Bras de fer chez Gesca

2010/06/04 | Par Maude Messier

Après des mois de négociations difficiles pour le renouvellement de leurs conventions collectives, les six quotidiens régionaux de Gesca font maintenant face à un mur.

Le duel n’est pas sans rappeler les négociations ardues à La Presse l’automne dernier. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une rencontre du Bureau fédéral de la Fédération nationale des communications de la CSN tenue ce jeudi à Québec qu’une centaine de délégués ont manifesté leur indignation et leur soutien aux syndiqués des quotidiens régionaux.

«Il y a un mimétisme déconcertant dans plusieurs demandes émanant de Gesca si on regarde ce qui se passe chez Québécor et Transcontinental. Les situations sont fort différentes, mais certaines demandes sont très similaires, invoquées sous les mêmes prétextes d’ailleurs», déclare le président du Syndicat de la rédaction du Soleil, Baptiste Ricard-Châtelain, en entrevue à l’aut’journal.

Parallèlement, à Granby, une cinquantaine de syndiqués de La Voix de l’Est sont sortis dans la rue en guise de protestation. Joint par l’aut’journal, Michel Laliberté, président du Syndicat national des employés de La Voix de l’Est, dénonce l’entêtement de Gesca et estime que les demandes patronales relativement aux questions salariales, à la sous-traitance et au fonds de retraite sont absolument inadmissibles.

 

Mandats corporatifs incontournables

La Voix de l’Est, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Droit, Le Soleil et Le Quotidien. Six journaux, six entités autonomes, six réalités. Pourtant, Gesca souhaite imposer à tous un même cadre de négociation uniformisant. «Les quotidien régionaux sont des entités autonomes. Les visées de Gesca dénaturent les réalités régionales de ces entreprises», soutient Michel Laliberté.

Évoluant dans un paysage syndical diversifié, les syndicats des quotidiens régionaux de Gesca ont opté cette fois pour une négociation concertée. Certaines organisations ont même retardé leurs négociations pour pouvoir affronter l’employeur en bloc. Le «G6» leur confère donc une plus grande solidarité, mais permet aussi le partage des informations stratégiques, tant patronales que syndicales.

Au chapitre de la stratégie, Gesca demeure à ce jour inflexible sur ce qu’elle appelle les «mandats corporatifs incontournables». Pour ce qui est de la question salariale, l’employeur réclame un gel des salaires sur trois ans, soit d’ici 2012.

Partout, cette mesure suscite une profonde consternation. «2008 a été la meilleure année financière à vie de la Voix de l’Est. Si l’employeur prétexte un déficit, il faut voir c’est quoi l’année de référence!», s’insurge Michel Laliberté.

Baptiste Ricard-Châtelain explique que le gel des salaires «découle de l’entente survenue à La Presse qui, elle, était déficitaire. Pas nous.» Il soutient aussi que, malgré la crise, les ventes locales de publicités n’ont pas bougé. «Ce sont des millions de dollars en revenus. Il ne faut pas rire du monde. Ces demandes constituent un manque flagrant de respect. On ne demande pourtant pas la Lune, seulement notre juste dû et la reconnaissance de notre travail.»

L’employeur exige en outre l’ouverture de la sous-traitance, actuellement protégée par la juridiction syndicale. Gesca demande qu’une tâche ou un travail puisse être effectué dans un autre journal du groupe ou encore dans une toute autre entreprise.

M. Lalberté indique que ces mesures sont lourdes de conséquences et constituent des pertes nettes de bons emplois bien rémunérés pour les régions. Il souligne que l’employeur a déjà procédé à certains regroupements de services.

Violant les dispositions de la convention collective à cet effet, quatre postes administratifs ont été abolis et transférés au Soleil. Dans les syndicats, on s’inquiète du fait que l’employeur pourrait être tenté d’en faire de même dans différents départements.

«C’est comme si les annonceurs locaux finançaient des emplois à Québec. Une forme de colonialisme des temps modernes!», ironise Michel Laliberté. Considérant que les publicités locales sont précisément la clef du succès des quotidiens régionaux, tous rentables, cette mesure apparaît absurde.

Une situation similaire est confirmée au Soleil, où des problématiques liées à l’affectation des surnuméraires et des temps partiels créent de l’animosité. «L’employeur ne respecte pas les clauses de la convention quant au travail des surnuméraires et des temps partiels. C’est n’importe quoi, il les affectent partout», affirme M. Ricard-Châtelain.

Sur la question de la retraite, les syndicats dénoncent vivement ce qu’ils qualifient «de création d’une deuxième classe d’employés» par l’exclusion des nouveaux employés au régime de retraite à prestations déterminées. Un régime à cotisations déterminées, beaucoup moins avantageux pour les prestataires, sera mis sur pied pour ces derniers, une véritable scission au sein des membres du syndicat.

Baptiste Ricard-Châtelain s’indigne par ailleurs du fait que l’employeur cherche à affaiblir un fonds de pension auquel «il n’a même jamais cotisé puisqu’il a toujours, par le passé, été rentable.»

Artisans du succès des quotidiens régionaux de Gesca, les syndiqués grognent l’ingratitude de leur employeur. «On veut participer au développement des journaux, contribuer au développement et au virage technologique, c’est notre métier», clament-ils.

Or, bien que la collaboration des parties et la mise à profit de l’expertise seraient avantageuses en ces temps difficiles, Gesca préfère agiter l’épouvantail de la crise économique pour justifier sabrer les conditions de travail de ses employés.