Trudeau et « le monstre du lac Meech »

2010/06/24 | Par François-Xavier Simard

Auteur du livre Le vrai visage de Pierre Elliott Trudeau (Les intouchables, 2006)

Il y a 20 ans, le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, a tenté de réparer l'isolement imposé au Québec par Pierre Elliott Trudeau en 1982. Mulroney avait d'abord obtenu, en 1987, la signature des premiers ministres de toutes les provinces à l'Accord du lac Meech qui reconnaissait le caractère distinct du Québec et acceptait les cinq conditions minimales exigées par le gouvernement québécois. Cet accord devait ensuite être ratifié par toutes les législatures provinciales avant le 24 juin 1990.

Mais Trudeau est sorti de sa retraite pour s'opposer avec virulence à cette entente : « Hélas! on avait tout prévu sauf une chose : qu'un jour le gouvernement canadien pourrait tomber entre les mains d'un pleutre. C'est maintenant chose faite […] Dans la dynamique du pouvoir, cela voudrait dire qu'il sera éventuellement gouverné par des eunuques. » (La Presse, 27 mai 1987)

Puis le 27 août 1987, Trudeau a comparu devant le comité mixte du Sénat et des Communes le même jour que son ancien ministre, Eric Kierans : « Il s’est lancé dans une attaque méprisante contre l’Accord du lac Meech en se fondant sur son obsession selon laquelle toute diminution des pouvoirs du gouvernement fédéral entraînerait le chaos, la balkanisation et des accès de nationalisme. » (Eric Kierans et Walter Stewart, Remembering, 2001, p. 237)

Sept mois plus tard, il est revenu à la charge : « Le 30 mars 1988, Pierre Elliott Trudeau s'adresse au Sénat [canadien] pendant six heures – exclusivement en anglais – pour demander que l'Accord du lac Meech soit mis à la poubelle. L'homme qui a imposé la Loi sur les mesures de guerre au Québec et fait emprisonner quelque 500 personnes sans mandat durant la Crise d'octobre 1970 dit craindre que les libertés civiles soient menacées dans un Québec distinct. » (Norman Lester, Le livre noir du Canada anglais 2, 2002, p. 105)

Trudeau va même jusqu'à dire alors, devant le Sénat canadien : « Nous avons des exemples dans l'histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu'il agit en fonction d'une race et envoie les autres dans les camps de concentration. » (La Presse, 31 mars 1988)

Selon Trudeau, « le Canada s'en portera mieux si le monstre du Lac Meech retournait se noyer au fond d'un lac d'où n'aurait jamais dû surgir sa tête hideuse. » (La Presse, 10 mars 1989)

Pierre Godin a retracé la source de l'obsession de Trudeau : « Au Sénat, notre dinosaure national a agité une fois de plus le cauchemar duplessiste qui l'habite depuis le berceau et qui l'amène, même trente ans après la mort du tyran [sic], à continuer de caricaturer le milieu politique québécois, ravalé au rang de cimetière des libertés civiles le jour où l'entente du lac Meech le consacrerait comme société distincte. » (Le Devoir, 7 avril 1988)

En juin 1990, deux législatures provinciales refusent de ratifier l'accord : le Manitoba et Terre-Neuve, dont le premier ministre, Clyde Wells, est un fidèle de Trudeau. Ce dernier a finalement réussi à maintenir l'isolement du Québec : « En 1990, l'intervention passionnée de Pierre Trudeau dans les médias et au Sénat avait joué un rôle clé dans le renversement d'opinion qui allait empêcher l'adoption finale de l'accord constitutionnel de 1987, dit accord du lac Meech. » (L'actualité, Supplément, 1er octobre 1992, p. I)

À la suite du rejet de l'Accord du lac Meech, le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, a fait la déclaration suivante à l'Assemblée nationale le 23 juin 1990 :

« Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement. »