Première entente dans le secteur de la santé

2010/06/11 | Par Maude Messier

Contre toute attente, une première entente de principe dans le secteur de la santé a été conclue ce jeudi matin entre le gouvernement et la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) qui, avec ses 108 000 membres, représente tout près de la moitié des travailleurs et travailleuses du réseau public de santé québécois.

«C’est une entente très satisfaisante qui couvre un grand nombre de priorités quant aux besoins de nos membres, déclare Francine Lévesque, présidente de la FSSS en entrevue à l’aut’journalCes derniers mois ont été difficiles et épuisants, mais on voit enfin la lumière au bout du tunnel.»

Si rien n’indiquait pareil développement il y a quelques jours à peine, il semble que les travaux se soient considérablement intensifiés en début de semaine. D’ailleurs, la FSSS a préféré annuler un point de presse mardi dernier qui devait souligner en grande pompe le dépôt des listes de services essentiels au Conseil des services essentiels, une étape légale vers l’obtention du droit de grève. «Quand ça va bien, on ne se crie pas des noms. C’est pour ça qu’on a plutôt choisi de favoriser l’avancement des négociations

Pour Mme Lévesque, ce dénouement rapide est bien la preuve que lorsque le gouvernement veut régler, il peut régler. «Les négociations, c’est comme les fruits, il faut les laisser mûrir. C’est à croire que la saison chaude qui arrive a certainement aidé!» À son avis, le gouvernement n’a pas le choix d’«investir dans un certain nombre de mesures pour sauver ailleurs. C’est exactement le cas des sommes qui sont dédiées aux mesures de cette entente.»

L’attraction et la rétention de la main-d’œuvre sont des problématiques récurrentes dans tout le réseau public de santé. Ces préoccupations se font d’ailleurs sentir dans la trentaine de mesures que comprend l’entente de principes.

«La pénurie touche l’ensemble des catégories d’emploi et affecte tout le réseau de la santé, explique Mme Lévesque. Pour agir sur l’attraction et la rétention, il faut plus qu’une seule méthode, il en faut plusieurs, pour que les gens puissent choisir ce qui leur convient, ce qui répond à leurs besoins. C’est ce qu’on a réussi à faire dans cette négociation.»

À ce chapitre, une majoration des primes pour le travail de soir et de nuit est prévue, de même que pour les soins critiques (urgences, soins intensifs, unité néonatale, coronarienne et les grands brûlés). Une somme additionnelle de 5 millions de dollars est aussi prévue pour les travailleuses et les travailleurs qui oeuvrent dans le Grand Nord. À cela s’ajoute un budget de 8 millions de dollars pour développer des mesures de rétention du personnel oeuvrant dans les centres jeunesses et les centres de réadaptation en déficience intellectuelle.

Sur la question de l’organisation du travail, 5 millions de dollars sont prévus pour la mise sur pied de projets visant la réduction du recours à la main-d’œuvre indépendante et la réduction des heures supplémentaires.

Dans la foulée des réductions d’effectifs prévues par le projet de loi 100 et l’incursion de plus en plus évidente du secteur privé dans le réseau public de santé, un comité paritaire sera mis sur pied pour maintenir la qualité des services publics, préserver les emplois du réseau public de santé et développer l’expertise des employés du réseau.

«Ce comité d’étude va permettre de créer un lieu de discussions au sein duquel les parties pourront émettre des recommandations, qu’il y ait consensus ou non.» La présidente de la FSSS rappelle que l’objectif ici est évidemment de trouver des solutions pour favoriser la rétention du personnel et consolider le réseau public de santé. «Si le travail est intéressant, tu retiens ton personnel. La valorisation du travail est un élément fondamental pour l’avenir du réseau public

Avec cette entente de principes qui doit être présentée au Conseil fédéral de la FSSS les 21 et 22 juin prochains, Mme Lévesque estime «avoir des réponses satisfaisantes à présenter aux membres bien que de bonnes discussions soient à prévoir. Nous comprenons l’empressement de ceux et celles qui travaillent chaque jour dans ces conditions difficiles. Mais vous savez, une convention collective est un chapitre dans la vie syndicale, je pense qu’on vient d’ouvrir un bon chapitre

Visiblement enchantée, Francine Lévesque souligne le défi que représente cette négociation. «Nous avons des membres dans toutes les catégories d’emplois, dans toutes sortes d’établissements, ce qui fait que nos besoins et nos demandes sont très diversifiés. Cette entente fait le tour de nos objectifs et c’est pour nous une grande réussite.»

En effet, la loi 30 adoptée sous bâillon par le gouvernement en 2003, forçant la fusion d’unités d’accréditations syndicales, avait créé tout un chahut dans le réseau de la santé. «Ça a considérablement modifié nos réalités. Mais je crois qu’on vient de faire tout un volte-face à la loi 30 avec ce cheminement. Malgré nos disparités, nous avons réussi à faire valoir les préoccupations et les besoins de l’ensemble de nos membres.»

 

Réactions d’autres parties

Sur la question de la solidarité, impossible de passer outre le fait que toutes les négociations dans le secteur de la santé ne vont pas aussi rondement.

«Tant que la négociation ne sera pas réglée, on maintiendra les actions prévues en Front commun. C’est évident que nous sommes préoccupés par l’avancement des négociations de nos confrères et consoeurs», note Francine Lévesque tout en spécifiant que la FSSS demeurera solidaire aux autres organisations jusqu’à l’aboutissement du processus de négociation, soit la conclusion de toutes les ententes sectorielles et un règlement à la table centrale.

À l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), on voit d’un bon œil l’avènement soudain de cette entente entre le gouvernement et la FSSS. Jointe par l’aut’journal, Carole Dubé, responsable des négociations à l’APTS commente: «On peut penser qu’à partir du moment où le gouvernement a eu la volonté politique de régler avec la FSSS, ça pourrait tout aussi bien se régler rapidement pour nous aussi.»

Si des rencontres sont déjà prévues à l’agenda, l’APTS espère une intensification du processus de négociation en vue d’en arriver à une entente de principe avant les vacances estivales. «Nous avons soumis nos nouvelles propositions aujourd’hui. S’il veut régler, la balle est dans le camp du gouvernement.»

L’APTS se réjouit particulièrement de constater l’«argent neuf» mis sur la table par le gouvernement. «Pour nous, ça ouvre des portes parce que sans ces sommes, il est impossible d’en arriver à un règlement, explique Mme Dubé. On verra comment tout ça va s’articuler, mais chose certaine, il y a une occasion qui se présente à ce moment-ci

La présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Régine Laurent, manifeste tout autant d’intérêt à ce dénouement: «Je suis très contente pour la FSSS. S’ils ont conclu une entente de principe, c’est que ça répond à leurs demandes et à leurs priorités et c’est tant mieux», confie-t-elle à l’aut’journal.

Cette entente est-elle de bon augure pour la FIQ? «Et bien, ça veut aussi dire que le ministre aura plus de temps, plus d’énergie et plus d’argent, espérons-le, à consacrer aux 58 000 travailleuses membres de la FIQ.»

Régine Laurent se réjouit que le gouvernement s’occupe finalement de la santé. «Le sectoriel, c’est un gros morceau de passé pour la FSSS, mais nous n’en sommes pas là. Pour nous, tout se joue dans le sectoriel.»

D’après les données de la FIQ, il manquerait actuellement 5 000 infirmières et ce chiffre pourrait fort bien tripler si rien n’est fait d’ici trois ans. «Compte tenu de la pénurie d’infirmières dans le réseau, on ne peut se permettre d’attendre encore une, deux ou trois années. Ça prend des solutions immédiates, structurantes et intégrées dès maintenant

Lundi soir, la FIQ a répondu au dernier dépôt patronal par de nouvelles propositions. «Le gouvernement nous a répondu que ça ne lui plaisait pas, on avait donc interprété qu’il se retirait de la table.» En guise de protestation, la FIQ a déployé un véritable campement devant l’Assemblée nationale, territoire que des centaines d’infirmières ont occupé toute la semaine, en gardes rotatives de 24 heures, comme dans leurs milieux de travail.

D’après Mme Laurent, la présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay aurait mentionné, suite à une visite rendue aux campeuses, être «prête à aller vers un blitz de négociations et à réévaluer le dépôt [de la FIQ] de lundi.»

La FIQ y voit-elle une volonté de négocier de la part du gouvernement et une opportunité de régler une entente sectorielle? «Nous, on attend… On ne veut surtout pas se faire de fausses joies!»