Comment militer sans s’épuiser ?

2010/06/09 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Comment faire l’amour à un nègre sans s’épuiser? Comment militer sans s’épuiser? N’ayant pas l’expérience de Dany Laferrière, je lui laisse le soin de répondre à la première question pour me concentrer sur la seconde.

On entend parfois des bénévoles ou des militants (souverainistes, sociaux-démocrates, féministes, écologistes, altermondialistes, pacifistes, etc.) nous dire : j’en fais trop, cela n’a pas d’allure, je suis épuisé. Réfléchissons ensemble sur des moyens concrets pour éviter cela.

Comment respecter nos limites? D’abord, il faut les établir, ces limites. Je me souviens de chauffeurs bénévoles dans un centre de bénévolat. Ils s’étaient engagés à conduire des personnes à l’hôpital, pour des traitements, deux jours par semaine. On leur a demandé ensuite de le faire trois, puis quatre jours par semaine. Ils n’ont pas osé dire non. Ils se sont découragés et ont décroché complètement. Grosse perte pour l’organisme. Il est important, pour les organismes communautaires, de respecter les limites que les bénévoles ont fixées. Il faut mettre cela par écrit, au besoin.

Un bénévole, un militant, doit bien connaître les motivations qui l’ont amené à offrir ses services. Il doit connaître ses forces, et ce qui lui fait plaisir. S’il accepte de faire des tâches qui ne sont pas dans ses forces, il s’usera plus vite. Le bénévolat, le militantisme doivent se faire dans le plaisir.

Quand il y a de la complicité dans un groupe, c’est plus facile de faire du bénévolat. Évidemment, on peut développer de nouvelles forces, de nouvelles connaissances, dans un organisme, mais il y a des zones où nous ne sommes pas à l’aise et qu’il faut respecter. Que faire en cas de débordement? Lancer un appel à toutes et à tous via le bulletin de liaison de l’organisme, recruter de nouveaux bénévoles, inlassablement.

Quand l’organisme pour lequel ont milite ne connaît pas lui-même ses limites, il est difficile qu’il respecte celles de ses bénévoles. Nos organismes doivent apprendre à dire non, lorsqu’ils sont sollicités pour des tâches qui ne relèvent pas de leurs priorités. Nos organismes sont hypersollicités (tables de concertation, consultations, présentation de mémoires, etc.). Il faut savoir refuser.

Danielle Fournier, de l'Université de Montréal, Lise Gervais, de Relais Femmes et Christine Boulet du Centre des femmes l'Héritage, de Louiseville. ont bien démontré, dans leur étude « Le beau risque » (2003), que les groupes doivent choisir avec soin leurs lieux de concertation s’ils ne veulent pas négliger leur mission de base.

Allons-y avec une comparaison. Des études en sociologie du travail ont démontré la corrélation suivante entre la durée hebdomadaire du travail et la satisfaction au travail. Grosso modo, les personnes les plus satisfaites (le premier sous-groupe) sont celles qui travaillent disons autour de 5 % de plus que les heures requises normalement (par hypothèse 37 heures, alors que leur semaine de travail est de 35 heures). Tout se passe comme si leur entourage leur envoyait ce message : tu travailles bien, on a besoin de toi un peu plus.

Le deuxième sous-groupe de niveau de satisfaction (un peu moins satisfait) : les personnes qui font exactement les heures requises (disons 35 heures).

Le troisième sous-groupe, le plus insatisfait : les bourreaux de travail (50 heures…). Ce sont des moyennes, bien sûr. Par analogie (mais avec des heures moins nombreuses !), la leçon à tirer de ceci pour les militants et les bénévoles : faire des petits extras, c’est bien, c’est même valorisant ; ne jamais dire non, s’épuiser dans le bénévolat, c’est malsain.

Ces quelques réflexions valent pour tous les âges de la vie mais sont probablement particulièrement pertinentes pour les retraités : la société a grand besoin de leur implication citoyenne, pratiquée dans la sérénité.

L’objectif de militer sans se fatiguer? Militer longtemps et efficacement. Car il peut sembler paradoxal, en ce qui concerne le militantisme (mais non dans le cas du bénévolat), de vouloir conjuguer engagement et sérénité, le militantisme se nourrissant habituellement d’urgence, de crise, d’agitation, de passion et de fébrilité.

Le problème, c’est qu’il y a une crise - et même des crises - aujourd’hui et qu’il y en aura encore d’autres demain : il faut se garder des énergies pour être d’attaque face à ces nouvelles crises qui surgiront immanquablement.

Et c’est justement si on veut militer longtemps, avec ténacité, et avec quelques succès, qu’il faut chercher, à tâtons et dans le doute constant, à concilier la capacité d’agir dans l’immédiat et dans le long terme.