de second palier, et qu’on la modifie à cette fin en imputant à ce gouvernement une part de la dette du gouvernement central. Les résultats qui viennent d’être établis le démontrent par l’absurde.

 

« Le reflet le plus fidèle de la situation financière »

En utilisant cette méthode illégitime pour mesurer l’endettement global du Québec et noircir ainsi indûment le portrait qu’il en donne, le gouvernement tient deux discours contradictoires. Chaque année, dans un encadré de son Plan budgétaire, il fait état de l’évaluation de la dette du Québec qu’il transmet aux autorités de réglementation des marchés financiers des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d’autres pays prêteurs, une évaluation qu’il définit comme celle qui « reflète le plus fidèlement possible sa situation financière ».

Cette évaluation n’inclut pas, il va sans dire, la portion de la dette du gouvernement du Canada qui est imputée au Québec dans l’application fautive de la méthode de l’OCDE, ainsi que les éléments généralement considérés comme « hors dette » comme les comptes à payer.

Elle inclut par contre la dette d’Hydro-Québec et celle des autres entreprises du gouvernement. Celle évaluation représentait 60 % du PIB le 31 mars 2009 et 63 % du PIB le 31 mars 2010. Nous sommes loin du sensationnaliste 94,5 % auquel trop d’observateurs se sont accrochés spontanément sans s’interroger sur sa validité.

Personne ne doit minimiser l’importance de la dette du Québec, mais personne ne devrait non plus s’autoriser à en présenter un portrait indûment gonflé, et encore moins à y incorporer pour ce faire des éléments qui n’en font pas partie.