Écoles passerelles : Jean Charest à la remorque de la Cour suprême

2010/06/21 | Par Louis Duclos

L’auteur est ex-député fédéral de Montmorency-Orléans    

Le dépôt du projet de loi 103 aura été l'un des faits saillants de la dernière session de l'Assemblée nationale. À l'occasion du débat qu'il a suscité, le Premier ministre Jean Charest a reproché à Pauline Marois de préconiser le recours à la clause dérogatoire et de vouloir ainsi « suspendre des droits fondamentaux ».

Déchirant littéralement sa chemise comme s'il s'agissait là d'un geste odieux et répréhensible de la part de la chef de l'Opposition officielle, Jean Charest a fait semblant d'ignorer que l'utilisation de la clause dérogatoire est certainement légitime puisqu'elle est prévue expressément à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés de Pierre Elliott Trudeau.

Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que le Québec n'eût rien à voir avec l'inclusion de cette clause dans la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, ce sont les gouvernements des provinces de l'ouest canadien qui, à l'instigation du Premier ministre du Manitoba,en firent une condition de leur adhésion à la résolution constitutionnelle du gouvernement Trudeau au cours de la désormais célèbre « nuit des longs  couteaux ».

Bref, le Québec serait tout à fait respectueux de l'ordre constitutionnel canadien s'il se prévalait de la clause dérogatoire pour contrer le jugement de la Cour suprême déclarant inconstitutionnelle la loi 104 adoptée par l'Assemblée nationale en 2002.

Ce jugement qui semble inspiré par des considérations d'ordre politique plutôt que juridique est fort étonnant dans la mesure oû il ne tient pas compte de l'intention du législateur comme les tribunaux le font habituellement.

De plus, il va à l'encontre de l'interprétation que les spécialistes en droit constitutionnel faisaient de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés depuis son adoption en 1981.

À ce sujet, l'ex-ministre libéral Benoît Pelletier confiait récemment au Devoir ( édition du 5 juin ) que auparavant, tous les experts comprenaient que l'article 23 ne devait pas s'appliquer à deux classes d'individus: les immigrants et les francophones .

Pour avoir participé très activement au débat sur le rapatriement de la Constitution en tant que député à la Chambre des communes, ,je peux témoigner que les propos de Benoît Pelletier reflètent fidèlement ce qui était alors l'intention du législateur.

En fait, celui-ci a même voulu soustraire explicitement à l'application de l'article 23 les immigrants ayant l'anglais comme langue maternelle au moyen de l'article 59 de la Loi constitutionnelle de 1981 qui rend l'alinéa 23(1)a) inopérant pour le Québec à moins d'une « autorisation de l'assemblée législative ou du gouvernement du Québec ».

En donnant le feu vert au subterfuge des écoles passerelles en raison de l'interprétation qu'elle fait de l'article 23(2), la Cour suprême ouvre carrément les portes de l'école publique anglophone subventionnée aux immigrants de langue maternelle anglaise.

En effet, il sera encore plus facile pour eux que pour les autres immigrants et les francophones de faire la démonstration du fameux parcours authentique dont fait état le jugement de la Cour suprême. Quant à l'article 59 de la Loi constitutionnelle de 1981, il perd beaucoup de sa pertinence suite à ce jugement.

Il est désolant de constater que les trois juges du plus haut tribunal au pays en provenance du Québec se soient faits les complices d'un diktat qui, de toute évidence, constitue une attaque sournoise contre le caractère français du Québec.

Il est cependant tout aussi désolant que le gouvernement du Québec se soit ainsi mis à la remorque de la Cour suprême pour ne pas indisposer le Canada anglais et ne pas hypothéquer les ambitions futures de Jean Charest sur la scène politique fédérale.