20 après Meech : Retour sur l’échec de la Commission Bélanger-Campeau

2010/06/21 | Par Pierre Dubuc

Vingt ans après l’échec de Meech, il n’est pas inintéressant de revenir sur la chance ratée par le Québec de faire l’indépendance au moment où, selon les sondages, 60% de la population y était favorable. L’occasion ratée, c’est la Commission Bélanger-Campeau et ses suites.

Jean-François Lisée a bien documenté ces événements dans son livre Le Tricheur. Nous reproduisons le compte-rendu que nous avons fait de son livre à l’époque (l’aut’journal no. 124, juin 1994). On a dit que Jean-François Lisée a retourné toutes les pierres pour expliquer le cours des choses. Mais, nous soutenons qu’il y en une, de la plus grande importance, qu’il n’a pas soulevée. Nous la soulevons à la fin de ce texte.


Bourassa, le Tricheur, avait-il un complice?

Tel était le titre de notre article que nous reproduisons.

Le Tricheur, le livre de Jean-François Lisée, soulève une série de questions cruciales sur nos leaders politiques, pour la plupart escamotées lors du débat qui a entouré la parution de l’ouvrage.

En effet, le « débat », si on peut l’appeler ainsi, s’est surtout concentré sur le titre de l’ouvrage. Pourtant, quiconque se tape les 550 pages du volume ne peut qu’admettre avec l’auteur que Robert Bourassa a joué double jeu en enfourchant la vague souverainiste, gonflée par l’échec de Meech, dans le but de l’amener mourir sur les rivages du fédéralisme.

La démonstration de Lisée est bien étayée, irréfutable. Pendant que Bourassa multipliait les déclarations publiques quasi souverainistes au lendemain de Meech (« Quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, libre et capable d’assumer son destin et son développement. »), le même Bourassa, en privé, rassurait les premiers ministres des autres provinces, le monde patronal, les milieux financiers : jamais il ne tiendrait de référendum sur la souveraineté, jamais il ne remettrait en cause le fédéralisme canadien.

Les journalistes, les chroniqueurs qui cherchent des chicanes à Lisée à propos du titre de son livre sont soit de mauvaise foi, ne voulant pas admettre qu’ils ont été floués par Bourassa, soit à la solde du Parti libéral.

 

Bourassa et la création du Bloc

L’autre élément du livre dont les journaux ont fait mention, c’est le rôle de Bourassa dans la création du Bloc. En effet, onze jours après l’échec de Meech, alors qu’il concoctait la création de la Commission Bélanger-Campeau sur le toit du bunker, il invite Lucien Bouchard à rester à Ottawa en lui faisant miroiter une victoire à l’élection partielle dans Laurier-Sainte-Marie qui sera remportée par Gilles Duceppe.

Par la suite, le libéral Jean Lapierre est encouragé par Bourassa à se joindre à Bouchard et Lapierre confirme à Lisée que les relations ont été on ne peut plus étroites entre le Bloc et le gouvernement Bourassa. « Je n’allais jamais poser une question en Chambre, raconte Lapierre, sans avoir vérifié avec Québec… C’était une collaboration de tous les instants. »

Les médias ont donné comme explication à ce geste que Bourassa voulait « grounder » Bouchard à Ottawa de façon à ce qu’il ne vienne pas brouiller les cartes sur la scène québécoise où les libéraux le craignaient plus que Parizeau.

Ce faisant les médias n’ont fait que reprendre « une » explication, fort plausible, avancée par Lisée au début de son livre. Mais, de l’analyse que fait Lisée des travaux de la Commission Bélanger-Campeau, il s’en dégage une autre, beaucoup plus troublante, beaucoup plus inquiétante pour le mouvement souverainiste.

 

Le report du référendum sur la souveraineté

Au lendemain de l’échec de Meech, le Parti québécois a adopté la stratégie de la « main tendue » à l’égard de Bourassa. Parizeau a répondu au « quoi qu’on dise » de Bourassa par ces mots : « Mon premier ministre, je vous tends la main ». Landry déclarait : « La patrie avant les partis », pendant que Parizeau négociait avec Bourassa les modalités de la Commission Bélanger-Campeau.

Il ne semblait plus y avoir d’autres choix que la souveraineté et on spéculait à qui mieux mieux sur les chances que Robert Bourassa « fasse l’indépendance ».

Cependant, craignant que Bourassa ne cherche qu’à gagner du temps et que la vague souverainiste s’essouffle, les membres souverainistes de la Commission Bélanger-Campeau se sont mis à exiger la tenue d’un référendum sur la souveraineté en 1991.

Mais, aux termes des travaux de cette commission, un Parizeau déconfit, se voyait contraint de signer un document qui non seulement reportait l’échéance du référendum à l’automne 1992, mais mettait sur le même pied la souveraineté et de nouvelles offres fédérales!

On connaît la suite : de nouvelles offres issues de l’accord de Charlottetown et un référendum sur le fédéralisme renouvelé!

Que s’est-il donc passé à la Commission Bélanger-Campeau pour qu’on accepte de donner à Bourassa la marge de temps dont il avait besoin et la possibilité de redonner « une nouvelle chance au Canada »?

C’est ce que nous explique Jean-François Lisée en nous faisant pénétrer dans les coulisses de la Commission Bélanger-Campeau.

 

Le rôle de Lucien Bouchard et des non-alignés

On se rappellera que la Commission Bélanger-Campeau était divisée en trois sous-groupes : les fédéralistes, les péquistes et les non-alignés. Ce dernier groupe, dirigé par le tandem Lucien Bouchard et Gérald Larose, a joué un rôle clef dans les négociations qui s’y sont déroulées.

Les non-alignés, que Lisée qualifie de « consensuels », cherchaient le compromis à tout prix. Ce sont eux qui ont accepté la proposition du libéral Gil Rémillard et du conseiller de Bourassa, Jean-Claude Rivest, d’un référendum en 1992 et la création de deux commissions parlementaires, l’une sur les offres fédérales, l’autre sur la souveraineté.

Comment ont-il pu accepter de permettre ainsi à Bourassa de gagner du temps alors qu’il était acculé dans les câbles? Différentes explications sont possibles.

D’après Lisée, Parizeau attribue cela au fait que Bouchard et Larose « ont passé leur vie à faire de la négociation et de la conciliation » et que « c’est un état d’esprit qui est aux antipodes de la façon dont un Parlement fonctionne ».

Parizeau rappelait que tant que Bourassa avait une majorité à l’Assemblée nationale, il pouvait faire ce qu’il voulait.

Louise Harel est plus raide dans ses commentaires. « Les non-alignés ont été complètement baisés par les talents de Jean-Claude Rivest et son art consommé de diviser les souverainistes en péquistes et non-péquistes et puis d’adopter comme interlocuteurs privilégiés les non-péquistes. »

 

Le rôle de Jean-Claude Rivest

Tout le livre de Lisée confirme l’interprétation de Louise Harel et nous montre un Jean-Claude Rivest en émule de Machiavel. Appelé à commenter le fait que Bouchard a donné à Bourassa un mandat, une légitimité, un permis pour le retour du « beau risque » et, en plus, qu’il a fait signer ce permis par tout ce que le Québec compte de représentants souverainistes, depuis les artistes (Turgeon) jusqu’aux gens d’affaires (Béland, Campeau), en passant par les chefs des centrales syndicales (Larose, Laberge, Pagé), le tout contresigné par le Parti québécois et son chef, Rivest déclare à Lisée : « Lucien a fait exactement ce qu’il fallait qu’il fasse. Moi, j’aurais pas parlé au PQ, j’aurais pas convaincu le PQ de faire ça ! » Et, lorsque Lisée lui demande si la commission aurait marché sans Bouchard, il répond : « Non »

Lisée nous apprend également que la présence de Bouchard à la Commission avait été soigneusement planifiée par Rivest pour « dépolariser » et que « l’opération a fonctionné au-delà de ses espérances (…) Bouchard a été tout de suite propulsé à la tête d’un groupe de neuf personnes, qui détient la balance du pouvoir à la Commission ».

En fait, Bouchard et Rivest, nous apprend-on encore, n’étaient pas étrangers l’un pour l’autre, les deux s’étant connus à l’occasion de négociations d’un sommet francophone alors que Bouchard était ambassadeur du Canada à Paris. Les deux ont, par la suite, gardé le contact et Lisée écrit : « Si Parizeau et Bouchard sont des alliés, Rivest et Bouchard deviennent des amis ».

Cette amitié entre Bouchard et Rivest a pu se développer parce que Bourassa (qui, soit dit en passant, s’était joint à Mulroney et à Paul Desmarais pour inciter Bouchard à faire le saut en politique, nous apprend encore Lisée) avait désigné Rivest pour travailler avec le Bloc après avoir incité Bouchard à rester à Ottawa!

 

La pierre que Lisée n’a pas soulevée : la capitulation honteuse de Claude Béland

Si Lisée accorde beaucoup d’importance dans Le Tricheur au rôle joué par Lucien Bouchard à la tête des non-alignés, il est plus discret sur celui de Claude Béland, alors pdg du Mouvement Desjardins.

Sous le titre « La capitulation honteuse de Claude Béland », dans l’aut’journal no. 92, avril 1991, nous décrivions ainsi le virage de Béland.

À la tête du Mouvement Desjardins, dont les actifs approchent les 50 milliards $, Claude Béland était, comme on dit, plus « égal » que ses pairs au sein de la Commission Bélanger-Campeau, particulièrement à cette époque de notre histoire où les hommes d’affaires ont été placés sur un piédestal.

Aussi, lorsqu’il annonça la prise de position du Mouvement Desjardins en faveur de la souveraineté, plusieurs ont senti qu’un tournant important venait d’être pris. La caution à la souveraineté, tant désirée par certains, du milieu nationaliste des affaires était enfin acquise.

Mais le Canada anglais et les milieux fédéralistes réalisèrent, eux aussi, l’importance de cette prise de position. Et la contre-offensive s’orchestra. Les éditorialistes et les chroniqueurs de la presse fédéraliste taillèrent en pièces la méthodologie du sondage sur lequel s’appuyait la position du pdg du Mouvement Desjardins.

Le député Vincent Delle Noce menaça de lancer un mouvement de retrait de fonds des Caisses populaires. Claude Béland a aussi fait part de mesures de rétorsion d’institutions anglophones comme la Sun Life et la Prudential of America et même de menaces de mort contre sa personne, dont le journal La Presse s’est fait l’écho.

Menacé de mort, Béland capitule

Nous devons considérer ces affirmations de Claude Béland comme véridiques et elles ne représentent sans doute que la point du iceberg. Cependant, malgré toute la sympathie qu’on peut éprouver pour une personne subissant de telles pressions, il nous faut constater que Claude Béland a capitulé devant ces pressions!

Après ses prises de position en faveur de la souveraineté, il a commencé à faire marche arrière pour trouver des vertus au Rapport Allaire; puis à dire qu’il ne voyait pas de différence entre un référendum en 1991 ou 1992; et, finalement, déclarer, le jour de sa publication, que le Rapport de la Commission Bélanger-Campeau était « un buffet froid où tout le monde prend ce qu’il veut »!

Enfin, il a cherché à imputer au Parti québécois la fin en queue de poisson de la Commission Bélanger-Campeau en l’accusant de donner « la primauté au pouvoir sur la souveraineté »! (Bien entendu, Robert Bourassa, lui, donne la « primauté à la souveraineté sur le pouvoir »!)

Le PQ, qui a pourtant toujours été à genoux devant le Mouvement Desjardins, a été contraint de répondre par la bouche de Guy Chevrette en accusant Béland de malhonnêteté intellectuelle et d’être en service commandé pour Robert Bourassa! Cela en dit long !

Ajoutons que, par la suite, Béland y est allé d’une déclaration à Paris dans laquelle il prédisait que « la crise constitutionnelle aboutira à un Canada uni mais profondément renouvelé »! Enfin, Claude Béland s’est tenu complètement l’écart de la campagne référendaire sur l’accord de Charlottetown.