CHSLD privés en Montérégie, à qui la chance?

2010/06/08 | Par Maude Messier

Trois centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) de 66 lits chacun seront construits en partenariats public-privé à Granby, Saint-Jean-sur-Richelieu et Châteauguay, envers et contre tous si l’on en croit la mobilisation des intervenants du réseau public de santé de la Montérégie.

Pourtant annoncés dès 2007 afin de répondre aux besoins pressants de places en hébergement pour personnes aînées, «les travaux ne débuteront pas avant le printemps 2011. Si tout se passe bien, il faudra compter environ huit mois pour la construction», explique Mme Claire Pagé, présidente-directrice générale de l’Agence de la santé et des services sociaux (ASSS) de la Montérégie.

Interrogée par l’aut’journal, Mme Pagé soutient que l’appel de propositions devrait être lancé par le gouvernement sous peu; «on espère que ce soit ce printemps pour pouvoir étudier les propositions pendant l’été».

Si tout se passe bien, les trois CHSLD pourraient donc ouvrir leurs portes approximativement vers décembre 2011. Après quatre années de délais et de retards accumulés, l’exaspération est à son comble.

«La Montérégie a des besoins urgents de places en CHSLD, le problème ne date pas d’hier. On connaît les problèmes et les solutions, mais on ne les applique pas», explique Luc Pearson, vice-président régional de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS)-CSN en Montérégie, en entrevue à l’aut’journal. «Tout est orchestré par ce gouvernement de façon à faire plus de place au secteur privé

Au-delà des atermoiements, c’est surtout le fait que ces trois établissements seront construits et gérés en partenariats public-privé qui sème la controverse.

Pour comprendre le litige, il faut savoir qu’au Québec, il existe trois types de centres d’hébergement pour les personnes en lourde perte d’autonomie: les établissements publics, les établissements privés conventionnés et les PPP.

Si les CHSLD publics relèvent complètement du réseau public de santé, les établissements privés conventionnés de même que les PPP sont des entreprises privées, propriétaires de leurs installations, faisant affaire avec le gouvernement par la biais de contrats de services. Partenaires du CSSS de leur territoire, leur clientèle est assurée par les mêmes mécanismes d’accès que l’ensemble des autres établissements d’hébergement et de services de soins.

À la différence des autres formules de gestion, les CHSLD en partenariats public-privé sont responsables de l’embauche de leur personnel, lequel n’est pas régi par les conventions collectives en vigueur dans le réseau public.

Mieux encore, de la construction de l’établissement à la prestation des soins, en passant par l’entretien, les cuisines et l’ensemble des services offerts, absolument tout est concédé à l’entreprise privée. L’entreprise est entièrement responsable de la qualité des soins prodigués. La seule chose qui soit publique finalement, c’est la subvention par «clients» que le gouvernement verse au promoteur.

On peut donc dire que les deniers publics assureront la rentabilité de ces entreprises. «On ne va pas se leurrer là, une compagnie privée, son objectif premier, c’est de faire de l’argent», souligne Luc Pearson. Préoccupé par ce qu’il qualifie littéralement d’«ouverture d’un nouveau marché» pour le secteur privé, il s’inquiète que des promoteurs n’ayant ni l’expérience ni l’expertise requises soient dorénavant responsables de la prestation des soins destinés à des personnes âgées en lourde perte d’autonomie.

Alors que la pénurie de main-d’œuvre fait des ravages dans les établissements de santé du réseau public, que les conditions de travail y sont mises à mal, ces trois PPP constituent ni plus ni moins qu’un message d’ouverture au secteur privé de la part du gouvernement. Les contestations étant de plus en plus nombreuses quant à la pertinence et à la viabilité de ce type de partenariats, il n’est donc pas étonnant que ces projets suscitent autant d’animosité.

 

Mobilisation de la société civile

Divers intervenants du réseau de la santé de la région montérégienne, syndicats, groupes de femmes et regroupements communautaires se sont réunis dans le but de sensibiliser la population et faire reculer le gouvernement libéral dans son entêtement à aller de l’avant avec ces projets sans qu’ils n’aient fait l’objet d’aucune consultation publique.

«Le Front commun intersyndical du secteur public nous a permis de développer des liens et de voir ce qui se trame ailleurs. C’est de là qu’est née la Coalition Montérégie sans PPP qui regroupe à la fois des syndicats et différents groupes sociaux», explique Luc Pearson. C’est d’un véritable débat sur la question de l’incursion du privé dans notre réseau de santé dont on a besoin. D’un débat qui va même au-delà de la Montérégie.»

La Coalition Montérégie sans PPP s’inquiète particulièrement de la qualité des soins qui seront prodigués dans ces établissements et des conditions de travail de ceux qui y oeuvreront. Luc Pearson insiste sur le fait qu’«il n’y a que deux façons pour ces entreprises d’être suffisamment rentables pour que ce soit intéressant: diminuer la qualité et la quantité des services offerts et augmenter les coûts.»

Aux yeux de la Coalition, le gouvernement traite donc la population de la Montérégie comme une  «seconde classe de citoyens qui n’aura pas droit à la même qualité de soins qu’ailleurs en province».

Elle rappelle aussi les constats du Vérificateur général du Québec qui, dans son dernier rapport, émet de sévères critiques à l’endroit des PPP. Le vérificateur souligne notamment qu’aucune analyse concluante ne justifie le recours à ce type de partenariat et met en garde contre les nombreuses ratées. Malgré tout, le gouvernement persiste. «Avec les PPP, on privatise les profits et on collectivise les pertes. Personne n’a rien à y gagner, sauf les entreprises privées!», s’insurge Luc Pearson.

Le point de vue de la Coalition est aussi partagé par le député de Saint-Jean-sur-Richelieu, Dave Turcotte, qui confiait en entrevue à l’aut’journal qu’à son avis, «les aînés sont livrés au secteur privé».

Il se souvient qu’en 2007, le gouvernement faisait l’annonce de la construction d’un nouveau CHSLD à Saint-Jean. M. Fournier, ministre responsable de la Montérégie à l’époque, assurait que l’établissement serait ouvert pour Noël 2009. «Noël 2010 s’en vient et on ne sait toujours pas où il sera construit! Les appels d’offres ne sont même pas lancés. Alors pour ceux qui disent que les PPP sont plus productifs, bien on repassera!»

En appui à la Coalition Montérégie sans PPP, Dave Turcotte a parrainé une pétition de plus de 5 000 noms déposée à l’Assemblée nationale le 27 mai dernier. «Nos informations sont à l’effet que ce sera des PPP, mais ça pourrait changer tant qu’il n’y a rien de signé. C’est pour ça qu’on veut mobiliser l’opinion publique, avec la pétition notamment

 

CSSS Champlain, un précurseur

En 2003, le CHSLD du CSSS Champlain, à Saint-Lambert, étant désuet, un projet est mis de l’avant pour la construction d’un nouveau centre de 225 lits afin de répondre aux besoins de la population. «À l’époque, il s’agissait d’un projet public, comme c’est la façon conventionnelle de faire», explique Luc Pearson qui suit ce dossier depuis le tout début.

L’arrivée au pouvoir des libéraux brouille cependant les cartes. Perdu dans les méandres de la «réingénérie charesque», le projet refait surface en 2007, mais dans un mode PPP cette fois et comptant uniquement 200 places. «Cette annonce a créé tout un mouvement de panique dans notre réseau.»

L’ASSS de la Montégérie confirme que le CHSLD Champlain, construit en mode PPP, devrait accueillir ses premiers patients en octobre 2010, soit sept ans après l’annonce du projet. «À ce stade-ci, tout indique que les échéanciers sont respectés», indique Mme Pagé.

Pour Luc Pearson, la situation n’en est pas moins déplorable. Il déplore la lenteur des processus pour l’aboutissement de ces projets, retards qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les déboires du CHUM. «Le CSSS, l’agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie et le ministère se renvoient la balle des responsabilités. Chose certaine, l’Agence ne remplit pas ses devoirs et ses responsabilités envers la population. C’est dommage pour les aînés qui ont donné toute leur vie et qui n’ont pas les services auxquels ils ont droit

 

Ailleurs au Québec

Pendant que ces trois projets cafouillent et accusent d’interminables délais, des CHSLD en mode public traditionnel se réalisent pourtant à travers la province, sans aucun problème… et ce, même en Montérégie!

Luc Pearson cite en exemple la Résidence St-Charles du CSSS de Québec Sud qui, en 2003, a évalué l’option du PPP pour la construction de leur établissement. «Ils sont finalement allés vers le public. Le rapport Malette indiquait à l’époque que le mode PPP était 34% plus cher

«Il y a vraiment anguille sous roche, juge Luc Pearson. On ne comprend quels critères fondent ces choix.» Il affirme avoir demandé à plusieurs reprises à l’Agence en quoi les PPP constituaient une meilleure option pour ces trois projets seulement. «On n’a jamais eu de réponse à ces questions.»

L’aut’journal a demandé à Mme Pagé pourquoi le mode partenariat public-privé a été retenu pour ces trois projets? La réponse est catégorique: «Cette décision relève du gouvernement. L’Agence n’a rien à y voir.»

Le député de Saint-Jean dénonce que les fonds publics servent à enrichir le secteur privé. «Les entreprises privés ne se lancent pas dans ces projets pour les beaux yeux du Québec. Il faut donc que ce soit rentable. Et c’est le gouvernement qui devra payer plus cher. Un gouvernement qui n’aurait réellement pas d’argent ne ferait pas des choix aussi coûteux. Ça ne tient pas la route.»

Pour le député comme pour Luc Pearson, ces trois projets ont tout d’une commande politique qui n’a rien à voir avec l’intérêt de la population et des personnes âgées. «Ça commence à être bien compliqué toutes ces structures-là dans le réseau de la santé. Je comprends qu’il faut peut-être revoir certaines façons de faire, mais pourquoi faire les choses aussi compliquées si ce n’est pour faire une plus grande place au secteur privé dans le réseau de la santé du Québec?», s’interroge Dave Turcotte.

La décision unilatérale du gouvernement d’aller de l’avant avec ces projets en mode PPP malgré l’apparente inefficacité de ces partenariats inquiète sérieusement le député. «Je me questionne. Ça cache des choses. Quand on n’a pas l’information, quand les processus ne sont pas transparents, ça laisse place à la suspicion.»